Notre choix est un signe, s’il en est, de l’attention que le Gouvernement accorde aux positions exprimées par le Sénat.
La commission des lois a, elle-même, apporté une contribution significative au texte en discussion.
Je l’ai dit, le travail mené conjointement par son rapporteur et le Gouvernement a permis de dégager des positions communes sur plusieurs sujets. Je pense, en particulier, au statut des zones d’attente temporaires, à l’incrimination pénale du mariage fondé sur une fraude aux sentiments, ou encore à la lutte contre le travail des étrangers sans titre.
Je voudrais également saluer la démarche du président de la commission des lois du Sénat, Jean-Jacques Hyest, et de son rapporteur, François-Noël Buffet, qui ont pris l’initiative de clarifier la rédaction de l’article 17 ter relatif aux étrangers malades.
Notre objectif est clair. Nous voulons simplement éviter que l’assurance maladie française ne porte la responsabilité de financer les carences des systèmes de protection sociale des autres pays. Nous voulons appliquer à la lettre la loi du 11 mai 1998, mais nous récusons l’interprétation qu’en a faite le Conseil d’État depuis avril 2010. Je reconnais, toutefois, que la rédaction qui vous était proposée en première lecture était sans doute ambiguë.
La rédaction suggérée par le rapporteur et le président de la commission des lois est indiscutablement meilleure : elle est beaucoup plus claire, et opère une ouverture en permettant à l’autorité administrative de prendre en compte des « circonstances exceptionnelles et humanitaires » tirées de la situation personnelle du demandeur pour décider de délivrer le titre, et ce même si les critères ne sont pas remplis.
Ouvrir ainsi les possibilités d’attribution du titre revient à faire œuvre salutaire. Je crois que, ce faisant, nous sommes parvenus à un équilibre acceptable par tous et je vous annonce, d’emblée, que le Gouvernement soutiendra l’amendement de MM. Hyest et Buffet.
Je voudrais, pour conclure, vous dire quelques mots de la réforme du contentieux de l’éloignement.
La commission des lois a validé le principe de la réforme visant à rétablir l’ordre logique des interventions respectives des juges administratif et judiciaire. Je tiens à saluer cette position. Le Gouvernement est convaincu que cette réforme est une bonne réforme. Elle apportera plus de sécurité juridique, assurera une meilleure administration de la justice et ne porte nullement atteinte aux droits des étrangers.
Il demeure toutefois une nuance entre la position du Gouvernement et celle de la commission des lois. Celle-ci limite à quatre jours le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention, alors que le projet du Gouvernement prévoyait un délai de cinq jours. En réalité, ce délai correspond au temps nécessaire pour que le juge administratif puisse se prononcer sur le recours déposé par l’étranger.
Dans l’esprit du Gouvernement, ces cinq jours se décomposent de la manière suivante : quarante-huit heures pour que l’étranger dépose son recours devant le juge administratif, et soixante-douze heures pour que celui-ci statue. Il y aurait donc deux manières de passer de cinq jours à quatre jours.
Première option : réduire de vingt-quatre heures le délai de recours. Cette option ne paraît pas raisonnable, car elle constitue un retour en arrière au regard de l’expression des droits des étrangers concernés. De surcroît, elle présente un fort risque d’inconstitutionnalité, car elle porte atteinte au principe du droit à un recours effectif.
Seconde option : réduire de vingt-quatre heures le temps imparti au juge pour statuer, lequel disposerait alors non plus de soixante-douze heures, mais seulement de quarante-huit heures. Aux yeux du Gouvernement, cette hypothèse n’est pas pleinement satisfaisante, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, compte tenu du volume que représente le contentieux des étrangers, le respect du délai de soixante-douze heures par les juges administratifs nécessite déjà, à l’heure actuelle, des efforts importants.
Or il faut bien avoir conscience que le projet de loi dont nous débattons aura pour conséquence d’accroître de façon mécanique le nombre de recours devant le juge administratif : à partir du moment où celui-ci sera le premier juge appelé à se prononcer, il est inévitable que davantage d’étrangers souhaiteront le solliciter. Aujourd’hui, seule une mesure d’éloignement sur six est contestée devant le juge administratif, probablement parce que beaucoup d’étrangers anticipent qu’ils seront d’abord présentés au juge des libertés, et que c’est donc devant ce dernier qu’ils devront faire valoir leurs arguments.
En outre, le projet de loi contient plusieurs innovations sur ce point : d’une part, le juge administratif est le seul juge compétent pour contrôler l’interdiction de retour ; d’autre part, une voie de recours accélérée est créée, devant lui, sur la légalité du placement en rétention. Ces mesures devraient normalement conduire les étrangers à saisir plus fréquemment le juge administratif.
Par ailleurs, chacune de ces requêtes sera elle-même plus complexe à juger, car elle portera sur un nombre de décisions administratives plus élevé qu’auparavant.
En effet, le projet de loi crée l’interdiction de retour, impose au préfet de prendre une décision sur l’octroi ou non du délai de départ volontaire et amène le juge administratif à se prononcer plus systématiquement sur la légalité du placement en rétention. Au total, le juge administratif n’aura pas moins de cinq décisions administratives à juger lorsqu’il sera saisi.
Il lui sera donc très difficile de se prononcer en quarante-huit heures, au lieu des soixante-douze heures actuelles. Dans ces conditions, le juge administratif risque de se prononcer hors délai, ce qui réduirait à néant notre stratégie visant à ce qu’il statue avant le juge judiciaire.
Permettez-moi d’ajouter une considération d’ordre pratique, mesdames, messieurs les sénateurs : réduire le délai de jugement à quarante-huit heures reviendrait, pour un recours déposé le vendredi, à imposer au juge de statuer pendant le week-end, ce qui n’est pas une pratique susceptible de favoriser la sérénité du jugement.
De même, le système des quatre jours poserait d’autres problèmes d’organisation, très concrets mais très difficiles à résoudre. Compte tenu d’un délai de jugement très contraint, le tribunal administratif organiserait son audience quelques heures seulement avant que le juge des libertés et de la détention ne statue. Si ces deux juges ne siègent pas dans la même ville, il sera difficile de présenter l’étranger devant eux dans des conditions matériellement satisfaisantes.
Pour l’ensemble de ces raisons, les vice-présidents du Conseil d’État successifs se sont explicitement prononcés, en leur qualité de président du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel – et non relativement à la compétence juridictionnelle du Conseil d’État –, en 2003 et en 2006, en faveur d’un délai de jugement de soixante-douze heures.
Je voudrais aussi souligner que le report à cinq jours de l’intervention du juge des libertés et de la détention ne constitue pas une atteinte excessive au droit de l’étranger à être présenté à un juge. Même après la réforme, la France n’aurait rien à envier, en termes de droit des étrangers à un recours effectif, à ses principaux partenaires européens. Il faut bien sûr limiter les comparaisons aux pays dont le système repose, comme celui de la France, sur un dualisme juridictionnel ; ces questions seront sans doute évoquées au cours des débats. En tous les cas, la France continuera à se présenter dans d’excellentes conditions par rapport à ses partenaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, aux yeux du Gouvernement, le report à cinq jours de l’intervention du juge des libertés et de la détention constitue une réforme proportionnée aux objectifs poursuivis, à savoir renforcer la sécurité juridique des procédures et assurer une meilleure administration de la justice. C’est cette option que le Gouvernement vous demande de bien vouloir retenir.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les éléments dont je souhaitais vous faire part cet après-midi.
Au travers du présent projet de loi, l’objectif du Gouvernement est simple et clair : apporter des réponses républicaines, concrètes et opérationnelles aux défis auxquels notre politique d’immigration est aujourd’hui confrontée.
Car nous n’avons qu’une ambition : mener une politique d’immigration qui soit ferme à l’endroit de celles et ceux qui ne respectent pas la loi de la République, mais aussi humaine, …