Intervention de Gérard Bailly

Réunion du 2 novembre 2005 à 21h30
Loi d'orientation agricole — Motion d'ordre

Photo de Gérard BaillyGérard Bailly :

Monsieur le ministre, ce projet de loi d'orientation agricole arrive à un moment charnière pour notre agriculture, avant l'échéance de 2013 et les négociations à l'OMC, et alors que celle-ci doit impérativement s'adapter aux contraintes de la mondialisation et que l'on ne sait si, dans huit ans ou dix ans, les subventions européennes existeront encore. Nos agriculteurs ont donc besoin de perspectives et la morosité actuelle vient en grande partie de ne pas savoir de quoi demain sera fait.

L'exploitation familiale change et il faut l'adapter aux mutations actuelles : des propriétaires fonciers qui ne sont plus toujours exploitants, une main-d'oeuvre de plus en plus saisonnière, une exigence de gestion et de technicité toujours plus grande pour l'exploitant mais aussi pour ses salariés.

L'évolution du statut vers une logique d'entreprise est donc nécessaire ; elle contribuera à la modernisation de notre modèle agricole et lui donnera les moyens d'une compétitivité renforcée. Car n'oublions pas, monsieur le ministre, qu'avec des prix toujours tirés à la baisse, et toutes les interrogations non seulement sur l'après 2013 mais aussi sur ce qui se passera à l'OMC avant la fin de l'année, les agriculteurs ont besoin d'avoir des assurances et d'être accompagnés dans leurs investissements, que ce soit en matière d'équipement, de bâtiments ou de mise aux normes. A cet égard, nous pouvons nous féliciter de l'action qui a été conduite pour les bâtiments d'élevage et souhaiter que cette politique puisse perdurer voire être développée tant ces investissements sont lourds mais indispensables pour poursuivre la modernisation de notre agriculture.

J'approuve particulièrement les dispositions du texte qui permettent de renforcer l'organisation économique ; je pense aux articles 14 et 15. Nous assistons, depuis plusieurs années, à un déséquilibre de plus en plus grand entre les producteurs et la grande distribution, au bénéfice de cette dernière, et il est vital de renforcer le poids des interprofessions ainsi que leur pouvoir de négociation. En effet, 60 % des produits alimentaires sont commercialisés par cinq grandes enseignes. Il existe donc, d'un côté, une extrême concentration et, de l'autre, la masse des producteurs qui doit impérativement s'organiser et s'investir dans les organisations de production et les comités économiques.

Plus les filières seront solides, mieux elles seront à même de promouvoir les produits agricoles, d'investir pour l'exportation ou d'intervenir dans la gestion des crises.

Autre avancée importante de ce texte : l'instauration d'un crédit d'impôt représentant la moitié du coût de l'emploi d'un remplaçant. Monsieur le ministre, j'avais déjà attiré votre attention l'an dernier, lors de l'examen de la loi de finances, sur la nécessité de favoriser les services de remplacement. Les agriculteurs, et principalement les éleveurs, ne peuvent pas s'absenter ou prendre des vacances sans mettre en péril leur exploitation. Cela peut devenir dramatique lorsqu'il s'agit de longue maladie ou d'accident. Ce genre de mesure, qui rassure et facilite la vie, contribue à favoriser l'installation des jeunes agriculteurs et est en phase avec l'évolution de notre société.

Tout comme mes collègues, j'approuve l'article 12 relatif aux biocarburants. Il était temps, dans le contexte actuel de hausse continue du prix du pétrole, de valoriser les débouchés non alimentaires de l'agriculture. Produire plus de biocarburants, c'est bien, mais je regrette que l'utilisation d'huiles végétales pures soit limitée à un usage agricole. Ne pourrait-on pas l'élargir ? Est-ce prématuré ? De toute manière, c'est le début d'un « cercle vertueux » et j'espère que, dans un proche avenir, les biocarburants occuperont une place beaucoup plus importante. Cette production d'énergie ne peut que contribuer à la dynamique du secteur en termes de revenu et d'emploi.

Je n'oublie pas que nous avons 1 200 000 hectares de jachères qui peuvent - qui doivent ! - être utilisés à cet effet pour la production d'énergie, mais aussi pour le chauffage et pour la fabrication de nombreux produits tels que des emballages.

J'en viens au soutien de la démarche de qualité. Nos concitoyens sont de plus en plus sensibles à la qualité et à la traçabilité des produits. Tout le monde connaît les atouts que sont pour une région ses produits AOC. Dans mon département, le Jura, on sait l'importance de nos filières Comté, Morbier et bleu du Haut Jura.

Les producteurs qui s'attachent depuis des générations à fournir des productions sous le label de qualité AOC font vivre la montagne Je souscris aux propositions de mon collègue Jacques Blanc en faveur de la montagne, notamment la désignation d'une commission spécialisée composée en majorité de représentants des organisations professionnelles agricoles, qui sera consultée sur les décisions administratives autorisant ou non l'emploi de la dénomination « montagne » intéressant le massif concerné.

Je sais, monsieur le ministre, que vous souhaitez aborder la protection du foncier agricole dans un projet de loi spécifique. Je m'en réjouis, car il y a urgence, mais je considère qu'il est tout aussi urgent de protéger les sièges d'exploitation ; je pense notamment à la zone des cent mètres. La modernisation agricole conduit les agriculteurs à utiliser des matériels, des équipements qui peuvent être bruyants ou dérangeants. Les riverains s'émeuvent du bruit, des odeurs, des nuisances, et les éleveurs se voient ensuite refuser tout permis de construire pour des aménagements ou des agrandissements pourtant indispensables pour eux. C'est pourquoi j'ai proposé un amendement à ce sujet.

J'en viens à la modification importante de notre dispositif génétique français qu'apporte l'article 28 du projet de loi.

La loi sur l'élevage de 1966, dite loi Edgar Faure, qui est bien connue dans mon département, a permis d'améliorer notoirement le patrimoine génétique de notre cheptel et de hisser nos races parmi les premiers rangs mondiaux. Vous nous proposez, pour suivre les instructions de Bruxelles, de supprimer le monopole de zone et d'ouvrir à la concurrence le dispositif de mise en place de la semence et de certification de la filiation. Un service universel de l'amélioration génétique serait institué. C'est très bien, mais soyons vigilants, monsieur le ministre : ne cassons pas un système qui nous a permis de préserver de nombreuses races adaptées aux spécificités de notre territoire ! Soyons très sérieux, car de la qualité des cheptels dépend la rentabilité des élevages en général et des élevages laitiers en particulier. Attention aux prix bas ! Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner des assurances sur ce nouveau système ?

Je souhaite aussi que vous nous rassuriez sur l'évolution des crédits destinés à la génétique. Nos unités nationales de sélection et promotion de la race, UPRA, et donc les éleveurs, s'inquiètent beaucoup : il semble que l'abaissement, de 4 millions à 2 millions d'euros, du gel budgétaire des crédits ne sera pas respecté. Ce serait très dommage pour les organisations d'éleveurs, qui doivent s'adapter aux nouveaux enjeux et à la préservation de notre patrimoine génétique. J'espère que vous en tiendrez compte, monsieur le ministre.

Enfin, je ne peux pas terminer sans aborder les retraites agricoles. Ce dossier a déjà été évoqué cet après-midi par Dominique Mortemousque. A l'instant, mon prédécesseur à cette tribune a déclaré que, sous un certain gouvernement, les crédits avaient été abondés. Mais alors comment expliquer le faible niveau qu'atteignent ces retraites aujourd'hui ? Heureusement, monsieur le ministre, vous nous avez donné l'assurance que vous vous pencheriez sur cette question.

J'ai consulté la caisse de la mutualité sociale agricole de mon département pour connaître plus précisément le montant des retraites agricoles. Ainsi, en 2004, la MSA a versé 54, 6 millions d'euros à 13 918 d'affiliés, soit une moyenne mensuelle de 327 euros - ou 2 145 francs. Or, certains affiliés, qui exercent des activités multiples, cotisent à la MSA car ils exploitent quelques hectares de terres, sans être pour autant considérés comme des agriculteurs. J'ai donc été amené à réduire de plus de la moitié le nombre des bénéficiaires. Il reste alors 6 245 exploitants véritables, soit 45 % des 13 918 affiliés.

Parallèlement, j'ai soustrait des 54, 6 millions versés par la MSA les sommes correspondant aux prestations que percevaient les cotisants pluriactifs. J'obtiens alors un niveau moyen de retraite de 512 euros, soit 3 300 francs par mois. Pourtant, ces exploitants, comme leur épouse, ont été agriculteurs durant toute leur vie. Ce sont eux qui, pendant ces trente dernières années, ont fait de notre pays une des premières puissances agricoles. Nous devons leur en être reconnaissants. L'opinion publique ne sait pas qu'un agriculteur qui a consacré sa vie à son métier ne perçoit en moyenne que 512 euros de retraite par mois. Ces chiffres sont ceux de mon département, mais je pense qu'ils sont identiques dans d'autres départements.

Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes sensible à ces problèmes et je me réjouis de votre détermination à y remédier.

Comme je l'ai indiqué au début de mon intervention, le projet de loi d'orientation agricole était attendu par nos agriculteurs, inquiets pour leur avenir. Nous espérions, certes, qu'il serait un peu plus riche en crédits, mais nous connaissons le niveau d'endettement de notre pays. Cette future loi apportera néanmoins au monde agricole un peu d'oxygène et ouvrira aux jeunes, je l'espère, de nouvelles perspectives.

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