Intervention de Jean-Michel Baylet

Réunion du 2 novembre 2005 à 15h30
Loi d'orientation agricole — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Jean-Michel BayletJean-Michel Baylet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un contexte communautaire et international en perpétuelle évolution, le monde agricole français souffre. Bien que très combatifs et toujours prêts à s'adapter, nos agriculteurs ne récoltent pas suffisamment les fruits de leurs efforts.

Depuis plus d'une dizaine d'années, beaucoup d'entre eux - si je dis « beaucoup d'entre eux », c'est pour ne pas créer une rupture trop forte avec le discours précédent - connaissent une baisse régulière de leurs revenus. Dans nos campagnes, les producteurs doutent, le découragement s'installe, les jeunes hésitent à reprendre l'exploitation familiale. La précarité - c'est un phénomène récent - survient parfois de façon brutale au gré de la conjoncture.

Alors que l'industrie agro-alimentaire est l'un des fleurons de notre économie, ceux qui travaillent durement en amont de ce secteur sont les premières victimes d'un marché de plus en en plus concurrentiel, soumis à la pression incessante de l'OMC.

Pourtant, l'agriculture contribue à l'équilibre économique, social et environnemental de notre territoire. A ce titre, elle doit continuer à faire l'objet d'une attention soutenue de la part des pouvoirs publics, surtout du ministre de l'agriculture. En effet, parce qu'elle occupe encore aujourd'hui 700 000 actifs, parce qu'elle est le poumon de plusieurs milliers de villages, parce qu'elle structure fortement nos paysages, nous devons tout faire pour l'aider à surmonter ses difficultés.

Le projet de loi d'orientation agricole dont nous débattons aujourd'hui va-t-il dans la bonne direction ? Votre texte, monsieur le ministre, permettra-t-il à l'ensemble des agriculteurs de mieux s'armer pour l'avenir et d'espérer ?

Hélas ! la réponse est non. La déception est à la mesure des attentes et, manifestement, nous n'entendons pas tous la même chose. Ainsi, dans mon département - et certainement pas seulement dans le mien -, grande est la déception.

Seuls les gros exploitants, qui sont déjà mieux organisés, peuvent s'y retrouver. Mais qu'en est-il de tous les autres ? Je pense aux agriculteurs du terroir, c'est-à-dire à ceux qui contribuent au maintien de la diversité sur nos étals, à ceux qui, par la dimension humaine de leur exploitation, peuvent offrir des produits de qualité, à ceux qui, finalement, sont au coeur du tissu social de nombreuses régions.

Qu'offrez-vous à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui se battent quotidiennement pour exercer leur métier malgré les aléas ? Vous leur accordez finalement peu de choses, puisque toutes vos mesures convergent vers une logique très libérale, presque monopolistique.

Ainsi, que dire de la création du fonds agricole, qui prendra en compte l'ensemble des biens d'une exploitation, qu'ils soient matériels ou immatériels ? Cet outil ouvre la porte à la marchandisation du droit au bail et des droits à produire. Il n'est pas nécessaire d'encourager la survalorisation des actifs de l'exploitation alors que les candidats à la reprise sont souvent peu nombreux !

S'agissant de la cessibilité du bail hors du cadre familial, qui était attendue, l'actuelle rédaction de l'article 2 déséquilibre les relations entre le propriétaire et le locataire, puisque le premier bénéficie d'une revalorisation des fermages ainsi que de la possibilité de choisir son locataire.

Indispensable au maintien des exploitations de petite taille, le contrôle des structures est pourtant démantelé par l'augmentation des seuils de contrôle, la suppression pour certains dossiers de l'avis de la commission départementale d'orientation de l'agriculture, ou encore l'assouplissement du contrôle des ateliers hors-sol.

Quant au volet social, en dehors de quelques mesures en faveur du statut d'aide familial, de celui de conjoint collaborateur et de la création d'une aide au remplacement pour congé, il est quasiment inexistant. Il faudra pourtant s'atteler à uniformiser les droits sociaux des agriculteurs, qui varient beaucoup d'un statut à l'autre.

Je pense également aux retraites agricoles, qui n'ont plus connu d'avancées depuis le dernier plan quinquennal de revalorisation. Nous y reviendrons bien entendu dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2006.

Par ailleurs, ce texte présente de nombreuses faiblesses.

Ainsi, vous ne jetez pas les bases de l'organisation économique de l'agriculture. Confrontés à des marchés de plus en plus ouverts et à une concentration des acheteurs, les agriculteurs s'inquiètent des débouchés pour leurs produits. La possibilité pour les organisations de producteurs de se concentrer juridiquement sous une forme commerciale ne suffira pas à régler cette question.

Plus que d'une reconnaissance, les organisations de producteurs ont besoin de moyens afin de remplir leurs missions et de négocier avec des centrales d'achat déterminées. La filière des fruits et légumes, en particulier celle des fruits, est particulièrement demandeuse d'un véritable contrepoids face à la distribution.

Nous déplorons également l'absence de mesures en faveur de la multifonctionnalité de l'exploitation et de la pluriactivité des agriculteurs. L'agriculture biologique, qui s'inscrit souvent dans ce cadre, n'est pas spécifiquement traitée alors qu'elle est une réponse aux exigences croissantes de la société en matière de sécurité sanitaire et alimentaire et de gestion de l'environnement.

D'une façon générale, ce texte privilégie les grandes exploitations, qui ont en effet intérêt à se comporter en entreprise. D'ailleurs, elles le font déjà, et ce sans le statut de fonds de commerce ou de fonds artisanal que vous voulez leur attribuer sous la dénomination de « fonds agricole ».

Monsieur le ministre, ce ne sont pas des arrangements juridiques qui résoudront subitement les difficultés auxquelles sont confrontées depuis plusieurs années les exploitations, notamment les plus petites d'entre elles. Toutes ces dispositions ne suffiront pas à maintenir un nombre satisfaisant d'exploitations, à sécuriser les débouchés et à garantir les prix agricoles.

Nous attendions une réforme structurelle concernant l'ensemble des agriculteurs et pas seulement 20 % des plus gros producteurs, car notre agriculture est riche de sa diversité : il faut le dire et s'en souvenir !

On demande beaucoup aux agriculteurs : ils doivent sans cesse s'adapter aux normes, respecter l'environnement, accepter les aléas climatiques, digérer les crises conjoncturelles. Ils méritent en retour une politique plus rassurante, une politique destinée à les aider à mieux affronter l'avenir, une politique capable de leur assurer autre chose que la survie.

Dans ces conditions, vous comprendrez mon désaccord avec ce projet de loi.

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