Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je reviens au sujet principal de notre débat ce matin, à savoir la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Cette décision est, à mon sens, tout à fait contestable, et ce pour trois raisons.
La première est que nous allons fragiliser l'ensemble du système de financement des infrastructures de transport en France. Le système qui avait été mis en place dans notre pays en 1955 a permis d'assurer, sans apport budgétaire important, la réalisation d'un réseau autoroutier moderne, grâce à deux mécanismes principaux.
Le premier était fondé sur le recours à l'usager plutôt qu'au contribuable, c'est-à-dire au péage plutôt qu'à l'impôt.
Le second mécanisme, que l'on a oublié depuis, car il a disparu, était l'adossement. Celui-ci permettait une péréquation entre les différentes sections d'autoroutes, les recettes provenant des plus anciennes d'entre elles, et donc des plus rentables, finançant les sections les plus nouvelles et donc les moins rentables.
Il a fallu mettre fin à ce mécanisme en 2001, pour des raisons de droit européen de la concurrence. Il en est résulté deux conséquences, l'une directe, l'autre indirecte. D'une part - c'est la conséquence directe -, la durée des concessions a dû être allongée, ce qui, au passage, a permis aux SEMCA, les sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes, d'empocher un petit pactole ; d'autre part - c'est la conséquence indirecte -, il a rapidement fallu pérenniser le financement de ces infrastructures, notamment en leur affectant les dividendes des SEMCA.
C'est ainsi qu'est née l'AFITF en 2003, comme l'a rappelé M. le président de la commission des affaires économiques. La création de cette agence a été une bonne idée. Le système mis en place est, en effet, doublement vertueux. Tout d'abord, l'AFITF permet non seulement une péréquation entre autoroutes, mais également entre plusieurs modes de transport, y compris des modes alternatifs. Ensuite, elle a permis de pérenniser le financement des infrastructures de transport par les dividendes des SEMCA. Ces ressources sont, pour certaines, extrêmement dynamiques. D'une part, le trafic augmente de 7 % par an ; d'autre part, ces ressources sont destinées à augmenter du seul fait du désendettement des SEMCA à compter de 2018.
Votre décision de privatiser les sociétés concessionnaires d'autoroutes, monsieur le ministre, vient ébranler ce système.
Ce qui est critiquable, monsieur le ministre, ce n'est pas votre préférence pour le présent plutôt que pour l'avenir - on pourrait d'ailleurs discuter à l'infini de la valeur actualisée des dividendes - c'est le principe même de privatisation et ses conséquences en termes de financement à long terme. En effet, les problèmes ne commenceront qu'en 2012. Votre choix est grave, monsieur le ministre. De plus, il intervient au moment même où vous décidez d'élargir le périmètre de financement et d'intervention de l'AFITF.
Ce qui est grave également, c'est que, en sacrifiant le court terme au long terme, vous cédez à cette manie bien française de toujours remettre en cause la règle, ce qui est source d'instabilité. Les décisions prises hier, qui étaient bonnes, me semble-t-il, sont aujourd'hui devenues mauvaises.
Il est toujours possible de se rattraper, monsieur le ministre. Aussi permettez-moi de vous faire une proposition. Dans un rapport datant de 2003, M. Jacques Oudin, alors sénateur, avait estimé à 23 milliards d'euros le montant de l'impôt sur les sociétés que les SEMCA paieront jusqu'à la fin des concessions. Ma proposition est simple, monsieur le ministre : affectez le montant de cet impôt à l'AFITF, tout simplement ! Cela serait, me semble-t-il, économiquement raisonnable et politiquement équitable.