Il va sans dire que cette politique a également un coût humain – je pense notamment aux nombreux décès de migrants en mer ou encore aux familles séparées en France.
Votre texte est d’une grande hypocrisie, monsieur le ministre. Après avoir effrayé l’opinion publique sur les dangers d’une invasion imminente d’immigrés, vous voulez lui faire croire que vous avez la solution miracle en présentant des mesures d’affichage idéologiquement dangereuses, à la limite de la constitutionnalité, alors même que vous savez pertinemment que l’Union européenne va avoir besoin d’une main-d’œuvre étrangère pour compenser la baisse de sa population active et combler les besoins structurels du patronat dans le bâtiment, l’agriculture ou encore le secteur tertiaire.
On estime ainsi que, à l’horizon 2040, la France devrait avoir besoin de dix millions d’immigrés pour pallier le vieillissement de sa population. Mais de cela, bien évidemment, vous ne parlez pas !
Vous omettez aussi de dire à nos concitoyens que les migrants sont davantage attirés par des pays comme le Canada ou les États-Unis, lesquels sont beaucoup plus accueillants que les pays européens, où les étrangers sont souvent victimes de discriminations et de racisme.
À titre d’exemple, un rapport du Bureau international du travail, le BIT, de 2007 dresse un tableau très sombre de l’état des discriminations ethno-raciales sur le marché du travail en France. Ainsi, « près de 4 fois sur 5, un candidat à l’embauche d’origine hexagonale ancienne sera préféré à un candidat d’origine maghrébine ou noire africaine, selon une enquête nationale par tests de discrimination conduite en France sous l’égide du BIT ». Ce constat est confirmé par les dossiers traités par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE.
Avec 6, 7 millions d’immigrés environ en 2010, la France occupe, selon l’Institut national d’études démographiques, l’INED, le sixième rang mondial des pays accueillant le plus d’immigrés, après les États-Unis, la Russie, l’Allemagne, l’Arabie Saoudite et le Canada.
Par conséquent, c’est un leurre et une mystification de faire croire, d’une part, que nous allons être envahis et, d’autre part, que vous allez tout faire pour éviter cette prétendue invasion.
Mais vous allez encore plus loin, en déclarant vouloir désormais vous attaquer à l’immigration familiale et à celle de travail.
Non seulement vous souhaitez accentuer la logique engagée par les précédentes réformes, qui ont déjà restreint considérablement les conditions du regroupement familial, dont le dispositif est certainement le plus restrictif d’Europe – d’après le Mipex, le Migrant integration policy index, qui évalue les politiques d’intégration dans l’Union européenne, notre pays se situe au vingt-deuxième rang sur vingt-sept ! –, mais vous voulez vous en prendre à l’immigration choisie, celle du travail, pourtant prônée par Nicolas Sarkozy depuis 2005. Il s'agit là d’un revirement de taille, qui vous rapproche encore davantage des thèses du Front national.
S’agissant à présent du texte qui nous revient de l’Assemblée nationale, je regrette vraiment que les députés aient rétabli en deuxième lecture des dispositions que le Sénat avait en première lecture supprimées ou modifiées en les améliorant, réactivant ainsi des mesures dont nous nous serions bien passés. Je pense ici, en particulier, aux dispositions scandaleuses sur les étrangers malades, qui constituent une aberration en termes de santé publique ainsi qu’une atteinte à la dignité humaine et dont je souhaite qu’elles disparaissent définitivement – j’y insiste ! – de ce texte.
Certes, l’Assemblée nationale a fait machine arrière sur la déchéance de la nationalité pour les auteurs de crimes commis contre des personnes dépositaires de l’autorité publique, mais c’était bien là le moins qu’elle pouvait faire ! Cette mesure, à la constitutionnalité douteuse, faisait suite, je le rappelle, au discours ultra-sécuritaire prononcé par Nicolas Sarkozy à Grenoble. Fruit d’une incantation présidentielle, cette mesure n’a pas sa place dans notre législation.
Pour autant, ce recul ne doit pas nous faire oublier que les autres articles de ce texte demeurent dangereux. Souvenons-nous que les députés ont franchi un pas important en deuxième lecture, avec la remise en cause du droit du sol via la suppression du caractère automatique de l’acquisition de la nationalité française à l’âge de dix-huit ans, pourtant en vigueur depuis 1998.
Mes chers collègues, cette mesure n’est pas sans nous rappeler de mauvais souvenirs : je pense à une autre disposition tout aussi choquante, à savoir le recours aux tests ADN pour prouver la filiation dans le cadre du regroupement familial.
La vigilance doit donc rester de mise, me semble-t-il. Quand bien même le Sénat fait mine d’être plus protecteur des droits des étrangers que l’Assemblée nationale, nous ne sommes pas dupes.
Ainsi, s'agissant de l’article 17 ter, sous prétexte de clarification, M. le rapporteur feint d’être moins rigide, alors que, in fine, il réintroduit cette disposition, sans doute dans la perspective d’un éventuel accord avec les députés lors de la réunion de la commission mixte paritaire.
D'ailleurs, quid des futures conclusions de la CMP sur la nationalité ? Qui nous garantit que la remise en cause du droit du sol ne reviendra pas par la porte ? Qui nous assure qu’il n’en ira pas de même, dans certains cas, pour la déchéance de la nationalité ? La menace est d’autant plus sérieuse que le Gouvernement, par la voie d’un amendement fort heureusement rejeté ce matin en commission, s’acharne sur cette mesure.
On le voit : la droite parlementaire dans son ensemble approuve la logique portée par ce projet de loi en matière d’immigration.
Chers collègues de la majorité, vous êtes tous d'accord sur la maîtrise autoritaire des flux migratoires : d'une part, vous renforcez le concept d’immigration choisie, qui est symbolisée par la fameuse carte bleue européenne, et, d'autre part, vous multipliez les dispositions restrictives et répressives à l’encontre de tout étranger, que ce soit avant l’entrée de ce dernier sur le territoire ou, une fois qu’il est présent en France, lors de sa demande de titre de séjour, lors du renouvellement de ce document, lors de son expulsion et, enfin, lors de son bannissement.
Pour l’heure, votre texte, c’est « toujours plus » : plus d’immigration choisie, plus d’obstacles à l’intégration, à l’acquisition de la nationalité française, à la délivrance et au renouvellement des titres de séjour, entre autres !
Vous avez une vision étriquée du monde et de la France, celle d’un pays replié sur lui-même et se réduisant à l’Hexagone. Alors que vous prônez la mondialisation et la libre circulation des capitaux, vous êtes incapables de voir au-delà des frontières quand il s’agit d’êtres humains. Pis, vous agitez le chiffon de l’invasion, ce fantasme européen.