Intervention de Josiane Mathon-Poinat

Réunion du 12 avril 2011 à 14h30
Immigration intégration et nationalité — Question préalable

Photo de Josiane Mathon-PoinatJosiane Mathon-Poinat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ai-je besoin de le rappeler ? les normes que contiennent le « bloc constitutionnel » et les traités auxquels la France a souscrit tels la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sont autant de textes qui font partie intégrante du droit positif applicable.

L’application de ces textes donne aux étrangers un socle de garanties minimum et essentiel qu’il est de notre devoir de préserver au nom même de la République.

Certes, nous dira-t-on, un droit des étrangers est possible et permet de prévoir des mesures spécifiques à l’égard de ceux qui ne sont pas nationaux. Mais, mes chers collègues, ne perdons pas de vue que ce droit doit impérativement être concilié avec l’application aux étrangers des droits fondamentaux qu’ils doivent se voir reconnaître !

Pour parler de façon quelque peu abrupte, les étrangers n’en sont pas moins des hommes et doivent donc bénéficier de la reconnaissance et de la garantie des droits inhérents à la nature humaine sans lesquels la dignité de la personne ne saurait être sauvegardée.

Ainsi, ces possibles mesures spécifiques propres aux étrangers ne sauraient fonder n’importe quelle spécificité du statut de ces personnes. Plus précisément, selon le droit communautaire qui vous est si cher, elles doivent être « nécessaires, proportionnées et compatibles avec le respect des droits fondamentaux de la personne humaine ».

Des mesures nécessaires ? Assurément, non ! Le texte que le Gouvernement veut faire adopter est bien autre chose que la « loi de transposition » de textes européens qu’il prétend être.

D’une part, il rassemble des mesures qui vont bien au-delà de ce que commandent les trois directives à transposer, tout en évitant d’intégrer les quelques dispositions un peu favorables aux étrangers que ces directives comportent.

D’autre part, le texte comprend des dispositions modifiant la réglementation dans des champs qui n’ont rien à voir avec ces directives. Il touche aux procédures contentieuses, aux rôles respectifs des juges administratif et judiciaire, à la définition des zones d’attente.

Le Gouvernement a tenté de se placer sur le terrain des chiffres pour faire accepter ses opinions en matière de politique migratoire. Eh bien, ses arguments financiers sont faux !

Premier constat qui balaie vos arguments, aux termes d’une étude très récente de Pôle emploi et du CREDOC, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, 1, 5 million de postes seraient disponibles - il s’agirait, pour l’essentiel, de pourvoir des besoins en main-d’œuvre peu qualifiée -, mais on manquerait de candidats. Un chiffre qui vient contredire la politique gouvernementale élitiste de l’immigration choisie !

Deuxième constat, si la France est bien en tête pour les demandes d’asile, elle est, en revanche, bien en queue de peloton, pour ne pas dire la dernière, s’agissant du taux d’admission des demandeurs, une donnée qui vient contredire l’argument selon lequel la France est plus généreuse que ses voisins européens en termes de droit d’asile, ce qui autoriserait que l’on restreigne ce droit essentiel.

Troisième constat, le rapport sur le coût de l’immigration en 2009 fait apparaître un solde positif pour les caisses de l’État de 12 milliards d’euros, une somme qui vient contredire l’argument selon lequel les étrangers sont une charge lourde pour le budget national.

Des mesures proportionnées et compatibles avec le respect des droits fondamentaux de la personne humaine ? Indéniablement, non !

Je l’ai rappelé, la liberté de circulation, le droit au recours, le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit d’asile, bénéficient à tous les étrangers sans distinction et sont malheureusement autant de droits bafoués dans ce texte, une fois de trop, par des atteintes répétées au principe d’égalité et à l’interdiction de toute discrimination fondée sur les origines.

Concernant la liberté de circulation, nous avons été condamnés par les plus hautes instances internationales pour cette honteuse politique mise en œuvre par le Gouvernement consistant en une « traque aux Roms ». La réponse à cette condamnation est aujourd’hui inscrite dans le projet de loi, avec les notions de « charges déraisonnables pour le système d’assistance sociale » et d’« abus de droit au court séjour » pour empêcher les Roms de faire des allers et retours, partant du postulat que ces personnes ne sont sur le territoire national que pour profiter des prestations sociales.

La directive de 2004 relative aux droits des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles leur donne le droit de circuler et de séjourner librement. Et si, selon cette même directive, il est possible de restreindre la liberté de circulation et de séjour, ce ne peut être que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. En aucun cas ne peuvent donc être invoquées des raisons économiques.

Concernant le droit au recours en matière de rétention des personnes sans papier, dans le projet de loi initial comme à l’issue des deux lectures à l’Assemblée nationale, il avait été décidé que l’intervention du juge judiciaire serait repoussée à cinq jours. La commission a décidé de retarder l’intervention de ce magistrat à quatre jours. C’est loin d’être suffisant.

Valider l’extension du délai de saisine de quarante-huit heures à quatre ou cinq jours, c’est permettre au juge administratif de statuer sur la légalité de la mesure d’expulsion avant que le juge des libertés et de la détention ne se prononce sur le maintien en rétention.

L’étranger pourra donc être expulsé dans ce délai sans aucun contrôle de la régularité de la procédure, ce qui est contraire à l’article 66 de la Constitution relatif à la détention arbitraire, contraire au droit européen et contraire aux directives que vous prétendez vouloir appliquer.

Cette mesure répond à une sournoise stratégie qui consiste à éloigner le plus rapidement possible. Mais elle est dangereuse, car elle ôtera toute possibilité de contrôle et de sanction sur les pratiques administratives et conduira, de fait, à une forme de déni de justice.

Le juge judiciaire, parce qu’il a le pouvoir de remettre en liberté en cas de vice de procédure, dérange à l’évidence l’exécutif. Ne lui en déplaise, le principe de séparation des pouvoirs demeure encore dans ce pays ! Le Parlement ne peut pas accepter que l’on régresse à ce point sur les libertés fondamentales.

Dans le même registre, nous apprenons que le Conseil constitutionnel, saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité, s’est prononcé la semaine dernière sur la question de l’absence de recours suspensif de la procédure d’asile dite « prioritaire ».

Au terme de considérants qui ne nous semblent absolument pas convaincants, il a pourtant déclaré cette procédure conforme à la Constitution. Au considérant 9, en particulier, le Conseil motive sa décision en se fondant sur « l’absence de changement de circonstances de nature à remettre en cause la constitutionnalité de cette procédure ». Il fait fi des mises en garde européennes exhortant pourtant la France à introduire, dans sa procédure d’asile prioritaire, un recours suspensif que pourrait exercer tout demandeur d’asile.

Ainsi le Conseil constitutionnel a-t-il validé une loi qui permet de renvoyer de force des demandeurs d’asile dans leur pays, avant même l’examen définitif de leur demande. Cette décision est en contradiction avec le principe d’un droit au recours effectif, en contradiction avec nos propres valeurs.

Seule la Cour européenne des droits de l’homme pourra désormais juger de la compatibilité de l’absence de recours suspensif avec les normes européennes. Elle devrait trancher cette question le 17 mai prochain, à l’occasion de l’examen du cas d’un demandeur d’asile soudanais. Avec les organisations internationales œuvrant pour les droits de l’homme, telles que Amnesty International, nous continuerons à plaider en faveur d’un changement de notre législation sur ce point.

En ce qui concerne le droit au respect de la vie privée, l’article 21 ter introduit une disposition pénalisant les « mariages gris » fondés sur « une tromperie volontaire sur les sentiments ».

Ce gouvernement n’hésite pas à encadrer pénalement les sentiments, l’intimité des Français et de leurs conjoints. Cela confine au grotesque ! Comment juger les sentiments, l’impalpable ?

Ce faisant, le Gouvernement introduit une exception hallucinante dans le régime juridique du mariage. En effet, la définition de la « tromperie volontaire » équivaut ni plus ni moins à celle du dol, un vice du consentement servant de fondement aux demandes d’annulation de contrats, que l’on a toujours refusé d’appliquer jusqu’à présent à l’institution du mariage et qui trouverait ici une application pénale visant les seuls étrangers.

D’autres dispositions tout aussi inutiles, disproportionnées et intolérables sont prévues dans ce projet de loi.

Je citerai notamment l’augmentation de la durée d’enfermement en centre de rétention, qui peut atteindre quarante-quatre jours, la banalisation du bannissement, les zones d’attente « sac à dos », et ce que je nommerai les tricheries manifestes avec les obligations internationales en matière d’asile.

Mes chers collègues, lors des débats de première lecture, je vous avais demandé, à l’occasion de la présentation d’une motion tendant à opposer la question préalable, de ne pas poursuivre la discussion de ce texte. Philippe Richert m’avait alors rétorqué : « Madame Mathon-Poinat, en demandant que ce projet ne soit pas discuté, vous êtes, je le comprends, dans votre rôle d’opposante ».

Il avait bien tort de restreindre de la sorte notre mission de parlementaires, car il ne s’agit nullement d’une posture, mais de convictions qui dépassent les clivages politiques et sont conformes aux valeurs humanistes que nous portons chacun en nous. Mais peut-être n’est-ce pas le cas de l’autre côté de l’hémicycle ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion