Monsieur le ministre, si je me permets, à cette heure tardive, de distraire quelques instants d'un temps qui vous est précieux, c'est tout d'abord pour vous remercier et vous féliciter de nous soumettre cette loi d'orientation agricole - j'insiste sur le terme « orientation » -, dont notre agriculture a grand besoin.
Pour raccourcir mon propos et éviter les redites, je vais essayer de démontrer, en partant d'un seul exemple - peut-être est-ce prétentieux ? -, d'une part, que cette loi est effectivement une loi d'orientation et, d'autre part, qu'elle répond à un réel besoin immédiat.
Comment ne pas reconnaître, en effet, que notre agriculture n'attire plus les jeunes aujourd'hui et qu'elle est incomprise, voire mal aimée de notre société trop fortement urbanisée et donc éloignée de la nature ? Il est donc temps de redonner à l'agriculture française une raison d'être qui soit aussi, pour ses acteurs, un moyen de gagner honorablement leur vie.
Trop peu de nos concitoyens ont en mémoire le formidable essor de notre agriculture vivrière depuis la fin de la dernière guerre, qui nous a conduits à un remarquable excédent du commerce extérieur pendant des décennies dans ce secteur d'activité, plaçant la France au deuxième rang des exportateurs de produits agroalimentaires dans le monde.
Aujourd'hui, à l'évidence, la seule vocation alimentaire de notre agriculture s'avère insuffisante pour assurer la juste rétribution de ses acteurs face à des cours mondiaux très inférieurs au simple prix de revient des produits agricoles français.
Comment ne pas s'inquiéter de la stagnation désormais certaine des gains de productivité qui ont jusqu'alors permis cette formidable modernisation, mais qui demeureront désormais bloqués par un souci écologique bien nécessaire, certes, mais limitant de plus en plus, à l'avenir, les amendements des sols et les manipulations génétiques ?
Comment ne pas être troublé de constater par ailleurs l'augmentation des surfaces céréalières dans toute l'Europe du fait du découplage des aides et de l'évolution du régime sucre, ce qui nous prive d'une majeure partie des débouchés rentables pour les céréales françaises ?
Enfin, comment ne pas prendre en considération l'évolution très probablement défavorable - mon ami Jean Bizet vient de l'évoquer à l'instant - des négociations de l'OMC en la matière ?
Face à l'évolution sombre de l'agriculture française, le Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, tout comme ses prédécesseurs immédiats d'ailleurs, n'est pas resté immobile. Vous avez en effet compris que le développement de l'agriculture à vocation énergétique était un moyen nécessaire, tant sur le plan économique que par rapport au strict souci d'indépendance énergétique de notre pays. En disant cela, j'abonde, bien sûr, dans le sens des propos qui ont été tenus sur ce sujet par mes prédécesseurs à cette tribune, que ce soit Charles Revet, Alain Fouché, Benoît Huré ou encore, à l'instant, Jean Bizet.
Vous avez déjà fait évoluer les objectifs d'incorporation des biocarburants jusqu'à 7, 5 % en 2010. Vous avez fixé un accroissement de 50 % de la production directe de chaleur à partir de la biomasse à la même échéance et vous vous êtes fixé pour objectif, toujours en 2010, de porter à 21 % la part d'électricité d'origine renouvelable dans la production nationale, tout cela en respectant les recommandations fortes de la directive européenne relative à la promotion des biocarburants et surtout en satisfaisant pleinement aux normes d'émission de gaz à effet de serre qui résultent du protocole de Kyoto. Ainsi, vous ouvrez la voie à une agriculture nouvelle écologique et énergétique, dont nous avons besoin aujourd'hui pour définir notre indépendance.
Monsieur le ministre, l'aide du Parlement vous sera nécessaire pour réussir cette mutation énergétique indispensable et aller plus loin, plus vite et plus efficacement dans cette voie. Nous sommes décidés à vous y aider, mais il vous faudra vaincre les résistances très fortes des transformateurs d'énergie fossiles, qui se cramponnent à leur monopole et donc à leurs privilèges.
En effet, alors que l'utilisation en direct du bioéthanol aboutit à une réduction de l'émission de gaz à effet de serre deux fois supérieure à l'adjonction de l'ETBE, alors que ce procédé a déjà été utilisé par de nombreux pays européens, alors que les distributeurs indépendants français confirment cette vérité première par des essais récents de grande envergure, comment se fait-il que certains services administratifs français en soient encore à préconiser de nouvelles études ?
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous poser une question précise sur un dysfonctionnement majeur de votre administration. Comment se fait-il que, pour l'application de la TGAP en cas d'insuffisance d'incorporation de biocarburants - je vous rappelle, mes chers collègues, qu'il s'agit d'une mesure adoptée par le Parlement à l'occasion de la loi de finances de 2005 -, le Bulletin officiel des douanes ait retenu, quelques mois plus tard, des normes favorisant toujours ce même ETBE produit par la chimie du pétrole au détriment de l'éthanol agricole ?
Monsieur le ministre, avec ce seul exemple, je veux vous convaincre de la nécessité d'imposer cette mutation énergétique de notre agriculture. Mais vous devrez faire preuve de beaucoup de courage et être animé d'une volonté farouche, qui est aussi la nôtre, vous l'avez constaté en écoutant les différents orateurs qui se sont exprimés avant moi.
Je voudrais vous interroger sur quelques points précis, qui ont d'ailleurs été évoqués par la plupart des intervenants.
Quels avantages fiscaux souhaitez-vous apporter à la culture de produits destinés à fabriquer des biocarburants ? Que pensez-vous de la mise en jachère des 1 200 000 hectares disponibles ? Que pensez-vous d'un partenariat, fortement incité par le Gouvernement, entre la coopération agricole et les banques pour installer, sur l'ensemble du territoire, à proximité des lieux de production bien sûr, des unités de distillation ou de fabrication de diester ?
Monsieur le ministre, vous redonnerez ainsi une véritable raison d'être à nos agriculteurs, qui seront non plus des pollueurs aux yeux de leurs concitoyens, mais, au contraire, des producteurs d'énergie salutaire à l'économie nationale et essentielle à notre environnement et à celui de nos enfants.
En imprimant cette orientation énergétique à notre agriculture, en défendant la ruralité, à laquelle les citoyens deviennent à nouveau sensibles, en défendant nos merveilleux paysages, à l'entretien desquels les agriculteurs sont indispensables, vous marquerez durablement votre passage et vous assurerez notre indépendance énergétique.
Monsieur le ministre, personne ne doutera plus alors de l'utilité de la loi d'orientation agricole que vous nous présentez aujourd'hui et que nous soutiendrons, car elle conditionne tout simplement l'avenir de notre pays !