« Il n’y a aucune raison pour que la mondialisation croissante des échanges et de l’information ne s’étende pas aux mouvements de population. S’ils sont maîtrisés, les flux migratoires seront une richesse pour notre pays. D’ailleurs, la France a toujours été un pays d’immigration et elle doit à cette tradition une large part de son rayonnement intellectuel et politique. » Ainsi s’exprimait, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 janvier 2002, en ouverture de son propos sur le droit d’entrée et de séjour en France des étrangers, le ministre de l’intérieur de l’époque devant les préfets réunis.
Ces propos résonnent en moi, mais peut-être aussi en vous, monsieur le ministre, avec une intensité particulière, en raison des fonctions que nous exercions à l’époque.
Ces propos, tout particulièrement aujourd’hui dans le contexte international troublé que nous connaissons, sont chargés de l’espoir de donner à chaque étranger, dans le respect du principe de dignité, auquel vous savez notre attachement indéfectible, et dans le strict respect de la loi, la juste place qui peut et doit être la sienne.
Forts de notre devise républicaine « liberté, égalité, fraternité », nous sommes nombreux dans cet hémicycle, et peut-être même unanimes, à considérer que l’immigration légale ou régulière doit être accompagnée de tous les outils juridiques garantissant un accueil sur notre territoire.
Nous sommes tout aussi nombreux à refuser les entrées comme les séjours irréguliers, qui font de ces hommes et de ces femmes des non-êtres, des sans-papiers contraints à l’errance.
Nous sommes donc en parfait accord sur les principes. En revanche, monsieur le ministre, tel n’est pas forcément le cas à l’égard de tous les moyens que vous mettez en œuvre.
En préalable à l’examen du présent projet de loi, je voudrais rappeler que, en un peu plus de dix ans, cinq textes successifs ont permis d’améliorer, selon certains, ou de modifier, selon d’autres, le droit existant en matière d’immigration, d’intégration, de nationalité et d’asile, en somme d’entrée et de séjour sur notre territoire.
Ce foisonnement de textes a surtout eu pour vertu de complexifier notre droit au point que seuls les plus éclairés savent retrouver leur chemin dans ce qui est devenu un vrai dédale mêlant la loi aux décrets, aux circulaires, aux instructions et aux recommandations orales.
Le projet de loi que nous examinons en deuxième lecture s’inscrirait-il dans ce labyrinthe ? Certainement pas, si je m’en réfère à la synthèse présentée par le Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.
Les sources principales du présent texte seraient de trois ordres : la transposition de trois directives européennes – directive Retour, directive Carte bleue, directive Sanctions – ; la mise en œuvre des propositions de la commission présidée par Pierre Mazeaud et issues du rapport intitulé Pour une politique d’immigration transparente, simple et solidaire ; enfin, le respect des conclusions du séminaire sur l’identité nationale.
Le projet de loi répondrait essentiellement par six dispositions à ces trois objectifs.
Premièrement, s’agissant de l’entrée sur le territoire, de nouvelles conditions sont prévues pour la création d’une zone d’attente temporaire, afin d’examiner la situation de nouveaux arrivants étrangers à la frontière.
Deuxièmement, serait créé un nouveau titre de séjour, la « carte bleue européenne », nouvel instrument de promotion de l’immigration professionnelle.
Troisièmement, la lutte contre le travail illégal serait renforcée, afin de responsabiliser les employeurs et de leur appliquer, en cas d’emploi d’un étranger sans titre, de nouvelles sanctions administratives.
Quatrièmement, le droit de l’éloignement des étrangers serait révisé : nouvelle décision d’éloignement – l’obligation de quitter le territoire français –, principe du départ volontaire, assignation à résidence et interdiction de retour.
Cinquièmement, les règles relatives au contentieux des étrangers seraient refondues, afin de remettre en ordre l’intervention du juge administratif – légalité de la procédure – et celle du juge judiciaire – prolongation de la mesure de rétention.
Sixièmement enfin, les règles relatives à la nationalité et à l’intégration seraient modifiées pour faciliter l’accès à la nationalité française et responsabiliser davantage les candidats à l’intégration.
Rien, dans la présentation qui est ainsi faite du projet de loi, ne vient heurter les principes que j’ai rappelés. Mais à mieux regarder, à mieux vous entendre, à lire vos écrits, monsieur le ministre, je m’interroge. Ce texte n’a-t-il pas pour objet premier de faire peser tous les efforts sur la lutte contre l’immigration irrégulière ? D’atteindre, voire de dépasser, les objectifs chiffrés fixés dans chaque département à chaque préfet ? Le nouvel outil que constitue ce projet de loi n’a-t-il pas vocation à apporter des réponses concrètes et directement opérationnelles à tous ces dévoiements de la loi imaginés par les professionnels du droit des étrangers qui s’ingénient à trouver des parades à des mesures qu’ils jugent indignes de notre nation ?
Monsieur le ministre, je voudrais en cet instant saluer la raison, celle du président de la commission des lois et du rapporteur, qui ont su contenir bon nombre de dispositions proposées par l’Assemblée nationale qui rompaient avec nos principes républicains.
La commission a, par exemple, refusé de restreindre le droit des étrangers malades atteints de pathologies lourdes à rester sur le territoire français pendant la durée des soins qui doivent leur être prodigués et dont ils n’auraient pas pu bénéficier dans leur pays.
Elle a également tenu à préserver les droits essentiels des demandeurs d’asile en prévoyant, même si cette mesure n’est pas la plus opérante, que le demandeur peut être entendu par la voie de la visioconférence devant la CNDA.
Je veux relever que, même si les solutions apportées par la commission ne me satisfont pas pleinement, elles ont toujours été marquées par la volonté de protéger l’étranger, plus que l’administration, de contentieux dont personne n’ignore ni le poids ni les conséquences.
Il n’en reste pas moins que, pour la majorité des membres du groupe du RDSE – Jacques Mézard s’en expliquera bien mieux que moi ultérieurement, lors de la présentation d’un amendement –, différents points du présent texte ne sont pas acceptables.
Tout d’abord, le fait de porter la durée maximale de la rétention administrative de trente-deux à quarante-cinq jours constitue assurément, selon moi, le moyen pour l’administration d’améliorer son objectif chiffré d’expulsions. Nous savons tous la difficulté que les services administratifs ont rencontrée ou rencontrent encore pour obtenir les laissez-passer consulaires, qui permettent, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, de concrétiser les mesures de reconduite à la frontière. Il sera intéressant d’évaluer le nombre d’expulsions réalisées grâce à l’allongement de treize jours du délai initialement fixé.
Même si la notion de pérennité a fort opportunément été retirée du texte, la création de zones d’attente temporaires reste possible pour une durée maximale de vingt-six jours. Cette solution ne nous semble pas pleinement garantir à l’étranger la possibilité d’exercer ses droits, notamment le droit d’asile, dans les conditions prévues par l’article 18 de la directive Retour.
S’agissant précisément de la transposition de cette directive, transposition au demeurant bien tardive, puisqu’elle devait intervenir, me semble-t-il, à la fin de l’année dernière, l’article 30 du présent projet de loi ne respecte pas la logique du retour volontaire. Il impose, à l’inverse, le placement en rétention administrative ordonné par le préfet dès lors que la mesure d’éloignement ne peut être mise en œuvre immédiatement.
Cet article 30, qui n’envisage comme seule alternative à la rétention que l’assignation à résidence, et qui place ces deux mesures sur le même plan, introduit une nouvelle restriction au droit des étrangers.
Je n’entrerai pas davantage dans le détail des articles qui feront, dans la suite de nos débats, l’objet de propositions d’amendement. Nous nous devons toutefois de rester extrêmement vigilants face à ce qui s’apparente à un durcissement systématique des dispositions existantes, lequel tend in fine à réduire les droits des étrangers, même si la présentation qui en est faite peut paraître empreinte de générosité.
Ainsi en est-il des dispositions relatives à la nationalité et à l’intégration, qui soumettent le candidat à l’une ou l’autre des procédures à un véritable examen auquel nombre de Français de longue date n’aimeraient pas être soumis !
Ainsi en est-il encore des « mariages gris », qui présupposent l’insincérité des intentions matrimoniales des étrangers, alors que le Conseil constitutionnel a posé le principe selon lequel la liberté de mariage ne saurait être subordonnée à la légalité du séjour.
Reviendra-t-on, comme on a pu le dire ici ou là, sur l’accueil d’étrangers autorisés à nous apporter, au niveau professionnel, leur compétence, leur talent et leur savoir-faire ?
Reviendra-t-on sur les dispositions relatives au regroupement familial qui, initialement, n’avaient d’autre objet que de permettre à un étranger de vivre normalement une vie de couple ?
Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, je veux accorder toute ma confiance à la sagesse du Gouvernement et du Parlement, à la raison, au bon sens et à notre tradition républicaine d’accueil de l’étranger, comme je l’ai rappelé en introduction de mon propos.
Je veux bien croire à la nécessité de maîtriser les flux migratoires, en lien étroit avec les États membres de l’espace Schengen, et de lutter sans faillir contre l’immigration irrégulière, mais je voudrais bien davantage croire à des mesures généreuses, efficaces et confiantes pour assurer aux étrangers que nous accueillons les conditions d’une vie normale et heureuse. Je veux être persuadée qu’un prochain projet de loi – il y en aura sûrement un ! –…