Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer l'initiative gouvernementale. A défaut de résoudre tous les problèmes, celle-ci a au moins le mérite de permettre au Parlement d'engager une véritable réflexion sur l'avenir de notre agriculture.
Il est toutefois regrettable que ce projet de loi d'orientation agricole ait été déclaré d'urgence. En effet, certaines des inquiétudes qui s'expriment justifieraient un débat plus approfondi sur un sujet que nous savons tous essentiel : l'avenir de l'agriculture française.
Pour conforter notre agriculture et soutenir nos agriculteurs, lesquels ont besoin de retrouver confiance afin de mener à bien la nouvelle mission qui est la leur, ce projet de loi d'orientation agricole semble indispensable.
En soixante ans, notre agriculture a connu plus d'évolutions - je dirai même de bouleversements - que pendant des siècles !
En 1945, l'agriculture avait encore pour mission unique de nourrir les hommes. A l'époque, près de 70 % des Français étaient agriculteurs et s'alimentaient essentiellement grâce aux fruits de leur labeur. Il n'y avait alors pratiquement pas de mécanisation, le travail manuel était pénible et les rendements faibles. Nous étions très loin des 35 heures ! Pourtant, même si nos paysans vivaient chichement, ils étaient heureux, car la vie était simple : il n'était pas question de quotas, de PAC ou d'OMC ! Nul, d'ailleurs, ne les envisageait.
Mais cette situation ne pouvait perdurer. Les progrès techniques nationaux, européens et mondiaux ont permis à notre agriculture de devenir beaucoup plus productive et même excédentaire. Dès lors, les termes de « performance », de « gestion », et d' « innovation » sont devenus des mots-clés pour assurer la pérennité de ce si beau métier.
L'ouverture européenne et mondiale des marchés a rendu nécessaires les aides compensatoires des handicaps ou des revenus. Dans les années 1970, les découplages n'étaient pas encore à l'ordre du jour. En revanche, à cette époque, notre pays s'est engagé dans une politique agricole où les actions de soutien sont devenues incontournables.
Mon collègue Daniel Soulage a déjà abordé avec clarté et détermination les enjeux essentiels du débat sur l'avenir de notre agriculture.
Permettez-moi toutefois d'exprimer, en ma qualité d'élu de la montagne - qualité que je partage évidemment avec d'autres -, le sentiment des habitants de ces régions dans lesquelles les handicaps naturels pénalisent la rentabilité économique, génèrent des surcoûts et rendent plus difficile leur accès au genre de vie propre à notre époque.
La montagne, qui représente une partie importante du territoire français, est sans doute l'un des espaces les plus difficiles du monde rural.
Or, et je le dis sans le moindre esprit de polémique, je constate que les problèmes spécifiques de la montagne ne sont pas abordés dans le présent projet de loi. C'est pour nous une véritable déception. Nous estimons en effet que le Gouvernement doit agir en faveur de toutes les composantes de notre agriculture, laquelle est, nul ne l'ignore, extrêmement diversifiée.
La France rurale s'appauvrit de jour en jour. A chaque coucher de soleil, des dizaines, voire des centaines, d'exploitations agricoles s'éteignent.
Certes, il y a encore peu de terres totalement désertifiées. Pourtant, dans certains cantons classés en zone de revitalisation rurale, en ZRR, les prémices d'une évolution démographique irréversible sont bien présentes. Ce que redoutent les agriculteurs, monsieur le ministre, ce n'est pas d'avoir plus de terres à cultiver, mais de ne plus avoir de voisins !
Adrien Gouteyron, qui préside actuellement nos débats, pourrait en témoigner : plusieurs cantons de Haute-Loire comptent moins de 4, 5 habitants au kilomètre carré ! D'aucuns parleront de la « France profonde » ; moi, je préfère parler de la « France difficile ». L'expression « France profonde » me paraît avoir une connotation très péjorative ! En effet, les hommes qui vivent dans ces territoires sont attachés à leur pays ; ils ont gardé le sens du travail et de l'effort. Ils veulent rester des acteurs du monde rural et des producteurs.
Oui, l'agriculture existe aussi dans ces zones de montagne ! Elle y apporte une contribution sociale, humaine et économique.
Non, la France rurale ne veut pas se contenter d'être une spectatrice passive de son déclin ! Elle souhaite, au contraire, être actrice de son renouveau, grâce à la qualité et l'innovation de ses productions.
Les territoires ruraux de montagne ne doivent pas être laissés à l'abandon. L'engagement de l'Etat y est plus qu'ailleurs nécessaire. En effet, l'Etat est le seul à même de garantir la parité et l'équité au coeur de ces territoires fragiles, fidèle en cela à l'esprit de notre République.
Alors que ce projet de loi d'orientation agricole constitue une nouvelle étape pour le développement de notre agriculture, la France des territoires ruraux de montagne y est oubliée. Ses nouvelles missions ne sont ni identifiées ni même mentionnées. Vous comprendrez, monsieur le ministre, que cette France-là soit déçue !
Notre ami et collègue Jacques Blanc, président du groupe d'études sur le développement économique de montagne, porte le message de la montagne avec compétence, détermination, chaleur, voire - et pourquoi pas ? - avec passion. Il est en effet élu dans l'un des trois départements français dont le territoire est intégralement classé en ZRR.
Reconnaissons que, depuis des années, les gouvernements successifs n'ont jamais fait montre, en l'espèce, d'une détermination et d'un courage suffisants. La défense du monde rural, c'est d'abord un état d'esprit. N'oublions pas que c'est un monde souvent silencieux, qui ne s'exprime pas dans la rue et qui dispose de peu de relais institutionnels. C'est la France de la terre, celle qui a gardé de nombreuses richesses humaines ou professionnelles et qui a souhaité les transmettre aux générations futures.
Depuis toujours, les agriculteurs de montagne réclament non pas des privilèges, mais simplement la justice. Ils demandent seulement que l'on atténue les handicaps liés à la topographie, au relief, au climat, à la dispersion de l'habitat et au surcoût des transports, qui pèse notamment sur la collecte du lait et la construction ou l'entretien des bâtiments d'élevage.
Aucun gouvernement n'a eu le courage ou le bon sens de prendre des mesures suffisamment incitatives pour inverser certaines évolutions ou, du moins, pour les atténuer, par des activités raisonnables, adaptées au secteur et marquées du sceau de la qualité.
Les zones de montagne sont des grands espaces, dans lesquels l'utilisation d'herbicides, de pesticides ou de fertilisants est depuis toujours réduite.
Il n'est certes pas question de sectoriser les appellations d'origine contrôlée : celles-ci ne sont pas liées à l'altitude, mais à un cahier des charges. Toutefois, mes chers collègues, ne pensez-vous pas que la montagne en tant que telle devrait bénéficier d'une reconnaissance à la fois compensatrice, valorisante et sécurisante ? Mais je sais que l'Union européenne y fait pour le moment obstacle.
Les agriculteurs des zones de montagne ont des raisons de douter de leur avenir. En effet, dès 1964, un grand responsable communautaire indiquait que l'agriculture n'avait plus aucune raison économique de rester en zone de montagne !
Je conclurai en rappelant à mon tour que, si le monde agricole s'inquiète quant à son futur, il souffre également dans le présent d'une insupportable rigidité administrative, souvent décourageante. Certes, des règles sont nécessaires, mais elles doivent être appliquées avec bon sens et cohérence à tous les niveaux, afin de ne pas provoquer de disparités.
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir écouté le message en forme d'appel d'un élu de ces territoires ruraux qui, comme beaucoup de ses homologues, est aujourd'hui désarmé face à cette situation et ne sait pas toujours répondre aux inquiétudes qui s'expriment.