Intervention de Joël Bourdin

Réunion du 2 novembre 2005 à 15h30
Loi d'orientation agricole — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Joël BourdinJoël Bourdin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation agricole, tel qu'il a été présenté en conseil des ministres le 18 mai 2005, comportait trente-cinq articles. Après son examen à l'Assemblée nationale, le texte transmis au Sénat en contient quatre-vingt-cinq, soit plus du double. C'est dire à quel point ce sujet intéresse la représentation nationale !

Il faut reconnaître que l'avenir de l'agriculture française cristallise des interrogations qui ont un retentissement dans l'ensemble de la société française. En effet, depuis les grandes lois fondatrices de 1960 et 1962, notre agriculture a connu des évolutions importantes, tant internes qu'externes, qui se sont traduites par un bouleversement radical de son environnement économique et sociologique.

Si le développement de notre agriculture au cours des cinquante dernières années a permis de placer la France au premier rang mondial des pays exportateurs de produits agricoles et de lui assurer l'indépendance alimentaire, force est de constater que le modèle agricole promu par le cadre législatif défini au début des années soixante ne répond plus que partiellement aux attentes actuelles des agriculteurs et de la société dans son ensemble.

En effet, ce modèle était celui de l'exploitation agricole familiale, dont la taille permettait d'assurer la rémunération de deux unités de travail. Au fil du temps, ce modèle a dû faire place à plus de diversité pour répondre à la multiplicité des formes d'exploitation, tandis qu'avec l'affirmation de nouvelles attentes de la société, notamment en matière environnementale, les pouvoirs publics ont envisagé sous un jour nouveau les autres missions de l'agriculture, telles que l'aménagement de l'espace rural ou des paysages et la préservation de l'environnement.

Ainsi, les évolutions liées au progrès technique, l'évolution socio-économique du monde agricole ainsi que les modifications des règles communautaires et internationales de régulation des marchés et de soutien des productions ont rendu nécessaire une redéfinition de la place de l'agriculture dans la société française afin de lui redonner une ambition, des perspectives et une légitimité renouvelée.

Dès lors, le projet de loi d'orientation agricole qui nous est transmis par l'Assemblée nationale s'efforce de relever les défis auxquels est aujourd'hui confrontée notre agriculture.

Ces défis sont de trois ordres : économique, social et environnemental. L'objectif principal de ce texte est de permettre l'adaptation du monde agricole aux évolutions du contexte international et communautaire, marqué par la poursuite des négociations internationales dans le cadre de l'OMC et par la réforme de la PAC, issue des accords de Luxembourg du 26 juin. 2003.

Ce projet de loi est structuré autour de cinq titres principaux.

Trois d'entre eux ont pour objet de redonner des marges de manoeuvre à l'agriculture française afin de la rendre plus efficace sur le plan économique et d'offrir davantage de liberté d'initiative aux exploitants agricoles.

Le titre Ier s'intéresse à l'entité fondamentale qu'est l'exploitation agricole et vise à favoriser la démarche d'entreprise.

Le titre II tend à conforter le revenu agricole en intervenant au niveau des filières, tandis que le titre IV simplifie l'environnement administratif de l'agriculture.

Le titre III vise à rapprocher l'agriculture des préoccupations sociales actuelles en matière de qualité alimentaire et d'environnement.

Enfin, le titre V a pour objet d'apporter des réponses adaptées à la situation foncière particulière de l'outre-mer.

La commission des finances du Sénat a choisi de se saisir pour avis de ce texte en raison des nombreuses dispositions fiscales qu'il contient et de l'éventuel impact budgétaire de certaines de ses mesures : au total, le coût fiscal des dispositions contenues dans ce projet de loi s'élève à quelque 80 millions d'euros par an.

Au-delà de ces critères techniques, la commission des finances ne pouvait s'exonérer de donner son avis sur un texte fondateur pour l'agriculture moderne dont les mesures phares, telle la création du fonds agricole, ont pour objectif de changer radicalement le modèle agricole qui prévaut actuellement.

Afin de relever le défi économique en modernisant l'exploitation agricole et en favorisant l'avènement de l'entreprise agricole, la création du fonds agricole, unité économique autonome, constitue une donnée essentielle.

Dans le contexte économique actuel, le principal enjeu consiste à aider les exploitations agricoles à se transformer en entités économiques autonomes, c'est-à-dire en de véritables entreprises.

Ainsi, la création du fonds agricole par l'article 1er du projet de loi, rendue optionnelle par l'Assemblée nationale, a pour objet de faire évoluer le statut de l'exploitation agricole traditionnelle vers celui d'entreprise agricole et de permettre d'appréhender dans une même unité économique l'ensemble des facteurs de production liés à l'activité agricole, qu'ils soient corporels ou incorporels.

Les objectifs visés par la création du fonds agricole sont les suivants : dépasser l'approche patrimoniale des exploitations, transmettre l'exploitation agricole, évaluer l'entreprise à reprendre en fonction de sa capacité à dégager des revenus et, plus globalement, encourager le financement et le dynamisme de l'agriculture.

Il ne faut toutefois pas passer sous silence les interrogations légitimes suscitées par la mise en place de ce nouvel outil juridique.

Parmi ces interrogations, je souhaite évoquer le risque d'un renchérissement du coût fiscal des transmissions, et par conséquent du prix du foncier agricole, ainsi que la question de l'opportunité de l'incorporation des droits incorporels cessibles dans le fonds agricole, au premier rang desquels les droits à paiement unique, les DPU, issus de la réforme de la PAC.

En effet, la valeur des éléments incorporels du fonds agricole, tels les droits à paiement unique ou les droits à produire cessibles, sera variable dans le temps, mais l'important est de pouvoir les évaluer au moment de la cession du fonds.

La commission des finances estime qu'il est nécessaire d'accepter l'idée d'un fonds agricole évolutif en fonction, notamment, de la valeur des droits incorporels cessibles, comme cela existe pour les fonds de commerce ou pour les entreprises, avec les marques ou les modèles.

Parallèlement à l'introduction de la possibilité pour l'exploitant de constituer un fonds agricole, l'article 2 du projet de loi prévoit la création d'un nouveau type de bail rural, cessible en dehors du cadre familial.

Depuis sa promulgation en 1946, le statut du fermage s'est caractérisé par l'encadrement strict des libertés et des droits du bailleur et par la protection de l'exploitant. Après avoir été longtemps considérée comme un atout, aujourd'hui, sa rigidité apparaît plus comme un obstacle au développement de l'activité agricole et de la pluriactivité rurale, particulièrement touchées par les difficultés de transmission des exploitations.

Dans ces conditions, la création d'une nouvelle catégorie de bail, soumis au statut mais dérogatoire à certaines de ses dispositions, représente un espoir pour de nombreux propriétaires ruraux ou exploitants à la recherche d'un repreneur.

Pour relever le défi économique en modernisant l'exploitation agricole et en favorisant l'avènement de l'entreprise agricole, la seconde donnée essentielle tient à la facilitation des transmissions agricoles.

L'agriculture française est aujourd'hui confrontée à un enjeu crucial de renouvellement de ses générations. On compte aujourd'hui en France métropolitaine un peu moins de 600 000 exploitations agricoles, dont 60 % sont dites professionnelles compte tenu de leur dimension économique. Le nombre de ces exploitations professionnelles est en diminution constante, de l'ordre de 2, 3 % par an.

A l'horizon 2020, du fait de la pyramide des âges, 250 000 exploitants devraient quitter l'agriculture pour prendre leur retraite. De même, plus de 200 000 salariés de la production et 150 000 salariés travaillant dans les différentes organisations professionnelles agricoles partiront à la retraite pendant la même période.

Afin de favoriser ce renouvellement, donc d'inciter à l'installation en agriculture, le projet de loi prévoit différents types de mesures visant à encourager l'installation sociétaire ou à permettre la transmission progressive d'exploitations individuelles.

Ainsi, l'article 6 vise à instaurer une réduction d'impôt de 50 % des intérêts perçus au titre du différé de paiement accordé à un jeune agriculteur par un contribuable cédant son exploitation, dans le cadre d'un contrat de vente progressive. Il s'agit d'un nouvel instrument fiscal qui devrait favoriser l'installation des jeunes agriculteurs, et qui est d'ailleurs très bien accueilli par les représentants de cette catégorie d'exploitants.

Le projet de loi d'orientation agricole vise également à relever le défi social en améliorant les conditions de vie des exploitants et en sécurisant leurs revenus.

A cette fin, il contient diverses mesures de nature à améliorer le quotidien des agriculteurs. On peut citer notamment les dispositions de l'article 9, qui s'adressent aux exploitants agricoles soumis à de fortes contraintes en termes de présence sur l'exploitation - je pense aux éleveurs laitiers - et constituent une incitation fiscale intéressante au remplacement pour congé par un tiers. En effet, cet article introduit un crédit d'impôt destiné à prendre en charge la moitié des coûts liés à l'emploi d'un salarié en cas de remplacement.

Cette mesure fiscale devrait permettre aux exploitants qui sont soumis à une astreinte quotidienne sur leur exploitation de bénéficier de meilleures conditions de vie et de travail. Elle devrait aussi constituer une incitation à l'installation des jeunes agriculteurs, parfois rebutés par l'intensité du rythme de travail sur les exploitations.

L'amélioration des conditions de vie des agriculteurs passe aussi par la sécurisation de leur revenu, et plus globalement par le développement des outils de gestion des risques et des aléas en agriculture.

Un des enjeux cruciaux pour l'agriculture moderne est en effet de parvenir à développer une assurance propre à ce secteur qui soit économiquement viable.

Dans un contexte d'essor de l'assurance récolte face à une augmentation des risques, les articles 18 et 19 du projet de loi visent à permettre une réorientation du Fonds national de garantie des calamités agricoles vers un nouveau partage des responsabilités entre les exploitants agricoles, les entreprises d'assurance et l'Etat.

Il s'agit de répondre aux spécificités de l'assurance récolte. Le risque de survenance des aléas est si élevé que le niveau des primes et cotisations d'assurance s'avérerait dissuasif pour une partie des exploitants, déjà confrontés à un niveau élevé de charges, en l'absence soit d'une incitation par l'Etat en phase initiale de développement de l'assurance agricole, soit d'une aide de la collectivité nationale en cas de calamité agricole.

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