Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'annonce d'une loi d'orientation agricole ne pouvait a priori qu'être accueillie avec intérêt dans les régions d'outre-mer, où une grande partie de l'activité économique et le maintien de nombre d'emplois dépendent de l'activité agricole : à titre d'exemple, en Martinique, la population agricole demeure trois fois plus nombreuse, en proportion, qu'en métropole.
Pourtant, monsieur le ministre, je dois vous faire part d'une double déception.
Tout d'abord, la demande quasi unanime et maintes fois réitérée des socioprofessionnels et des représentants politiques d'outre-mer que soit adoptée une loi spécifique susceptible de répondre aux enjeux particuliers de l'agriculture ultramarine n'a pas été satisfaite. On ne peut en effet, monsieur le rapporteur, assimiler les quelques mesures du titre V à une telle loi.
Ensuite, à défaut d'un texte spécifique, le Gouvernement n'a même pas tenu compte des recommandations de la Commission nationale d'orientation, mise en place en septembre 2004 par le ministre Hervé Gaymard, à laquelle les représentants des régions d'outre-mer ont très activement participé.
En effet, les travaux de cette commission ont souligné un certain nombre de particularités de l'outre-mer en termes de types de productions, de structure des exploitations, d'organisation foncière et d'organisation économique. Ces particularités sont tout autant dues à des facteurs naturels, tels que le climat en zone tropicale ou équatoriale, l'insularité, diverses caractéristiques géographiques, qu'à des facteurs hérités de l'histoire et des pratiques du passé : je pense plus spécialement à la monoculture d'exportation qui a longtemps dominé l'agriculture antillaise, ou encore aux effets de l'utilisation de pesticides, restée hélas trop longtemps courante dans les exploitations de bananes, sur la qualité des sols et de l'eau.
Dans son avis, la Commission nationale ajoute que ces particularités justifient que l'on fasse, département par département, la part respective des outils et procédures qui s'appliquent ou pourraient s'appliquer comme dans l'Hexagone, de ceux qui doivent être adaptés, et de ceux, enfin, qui restent à créer de façon spécifique. A l'évidence, le projet de loi qui nous est présenté ne satisfait pas suffisamment à cette triple exigence. Il ne peut donc pas vraiment répondre aux grands enjeux de l'agriculture ultramarine, notamment à ceux de l'agriculture antillaise, que je souhaite rappeler succinctement.
Le premier enjeu est celui de la protection du foncier agricole dans un contexte de « périurbanité » majoritaire et de parcellisation très forte, avec pour facteur aggravant l'acuité du problème de l'indivision. La stabilité du foncier pour l'agriculture n'est pas assurée aux Antilles. A titre d'exemple, en trente ans, de 1973 à 2000, ce sont 37 % de la surface agricole utile martiniquaise qui ont été détournés de l'usage agricole. Des mesures audacieuses doivent donc être prises si l'on ne veut pas, à terme, mettre en danger le maintien d'une activité agricole sur de tels territoires exigus.
Le deuxième enjeu concerne le statut de l'exploitant agricole, dans un contexte de pluriactivité généralisée sur des surfaces moyennes d'exploitation très restreintes. En Martinique, par exemple, 86 % des exploitations agricoles ont une surface inférieure à 5 hectares.
Le troisième enjeu, enfin, concerne le fonctionnement et le financement des institutions nécessaires à notre agriculture. Je pense en tout premier lieu à l'Office de développement de l'économie agricole dans les départements d'outre-mer, l'ODEADOM, qui a pour mission d'être un outil de cohérence des politiques en faveur de l'outre-mer, mais qui, on le sait, souffre d'un manque de moyens et d'un fonctionnement beaucoup trop lourd.
Monsieur le ministre, vous l'aurez compris, la position qui me semble répondre le mieux aux enjeux de l'agriculture ultramarine, agriculture marquée par la diversité des situations, par de nombreuses spécificités et par le caractère aigu des crises que traversent certaines productions - est-il besoin d'évoquer le problème de la banane en ce moment ? -, ma position, donc, est qu'il est indispensable que soit élaborée une loi d'orientation agricole spécifique à l'outre-mer.
Au cours des débats à l'Assemblée nationale, il me semble que vous avez indiqué qu'à titre personnel vous n'étiez pas opposé à cette idée. Pouvez-vous aujourd'hui nous dire si le Gouvernement y est favorable ? Ce serait évidemment une bonne nouvelle pour l'outre-mer.
Quoi qu'il en soit, se pose le problème de l'application, ne serait-ce que dans un premier temps, du présent projet de loi. A l'évidence, celui-ci n'aurait guère d'effets bénéfiques ; il pourrait même comporter, dans certains domaines, des effets incontestablement négatifs.
C'est la raison pour laquelle je vous proposerai quelques amendements. Le sort que vous leur réserverez, monsieur le ministre, sera, vous le comprendrez, révélateur de l'intérêt réel que porte l'actuel gouvernement à l'agriculture et aux agriculteurs de l'outre-mer.