Intervention de Bernard Murat

Réunion du 2 novembre 2005 à 15h30
Loi d'orientation agricole — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Bernard MuratBernard Murat :

Permettez-moi toutefois de penser, monsieur le ministre, que cela ne suffira pas.

Maire de la plus grande ville d'un département rural, comme tous les autres élus de ce territoire, je suis régulièrement confronté aux questions liées à la gestion du foncier. C'est donc sur le terrain que s'est forgée la conviction qui est aujourd'hui la mienne : nous avons un besoin urgent d'engager une politique foncière ambitieuse, et ce tant pour la protection de l'activité agricole - le foncier étant une déterminante vitale de la constitution d'exploitations agricoles viables - que pour le maintien de l'attractivité des espaces ruraux.

Comme le faisait remarquer le Conseil économique et social dans l'un de ses derniers avis, l'agriculture et le monde rural sont intimement liés par leur développement respectif. Au-delà de sa fonction première, qui est de nourrir les hommes, l'agriculture assure des fonctions variées en matière d'aménagement du territoire, d'environnement, de services, d'entretien des paysages.

Ainsi, la question foncière, jusqu'à présent strictement agricole, se pose désormais en des termes beaucoup plus généraux qui intéressent la société tout entière. C'est ce qu'ont amplement mis en évidence les débats régionaux préparatoires à la loi d'orientation.

La terre disponible, en particulier la terre agricole, est convoitée par tous : par les urbains qui veulent vivre à la campagne, par les collectivités qui souhaitent créer des zones d'habitat ou d'activités et des infrastructures. Cette demande de foncier, cette surenchère sur les terres contribuent à miter l'espace agricole et à compliquer les conditions d'exploitation.

Les exploitants sont obligés de subir les contraintes et les rythmes urbains. Les nouveaux habitants n'acceptent pas l'activité agricole préexistante et ses nuisances.

L'installation des jeunes agriculteurs peut être bloquée par les coûts désormais inaccessibles du foncier : les prix payés par les urbains sont sans rapport avec la rentabilité agricole des terres, mais c'est pourtant sur ces prix que les agriculteurs de mon département, la Corrèze, doivent s'aligner.

Quant au bâti, il est convoité pour des résidences principales ou secondaires de ressortissants nationaux et étrangers. J'ai d'ailleurs reçu dernièrement le consul général de Grande-Bretagne, qui a confirmé tout l'intérêt qu'ont ses compatriotes à venir s'installer en Limousin, où les prix de l'immobilier sont pour eux extrêmement intéressants. Ce bâti échappe donc aux exploitants, notamment aux jeunes : trouver sa maison d'habitation, son siège d'exploitation, à proximité de son élevage devient un casse-tête. Cette réalité est aussi vécue par les artisans qui souhaitent s'installer en milieu rural.

L'engouement pour l'immobilier sur notre territoire extrêmement rural - et ses conséquences sur les prix - est aujourd'hui un handicap pour nous, car il devient difficile d'attirer ou de garder les jeunes ménages dans nos petites communes. Cet état de fait sert ensuite de justification aux fermetures d'écoles, de services au public ou de proximité, tels que médecins et infirmières.

Le mitage de l'espace a aussi un coût pour les collectivités contraintes d'apporter les éléments de viabilisation de base aux nouveaux résidents, puis les infrastructures nécessaires et les services collectifs.

Jusqu'à présent, la politique foncière urbaine a consisté à accompagner le développement des infrastructures et la croissance des villes.

Dans ce cadre, les terres agricoles ont été considérées comme une réserve, une ressource inépuisable à « artificialiser ». Je ne citerai qu'un seul chiffre : chaque année, en France, l'extension urbaine « consomme » environ 60 000 hectares de terres agricoles.

Néanmoins, la terre est le support des activités humaines. A ce titre, elle doit être multifonctionnelle. L'ensemble des activités et des besoins humains doivent pouvoir cohabiter en harmonie, et l'affectation des terres doit se faire de façon équilibrée, dans une optique de gestion durable et transversale de notre patrimoine spatial.

Aujourd'hui, monsieur le ministre, nombreuses sont les collectivités qui ont compris tout ce que l'agriculture pouvait apporter à la ville et qui mettent en oeuvre d'importants moyens pour conserver leur agriculture périphérique.

Si l'agriculture entretient les espaces de nature, enjolive le cadre de vie, elle permet aussi l'approvisionnement des marchés locaux et joue un rôle dans l'animation du lien entre la ville et la campagne, qui est le garant d'une certaine stabilité sociale.

Il convient donc de mieux organiser la répartition entre les différents usages du foncier, en intégrant chaque demande d'espace dans un projet global qui respecte avant tout les usages agricoles et naturels des terres, et en s'assurant que le projet retenu est celui qui consomme le moins de foncier et qu'il respecte la vocation des espaces à fort potentiel, voire - pourquoi ne pas le dire ? - les traditions.

Le laisser-faire risquerait d'augmenter la consommation de terres pour des usages non agricoles et, ainsi, de faire croître les prix de façon anarchique, en engendrant des conflits entre les agriculteurs et les autres catégories d'utilisateurs.

L'augmentation non maîtrisée des prix pourrait compliquer les projets d'aménagements des élus et poser des difficultés, en particulier aux élus des petites communes qui souhaitent réhabiliter l'habitat rural pour attirer des résidents et assurer un mouvement de revitalisation rurale.

Un développement rural durable ne pourra se faire sans une maîtrise du foncier. La sauvegarde de l'espace agricole repose sur l'existence de campagnes dynamiques qui requièrent, elles, un aménagement du territoire soucieux du maintien d'une agriculture vivante et s'accompagnant du développement d'industries agro-alimentaires, d'entreprises coopératives, artisanales et commerciales, de la présence des professions libérales ainsi que du maintien des services publics.

Monsieur le ministre, compte tenu de l'espace dont nous disposons, l'extension urbaine est possible, tant en faveur du logement qu'en faveur des activités commerciales, artisanales et industrielles. Néanmoins, elle doit être mieux orientée et soucieuse de la préservation des terres agricoles. Nous ne pourrons donc faire l'économie d'un grand débat sur la gestion de l'espace foncier.

Le texte que nous examinons aujourd'hui ne se prête peut-être pas à ces observations, mais je me fais ce soir l'interprète des agriculteurs et des très nombreux maires ruraux de notre France profonde qui souhaitaient voir ce sujet abordé !

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