Le Conseil constitutionnel a tenu ainsi à rappeler en ces temps sombres des règles élémentaires du cadre républicain, vous enjoignant ainsi à y revenir le plus rapidement possible. Dois-je vous rappeler qu’après avoir défendu bec et ongles ce qui faisait l’axe du discours de Grenoble et constituait la principale nouveauté de ce projet de loi, à savoir la déchéance de la nationalité, vous avez reculé pour ne pas subir le même revers. Faites encore un effort, mes chers collègues, et écoutez-nous plus attentivement aujourd’hui.
Tout d’abord, l’article 2 vise à introduire à l’article 21-24 du code civil un nouvel alinéa qui dispose que l’étranger souhaitant acquérir la nationalité française signe une charte des droits et devoirs du citoyen français. Cette charte fera l’objet d’un décret approuvé par le Conseil d’État.
Je suis surpris de voir que l’adhésion aux valeurs de la République puisse faire l’objet d’un contrat. L’adhésion et le contrat reposent en effet sur deux logiques fort différentes. L’adhésion se mesure non pas à un paraphe, mais à une réelle conviction dont le contrat ne peut témoigner.
Toutefois, un point particulier a attiré notre attention en tant que législateur. Le renvoi de la rédaction et de l’approbation de cette charte au pouvoir réglementaire nous semble contraire à l’article 34 de la Constitution. En votant une telle disposition, le Parlement se place en deçà de sa compétence, tandis qu’il méconnaît l’exigence constitutionnelle de clarté et de prévisibilité de la loi.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel est pourtant sans aucune ambiguïté en la matière. Dans sa décision du 15 novembre 2007, celui-ci affirme « qu’il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lui imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques », dans le but de « prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur les autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi ».
Nous ne voulons pas discuter de cette charte une fois que vous l’aurez écrite, monsieur le ministre, nous voulons en délibérer et la voter, parce qu’elle relève de la loi !
En vertu de l’article 34, nous devons fixer les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens. Pourtant, l’article 2 de ce projet de loi nous invite à nous défausser, au profit du pouvoir réglementaire, de notre responsabilité en matière d’élaboration de cette charte.
Je suppose que l’on arguera du caractère non normatif de celle-ci pour légitimer son renvoi à un décret. Pourtant, c’est bien la signature de la charte qui conditionnera l’accession à la citoyenneté française. Aussi cette charte déterminera-t-elle in fine la nationalité. Dès lors, c’est au Parlement de l’approuver.
Il est vrai que votre gouvernement ne tient guère en estime le Parlement et qu’il tend régulièrement à le considérer comme un simple relais de son action, méprisant sa qualité de colégislateur.
Puisque la Constitution nous le permet encore, je poursuis mon analyse du texte qui nous est proposé.
L’article 6 vise à créer, sans que la directive Retour nous l’impose, des zones d’attente temporaires. Nous avons insisté pour que l’existence de ces zones soit limitée dans le temps. Mais si la version adoptée par l’Assemblée nationale devait effectivement prévaloir, la création de telles zones irait d’emblée à l’encontre de l’article 66 de la Constitution, qui précise que « nul ne peut être arbitrairement détenu ».
Par définition, créer une zone ex nihilo et sans encadrement juridique constitue le premier pas vers une détention arbitraire. Le législateur ne peut donc laisser libre cours au pouvoir réglementaire en la circonstance.
Un dernier point, sur lequel les élus centristes ont marqué leur réprobation, a fait l’objet de longues tractations entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Les articles 30 et 37 du projet de loi prévoient en effet que le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention, pour autoriser le maintien en rétention administrative d’un étranger, sera de quatre jours et non plus de quarante-huit heures. Ainsi, un étranger pourra, pendant un délai de quatre jours minimums, se trouver privé de liberté par l’autorité administrative.
Vous avez prétendu, monsieur le ministre, qu’un délai moindre serait insuffisant, en particulier s’il s’appliquait le week-end. Très franchement, si telle était votre préoccupation, vous auriez proposé un délai de deux jours ouvrables. Mais vous avez retenu ce délai de quatre jours, qui contrevient à la Constitution.
Pourtant, depuis la décision du 9 janvier 1980 jusqu’à la réponse du 26 novembre 2010 à une question préalable de constitutionnalité, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante. Celui-ci considère en effet que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ».
Qui pourra croire qu’un allongement semblable constitue un respect patent de cette exigence constitutionnelle ? L’allongement lui-même constitue une entorse forte. Mais si l’on considère la manière dont se déroulent concrètement ces procédures, on comprend le recul considérable que vous opérez en matière de droits des individus.
En effet, dans la majorité des cas, la décision préfectorale de placement en rétention intervient après une période de garde à vue. Les étrangers sont donc privés de recours devant un juge du siège pour une durée non pas de quatre jours, mais bien de cinq à six jours.
Vous le savez, mes chers collègues, le Conseil constitutionnel a déjà statué sur les périodes de plus de sept jours ; croyez-vous qu’il changera d’avis pour un ou deux jours de moins ?
Le Conseil constitutionnel tient à ce que ce délai soit le plus court possible. En la matière, il n’y a pas à discuter : un délai de quarante-huit heures est plus court qu’un délai de quatre, de cinq ou de six jours, a fortiori quand vous allongez la durée maximale de rétention de trente-deux à quarante-cinq jours, faisant reculer une nouvelle fois le droit des personnes.
Même si cette éventualité demeure envisageable, je ne crois pas que le Conseil constitutionnel validera deux reculs simultanés portant une telle atteinte à la liberté, droit sacré s’il en est. Sa jurisprudence en la matière est constante.
Ainsi, dans sa décision du 20 janvier 1981, il avait estimé que, au-delà de quarante-huit heures, « l’intervention d’un magistrat du siège pour autoriser […] la prolongation de la garde à vue est nécessaire conformément aux dispositions de l’article 66 de la Constitution […] ». On ne saurait être plus clair !
On me répondra qu’une rétention n’est pas une garde à vue ; elle est pourtant également une privation de liberté et il n’est nul besoin d’entrer dans des querelles byzantines pour s’en convaincre.