Intervention de Roland Ries

Réunion du 12 avril 2011 à 14h30
Immigration intégration et nationalité — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Roland RiesRoland Ries :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi prétend répondre à des exigences européennes. En tant que vice-président de la commission des affaires européennes du Sénat, j’ai choisi d’axer l’essentiel de mon intervention sur ce point.

En effet, l’objectif affiché du texte est de transposer, dans les délais impartis, trois directives européennes. Outre la directive Retour, relative à l’expulsion des immigrés illégaux et qui aurait dû être transposée depuis le mois de décembre dernier, le texte entend transposer la directive Carte bleue européenne, relative à l’immigration professionnelle hautement qualifiée, et la directive Sanctions, qui tend à pénaliser les employeurs faisant appel aux travailleurs sans papiers.

Je ne peux, dans un premier temps, que me féliciter de ce regain d’intérêt du Gouvernement pour le respect des procédures européennes. Il est vrai qu’au mois de novembre dernier, lors de l’examen de la proposition de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit communautaire, nous transposions encore, sur l’initiative des parlementaires, des directives et des règlements qui auraient dû être appliqués, pour certains, depuis 2004.

Cependant, je m’élève avec force contre cette habitude d’ériger en bouc émissaire l’Union européenne. Je vais donc m’employer, ici, à rappeler les principes de base d’une transposition de directive européenne.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, la directive fixe uniquement l’objectif à atteindre et délègue le choix des solutions aux États membres. Si cette forme législative impose, certes, quelques contraintes, elle préserve, en revanche, contrairement au règlement, de larges espaces de liberté et d’interprétation. Les États membres peuvent notamment conserver leurs législations nationales dites « mieux-disantes ».

L’article 4 de la directive Retour dispose d’ailleurs : « La présente directive s’applique sans préjudice du droit des États membres d’adopter ou de maintenir des dispositions plus favorables pour les personnes auxquelles la présente directive s’applique, à condition que ces dispositions soient compatibles avec la présente directive. »

Or, dans le présent projet de loi, la transposition des directives est biaisée.

Premièrement, le texte ignore notre législation « mieux-disante ». S’agissant de la rétention, par exemple, la directive Retour a fixé une durée maximum de six mois – avec la possibilité de l’allonger à douze mois dans des circonstances bien précises – pour les pays n’ayant pas de délai maximal imposé. Le texte utilise cette disposition pour allonger le délai de rétention des étrangers en France et le porter de trente-deux à quarante-cinq jours.

Deuxièmement, des dispositions facultatives dans la directive sont rendues obligatoires dans le projet de loi, notamment la zone d’attente portative, qui fait office dans le texte européen d’exception en cas de situation d’urgence et tend à devenir la règle dans votre texte de transposition.

Troisièmement, enfin, de nombreuses dispositions étrangères aux directives sont venues s’ajouter au texte, comme la restriction de l’accès au séjour pour les étrangers malades ou les mariages gris qu’évoquait Mme Khiari. Le projet de loi avalise ainsi les amalgames entre les immigrés illégaux, les étrangers en situation légale, les ressortissants de l’Union européenne et les demandeurs du droit d’asile, qui sont aussi les victimes des dispositions transposées.

Monsieur le ministre, l’Europe a, encore une fois, bon dos. Le projet de loi exploite, en fait, toutes les potentialités sécuritaires, mais ignore les garanties des libertés fondamentales qui y sont normalement associées et que l’on retrouve dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Je prendrai un exemple précis : la directive impose aux États membres d’assurer aux étrangers le droit au recours, le droit à l’unité familiale, aux soins médicaux d’urgence et à la scolarisation des enfants mineurs, dans l’attente de l’exécution des mesures d’éloignement.

Or les dispositions du projet de loi en la matière vont à l’encontre de la lettre de cette directive et des autres. Avec l’allongement du délai de saisine du juge des libertés et de la détention, qui passe de quarante-huit heures à cinq jours, l’étranger pourra être laissé cinq jours sans voir aucun juge.

De même, le droit au recours concernant l’obligation de quitter le territoire et l’interdiction de retour sur le territoire français est limité : le juge doit statuer seul en soixante-douze heures, alors qu’une décision réfléchie et collégiale serait pourtant le meilleur moyen d’avoir une justice objective pour une décision qui aura des conséquences graves sur l’étranger, notamment en termes de vie privée et familiale.

Le projet de loi restreint ainsi de manière drastique les droits de la défense des étrangers. La prise en charge des mineurs étrangers n’est pas non plus évoquée dans votre texte quand la directive insiste pourtant sur la prise en compte de « l’intérêt supérieur de l’enfant ».

Monsieur le ministre, l’Europe, c’est aussi la Cour européenne des droits de l’homme. En tant que maire de Strasbourg, capitale européenne qui défend l’Europe de la paix et des droits de l’homme, et où siège cette Cour, vous savez que je suis particulièrement sensible à cette institution.

L’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose notamment : « Toute personne arrêtée ou détenue [...] doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. » Le projet de loi ne respecte en aucune manière cet article. À mon avis, la Cour ne manquera pas de s’opposer à son application.

Monsieur le ministre, cette Europe que vous cherchez à instrumentaliser sera, en réalité, le dernier rempart contre vos réformes régressives à l’égard du droit des étrangers. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre le projet de loi.

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