Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 12 avril 2011 à 14h30
Immigration intégration et nationalité — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

J’ai l’impression que vos propos nient l’histoire de France et son épisode colonial, quand plusieurs millions de Français étaient musulmans et pour lesquels avait alors été établi un code de l’indigénat. Je ne suis malheureusement pas la seule à m’indigner puisque, au sein même de votre majorité, on vous a reproché des propos islamophobes.

Le Gouvernement, auquel vous appartenez, a d’ailleurs initié un débat inutile sur la laïcité : « laïcité versus Islam ». Je rappelle que, initialement, ce débat devait porter uniquement sur l’Islam et qu’il n’a pris le titre de « débat sur la laïcité » qu’en fin de parcours. En fait, beaucoup de bruit pour rien ou, plutôt, pour stigmatiser une fois de plus la population musulmane de notre pays. Nous vous avions, à ce sujet, signifié notre désaveu.

Vous vous êtes bien gardé, monsieur le ministre, de déclarer quoi que ce soit à l’issue de ce débat. Mais cela n’était guère utile puisque vous nous aviez déjà donné, à ce moment-là, votre vision de la laïcité : « les agents des services publics, évidemment, ne doivent pas porter de signes religieux, manifester une quelconque préférence religieuse » mais « les usagers du service public ne le doivent pas non plus. » Vous proposez ici une bien étrange application de la loi de 1905. Même un député UMP, M. Jean-Pierre Grand, vous a invité, jeudi dernier, à « arrêter de dire n’importe quoi » et à cesser ces propos qui, selon lui, n’ont « rien à voir avec la laïcité mais qui relèvent de l’Inquisition. »

Dès lors, quelle crédibilité avez-vous à défendre aujourd’hui ce texte relatif à l’immigration, dans ce contexte où même les membres de la majorité critiquent, à juste titre, vos interventions, si hasardeuses lorsque vous créez de nouvelles peurs et même des suspicions ?

Vous avez employé le terme « croisade » pour qualifier l’intervention de la France en Libye. Ce n’est pas hors sujet, c’est, au contraire, révélateur.

Par ailleurs, et avant même d’aborder plus en détail le texte qui nous réunit, je dirai également quelques mots sur l’entrée en application, hier, de la loi anti-burqa. Lorsqu’il s’agissait ici même, devant notre assemblée, d’en débattre, nous nous étions, évidemment, au nom des droits de la femme, opposés au port du voile intégral, qui porte les germes de l’exclusion de la femme et de son enfermement physique et psychique. Mais je refusais, déjà à ce moment-là, l’instrumentalisation de cette situation et la stigmatisation qui en découlait.

L’amalgame est rapidement fait avec l’immigration et les étrangers, que vous tentez, monsieur le ministre, d’accuser de tous les maux, engendrant ainsi une suspicion permanente.

Enfin, vous avez également fait part de votre intention de diminuer l’immigration légale, familiale ou salariale. Or, au sein du projet de loi relatif à l’immigration, dont nous allons débattre aujourd’hui, aucune disposition ne consiste pourtant à renforcer les conditions de délivrance des visas de long séjour « conjoint de Français » ou les conditions de regroupement familial. Aucune disposition non plus ne tend à modifier les conditions de délivrance d’un visa de long séjour portant la mention « salarié », ou du titre de séjour temporaire « salarié ».

Dès lors, je m’interroge sur la façon dont vont, dans la pratique, être mises en place vos consignes de diminution de cette immigration légale. Cela signifie-t-il que l’Office Français de l’immigration et de l’intégration et les préfets recevront des consignes, par voie de circulaires, pour diminuer le nombre des regroupements familiaux, y compris pour les dossiers qui répondent pourtant aux conditions légales de ressources et de logement ? Est-ce encore l’arbitraire qui va présider, via une application excessive de la notion floue de « conformité aux principes de la République » ? S’agissant de l’immigration salariale, des consignes similaires seront-elles adressées aux directions départementales de l’emploi et de la formation professionnelle ? Dans les deux cas, allez-vous inviter nos consulats à délivrer moins de visas de long séjour, dans le manque de transparence le plus total ? Si vous décidez, finalement, de recourir au législateur, serons-nous, dans ce cas, amenés à étudier un nouveau et énième projet de loi relatif à l’immigration, alors que l’étude de celui qui nous est aujourd’hui soumis n’est pas encore achevée ?

Tout cela est inquiétant, monsieur le ministre, tout comme ce projet de loi qui, sous le prétexte de transposer des directives communautaires et de mettre la France en conformité avec le droit européen, s’en prend à toutes les branches du droit des étrangers. Ainsi, la mise en place de zones d’attente porte gravement atteinte aux droits des demandeurs d’asile et à ceux des personnes détenues. Ce projet s’en prend également aux droits à une défense effective, au travers de plusieurs dispositions en matière de procédure et de contentieux de l’éloignement.

Par ailleurs, il stigmatise les couples dits « mixtes », en créant une présomption d’escroquerie aux sentiments, qui ne pèse que sur la personne étrangère, suspectée d’épouser un Français uniquement pour obtenir un titre de séjour ou la nationalité française. Au chapitre des suspicions, après le faux étudiant, le faux malade, apparaît ce concept immonde de « mariage gris », contraire à l’article 1er de notre Constitution, qui assure l’égalité de tous devant la loi.

Ensuite, vous réduisez de manière importante les garanties procédurales en vue de faciliter l’éloignement des étrangers « indésirables », au mépris du respect de leurs droits fondamentaux et des libertés individuelles.

Enfin, surtout, vous créez également une véritable mesure de bannissement : l’interdiction de retour sur le territoire, qui a vocation à s’appliquer à tout étranger expulsé et qui sera quasiment impossible à contester.

Nous, les sénatrices et sénateurs écologistes sommes bien sûr indignés par de telles dispositions et nous refuserons de cautionner les atteintes à l’état de droit que comporte ce projet de loi qui criminalise, enferme, bannit, éloigne les étrangers. Nous voterons évidemment contre ce texte anticonstitutionnel, anticonventionnel, qui méprise les droits fondamentaux, dont la liberté de circuler et le droit à la vie familiale, ce qui est pourtant reconnu dans le droit international. §

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