Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la discussion du projet de loi d'orientation agricole à l'Assemblée nationale, ma collègue de la Réunion, Mme Huguette Bello, a fait adopter un amendement supprimant le système du colonat. Ce régime, hérité du Moyen Age, étendu chez nous pendant la période coloniale, perdure malheureusement encore, bien que de nombreux parlementaires demandent sa suppression depuis des décennies.
Il y a soixante ans déjà, les députés réunionnais nouvellement élus à l'Assemblée constituante déposaient un projet de résolution visant à améliorer le sort des colons réunionnais, l'« un des plus méprisables qui soit », expliquaient-ils. J'appelle donc mes collègues sénateurs à accepter, comme l'ont fait les députés, la modification proposée afin de rendre justice à un combat mené depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Cette avancée, saluée par l'ensemble des acteurs à la Réunion et outre-mer, intervient cependant dans un contexte particulier, marqué par de multiples inquiétudes.
En effet, le 22 novembre prochain, le conseil des ministres de l'agriculture de l'Union européenne se prononcera définitivement sur le projet de réforme de l'OCM-sucre qui lui est soumis. La baisse de 39 % du prix du sucre, étalée sur quatre campagnes, est présentée comme inévitable. En contrepartie, les producteurs recevraient une compensation financière qui ne couvrirait que 60 % des pertes de revenu.
Pour leur part, les industriels ne sont pas assurés de trouver l'intégralité de l'aide leur permettant de transporter vers l'Europe le sucre produit afin d'y être raffiné.
De telles remises en cause inquiètent et déstabilisent profondément les acteurs de la filière canne-sucre de la Réunion.
L'évolution actuelle des paramètres économiques - salaires, prix des matières premières, des engrais et des herbicides orientés à la hausse -, suscite plusieurs interrogations.
D'abord, comment les planteurs pourront-ils supporter une telle baisse du prix du sucre ? Ensuite, comment celle-ci sera-t-elle répercutée sur le prix de la tonne de canne, lequel, depuis la convention tripartite signée voilà dix ans, ne dépend pas de Bruxelles, mais d'une décision concertée de l'Etat, des planteurs et des industriels ?
En l'absence de mesures fortes et adaptées au choc de grande ampleur qui s'annonce, il nous faudra nous préparer à affronter une véritable catastrophe économique, sociale, écologique et énergétique ! Notre île, qui connaît déjà une situation de chômage aggravé, sera dans l'impossibilité de supporter ces bouleversements.
Pourtant, il n'est pas question de renoncer à un secteur d'activité qui emploie des milliers de personnes, qui contribue à notre production d'énergie via la bagasse et qui demeure notre meilleur gage de protection des sols contre l'érosion.
Le Gouvernement nous a assuré à plusieurs reprises qu'il était, lui aussi, extrêmement préoccupé par cette situation et qu'il était prêt à agir fermement auprès de Bruxelles pour obtenir les meilleures solutions possibles.
La mobilisation de l'ensemble des acteurs concernés s'est fortement exprimée au cours de la dernière période.
Dans ces conditions, afin de pouvoir proposer des solutions aux instances communautaires, un audit doit absolument être réalisé sur les richesses produites, sur leur montant et sur leur répartition.
L'Etat, qui dispose déjà d'une grande partie des compétences nécessaires à cet audit - services fiscaux, douane, direction départementale de l'agriculture et de la forêt -, doit en prendre la responsabilité.
Il appartiendra ensuite aux différents acteurs du secteur d'apporter les éléments complémentaires et les précisions relevant de leurs activités respectives. Ainsi les planteurs pourront-ils faire connaître les éléments constitutifs de leurs coûts de production. Les industriels pourront en faire autant et indiquer la plus-value réalisée par les deux usines produisant de l'énergie à partir de la bagasse et du charbon, de même que sur les autres produits dérivés de la canne à sucre.
En outre, il sera possible d'étudier les évolutions constatées depuis la mise en oeuvre du règlement sucrier en cours, lequel a débuté en 2001 et s'achève avec l'actuelle campagne.
Cet audit permettra également de faire un peu de prospective, en évaluant ce que sera la situation au cours des quatre campagnes durant lesquelles s'étalera la réforme.
Afin de susciter la confiance, l'audit devra être réalisé dans la transparence la plus complète, ce qui permettra ensuite de déterminer les efforts auxquels chaque acteur de la filière pourra raisonnablement consentir.
Je vous saurai donc gré, monsieur le ministre, de l'attention que vous porterez à cette proposition et de me faire part de votre sentiment à ce sujet.
Nous ne devons ni nous bercer d'illusions ni céder au catastrophisme.
Il faut sauver la filière canne-sucre, en particulier les petits et les moyens planteurs, ainsi que les usiniers, dont les sorts respectifs sont étroitement liés.
Rien n'est encore perdu, mais il faut agir vite. Face à la crise sans précédent qui menace l'agriculture réunionnaise, vous pourrez compter, monsieur le ministre, sur notre engagement et sur nos propositions.