Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 20 octobre 2005 à 9h30
Développement et financement des infrastructures de transport — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

La deuxième raison pour laquelle la décision de privatiser les sociétés concessionnaires d'autoroutes est contestable est que l'on va encourager la monopolisation dans ce secteur, et ce de deux manières.

Tout d'abord, nous allons placer dans les mains de quelques-uns, celles de grandes majors du BTP, l'ensemble du système autoroutier, la construction et l'exploitation. Quid des petites entreprises ?

Ensuite, nous allons mettre un terme à ce qui, en droit européen, se nomme le pouvoir adjudicateur. Lorsque les SEMCA étaient majoritairement détenues par l'Etat, elles étaient des pouvoirs adjudicateurs. A ce titre, elles devaient respecter des règles de mise en concurrence, comme l'a d'ailleurs rappelé le Conseil d'Etat dans un avis en 2002. Cela n'est pas contestable.

Lorsqu'elles seront privatisées, les SEMCA ne seront plus des pouvoirs adjudicateurs et ne seront donc plus soumises aux mêmes règles de concurrence, notamment en termes de publicité et d'appel d'offres, ce qui est dommage. Les coûts des travaux et des péages augmenteront. On constate d'ailleurs que c'est déjà le cas pour Cofiroute, qui est une société entièrement privée. Les montants de ses péages sont en effet de 40 % à 70 % plus élevés que ceux de ses consoeurs.

La troisième raison pour laquelle la décision de privatiser les sociétés concessionnaires d'autoroutes me paraît contestable est que l'on se trompe sur le sens de cette privatisation et sur la ligne de partage entre, d'une part, ce qui relève de la responsabilité de l'Etat et, d'autre part, ce qui relève de celle du secteur privé.

Les privatisations peuvent avoir du sens - et elles en ont souvent - dès lors qu'elles s'inscrivent dans un cadre concurrentiel, dès lors également que le secteur privé peut faire mieux, au moins au même prix, voire à un prix inférieur, que le secteur public. Or tel n'est pas le cas dans le secteur autoroutier, le « gâteau » étant déjà partagé en monopoles géographiques du fait de la réforme de 1994. De plus, il n'y a pas, en la circonstance, d'incertitude pour le secteur privé. Il n'y a pas de risque ! Les augmentations du trafic, les montants des péages, les perspectives de désendettement sont connues. Martin Bouygues l'a d'ailleurs très bien dit : on va transformer les actionnaires en détenteurs d'obligations.

En fait, monsieur le ministre, en privatisant les sociétés concessionnaires d'autoroutes, vous privatisez surtout la rente autoroutière ! Plus grave encore, vous mettez à mal le système d'aménagement du territoire. Chacun se rend bien compte qu'il ne peut y avoir d'aménagement du territoire sans infrastructures. Jean Puech l'a très bien dit. Il ne peut non plus y avoir d'emplois sans infrastructures.

Les sociétés concessionnaires d'autoroutes étaient pour l'Etat des instruments d'aménagement du territoire. Elles réalisaient, via l'AFITF, la péréquation que j'ai décrite tout à l'heure. En ébranlant ce système, on porte un coup à l'aménagement du territoire, au moment où, selon le Conseil général des ponts et chaussées, il reste un peu plus de mille kilomètres d'autoroutes non rentables à réaliser.

S'agissant, par exemple, de l'A 831, qui relie la région Poitou-Charentes à la région Pays de la Loire, on va nous demander une subvention d'équilibre de 50 %. Il y aura les recettes provenant des péages et le produit de l'impôt. Ce sera plus compliqué.

Monsieur le ministre, puisque votre décision est prise, il est indispensable que l'Etat conserve sa fonction régulatrice, au-delà des seuls contrats de concession. La privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes pose la question de l'aménagement du territoire, mais aussi, plus généralement, de la productivité globale de notre économie.

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