Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 12 avril 2011 à 14h30
Immigration intégration et nationalité — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous retrouvons afin d’examiner ce projet de loi pour la seconde fois. Somme toute, la version actuelle dont nous disposons n’est pas très différente du texte que nous avions discuté la première fois. C’est ce qui explique le nombre de nos amendements.

L’Assemblée nationale est revenue sur l’ensemble des modifications que nous avions, par sagesse, apportées, ainsi que M. le rapporteur l’a souligné à juste titre. Tout juste nos collègues députés ont-ils décidé de supprimer symboliquement la déchéance de nationalité pour nous donner l’impression que nos craintes, nos doutes et nos récriminations légitimes avaient été prises en compte.

Il est vrai que cette mesure ne semble pas avoir porté les fruits électoraux attendus. Aussi pouvons-nous comprendre que vous l’abandonniez sans autre forme de procès : telle est la vie des articles de circonstance. Mais ce n’est pas un unique arbre abattu qui risque de cacher une forêt de reculs du droit des étrangers. Vous laissez de côté un petit jalon dans cette course à l’échalote que vous avez entamée avec le Front national et votre majorité renchérit – nous venons d’en avoir l’illustration avec l’intervention de Mme Troendle qui parle de « terreur » – sur beaucoup d’autres plans.

Monsieur le ministre, en tant qu’ancien haut fonctionnaire, rompu à l’exercice de l’écriture, vous connaissez la valeur et le poids des mots, et vos glissements portant sur la croisade, les musulmans et, aujourd'hui, l’immigration légale ne sont pas le fruit du hasard. Tout cela s’apparente à une mise en bouche de ce que sera la prochaine campagne présidentielle. Le migrant et, fait nouveau, le musulman, en seront bien les otages.

Monsieur le ministre, je veux vous mettre en garde, car vous êtes aussi en charge des cultes : passer de la critique de l’immigration illégale à celle des musulmans, c’est changer la nature du débat. Cette diabolisation de l’islam et des musulmans, ces éructations répétées contre une foi et une spiritualité sont indignes de notre conception de la laïcité, d’autant qu’elles ne sont pas de votre seul fait, mais qu’elles émanent aussi de certains membres de votre majorité. À ce rythme-là, l’« Auvergnat » de Brice Hortefeux deviendra bientôt une plaisanterie ordinaire...

Avec le débat opposant laïcité et islam, vous avez cherché à diviser les Français. Or ce débat sur l’islam, ou plutôt contre l’islam, a eu comme résultat de diviser votre majorité. À force de chercher à fabriquer un ennemi de l’intérieur avec le migrant ou le musulman, vous passez à côté des préoccupations des Français, et ils ne sont pas dupes. Vous évitez la question sociale.

Alors, c’est peu dire que la philosophie de ce texte n’a pas changé d’un iota.

Vous criminalisez la présence des étrangers, faisant d’eux des parias, et tendez à restreindre de plus en plus leur possibilité de séjour. Je ne citerai qu’un exemple parmi tant d’autres, le mariage « gris ». Nous connaissions le mariage « blanc », et nous voilà avec ce nouvel OVNI électoral. Le Français, ou plutôt la Française à vous en croire, qui décide d’épouser un étranger serait régulièrement victime d’un marché de dupes. En effet, l’étranger qui convole en sa compagnie ne serait qu’un odieux escroc cherchant davantage à rester sur le sol de notre territoire et à obtenir des papiers par son entremise. Il s’agirait d’un mariage frauduleux, dû à la nature insidieuse de l’étranger qui trompe son conjoint sur la véritable nature de ses sentiments.

Bien sûr, de semblables cas peuvent exister. Ce qui me pose problème, monsieur le ministre, c’est le fait que vous vous saisissiez de trois ou quatre faits divers pour généraliser et aboutir à ce texte qui jette la suspicion sur l’étranger. Cela viole le caractère sacré de la loi, qui n’est plus l’expression de la volonté populaire, mais devient le simple porte-parole de la rubrique des chiens écrasés.

Je souhaite dénoncer à cette tribune le caractère biaisé d’un raisonnement politique qui stigmatise l’immigration illégale, en prétendant conforter l’intégration de l’immigration légale.

Il y a une rupture dans les discours, car vos dernières déclarations, monsieur le ministre, nous invitent à penser que même l’immigration légale ne trouve pas grâce à vos yeux. Vous estimez qu’elle n’apporte rien économiquement, voire qu’elle nous est néfaste.

Faut-il remercier votre collègue Christine Lagarde d’avoir corrigé immédiatement vos propos, qui relèvent du non-sens économique ? Les étrangers ne sont pas responsables du chômage de notre pays. Je ne ferai pas l’insulte de rappeler à l’ancien haut fonctionnaire que vous êtes que, depuis Keynes, on sait que le chômage peut être structurel en cas de mauvaise adaptation du marché du travail aux besoins des acteurs économiques et, souvent également, en raison de l’incapacité des gouvernants à relancer la croissance par des décisions opportunes. Il n’est qu’à lire le récent rapport de la Cour des comptes sur la crise et la situation de la France au regard de celle de ses voisins.

Je me doute que vous ne cherchiez pas à établir une démonstration économique mais que votre principal objectif est politique : essayer de séduire un électorat qui vous fait défaut. Nous savons tous d’où vient la formule « 3 millions d’étrangers, 3 millions de chômeurs ». Reste que cet électorat attend des réponses à des demandes sociales et non un énième discours anti-migration dont il connaît l’inefficacité.

Votre idéologie vous aveugle au point que vous proposez des solutions contre-productives à ce qui ne devient un problème que sous votre action.

Cela est d’autant plus dramatique que cette politique migratoire brouillonne entrave la lisibilité de l’action de la France à l’étranger et, spécifiquement, dans les pays de la rive sud de la Méditerranée. Vous ne pouvez, dans un même mouvement, souhaiter affermir l’Union pour la Méditerranée et fermer les frontières, affirmer l’unité de destin des peuples méditerranéens et recuser le droit de certains peuples de se déplacer. Cette schizophrénie, à l’heure où les pays arabes connaissent un réel essor démocratique, contribue à affaiblir l’image et la portée de la voix de la France auprès de ces peuples. C’est à juste titre que notre pays est accusé de double langage.

Il est désormais prouvé que c’est en favorisant les migrations périodiques – ce qui suppose un contrôle raisonné des frontières – que l’on parvient à avoir une immigration temporaire, dont le pays peut bénéficier économiquement. Pourquoi alors nous proposer une sixième loi sur l’immigration allant encore dans le même sens, vers le mur.

La philosophie qui vous anime n’est perturbée ni par les revers électoraux, ni par les faits, il faut continuer à vilipender l’immigration responsable de tous les maux. Quand donc allez-vous comprendre que vous faites fausse route et que, pour nos concitoyens, l’adversaire n’est ni le migrant ni le musulman, mais le déclassement, voire la misère ?

Vous peignez l’image d’une France qui reçoit chaque année un des nombres de demandes d’asiles les plus forts et que, dans ces circonstances, nous sommes toujours une terre d’accueil. Mais vous savez, comme nous, que ces chiffres sont inexacts. Concernant les demandes, nous sommes effectivement parmi les premiers. Toutefois, ce n’est plus le cas en termes d’accueil, ce qui sous-tend que nous refusons beaucoup de dossiers et même beaucoup trop pour un pays qui se targue d’être la patrie des droits de l’homme.

Nous ne pourrons pas voter un texte qui nie nos valeurs et nos engagements et qui refuse, par idéologie, d’assumer la réalité des faits. Nous le combattrons donc de nouveau, dans cet hémicycle. §

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