Intervention de Dominique Bussereau

Réunion du 25 novembre 2004 à 11h30
Loi de finances pour 2005 — Discussion d'un projet de loi

Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Nicolas Sarkozy vient de présenter l'ambition que nous proposons à la France à travers ce projet de budget. Pour ma part, je vais décrire comment ce budget reflète, dans la pratique, de grands choix politiques.

Comme la commission des finances l'a relevé avec une grande sûreté de jugement et une grande finesse d'analyse, nous avons fait le choix de la responsabilité budgétaire. Il s'agit pour nous de la seule clé d'une croissance durable et généreuse.

Instruits par les mises en gardes pédagogiques et salutaires de la Haute Assemblée, habités d'un vrai désir de reprendre les commandes de nos comptes publics, nous sommes parvenus à proposer une réduction historique du déficit.

En 2005, ce déficit sera encore de 44, 9 milliards d'euros, mais c'est tout de même 10 milliards de moins que le déficit figurant dans la loi de finances pour 2004. Jamais auparavant dans notre histoire budgétaire, nous n'avions réussi à faire autant reculer, en une seule année, le déficit de l'Etat.

Comme Nicolas Sarkozy l'a indiqué, nous avons bénéficié du retour de la croissance, que notre politique économique a suscité.

Les prévisions de recettes fiscales pour l'année 2005, soit 272, 1 milliards d'euros, s'appuient sur une base 2004 revue sensiblement à la hausse. Mais cette progression n'est pas le fruit du hasard : nous sommes allés la chercher.

Aux prises avec une conjoncture difficile, nous avons opté pour un comportement responsable. Plutôt que de tenter de compenser ces chutes de revenus et de compromettre à coup sûr toute chance de reprise, nous avons décidé de laisser jouer les stabilisateurs automatiques. Nous avons ensuite été capable de saisir au vol la reprise et d'en maximiser les effets.

Je voudrais rappeler que le texte relatif au soutien à la consommation et à l'investissement que le Gouvernement a présenté au printemps a contribué à créer les conditions d'un redémarrage rapide. Nous sommes donc sur la voie d'une croissance dynamique. Cela nous permet d'espérer, pour la fin de l'année, 5 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires entièrement affectées à la réduction du déficit.

L'autre raison qui explique ce recul inédit du déficit tient à la persévérance dont nous avons fait preuve dans l'effort de maîtrise des dépenses. Je sais que votre commission des finances y est extrêmement sensible.

Les dépenses nettes de l'Etat, à structure constante, s'élèvent à 288, 8 milliards d'euros : elles n'augmentent pas plus que l'inflation, monsieur de Montesquiou, soit 1, 8 %. L'objectif dit « zéro volume » fixé par le Premier Ministre est tenu, et cela, Alain Lambert le sait bien, pour la troisième année consécutive. C'est un résultat, là encore, suffisamment nouveau dans notre histoire budgétaire pour qu'il soit souligné. Je voudrais rendre un hommage particulier à Alain Lambert, qui a bataillé avec force pour que cette exigence soit respectée.

C'est en inscrivant cette norme de stabilité de la dépense dans nos moeurs politiques que nous rendons crédible ce cap de responsabilité.

Le premier sujet d'inquiétude, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le connaissez bien : c'est la charge de la dette. D'un montant de 39, 5 milliards d'euros, elle est en hausse de 1, 2 milliard d'euros, soit 3 %, entre 2004 et 2005. Il s'agit là d'une hausse somme toute modérée qui doit beaucoup aux effets de la réduction du déficit que nous avons engagée depuis deux ans et demi, et aussi - pourquoi ne pas le dire ? - à la baisse des taux.

Toutefois, il ne faudrait pas se réjouir trop tôt de cet effet taux qui ne durera que tant que subsistera un différentiel entre le taux moyen de la dette et le taux moyen du marché. Or l'on peut craindre que le répit ne soit de courte durée et qu'un retournement sur les marchés des taux ne nous expose à un risque fort. J'en donnerai un seul exemple : une augmentation de 1 % du taux d'intérêt de la dette aurait pour conséquence de renchérir son service d'un milliard d'euros la première année, puis de 3 milliards d'euros la seconde année.

Notre deuxième préoccupation concerne la montée en charge des dépenses de retraite des fonctionnaires. En 2005, les dépenses de pensions civiles et militaires, indexées depuis l'an dernier sur l'évolution des prix, augmenteront automatiquement de 2 milliards d'euros. Dès lors, il est aisé d'apprécier les efforts que nous avons déployés pour stabiliser les dépenses de l'Etat en volume, puisque, en parallèle nous avons dégagé les moyens nécessaires au financement de l'ensemble des priorités politiques du Gouvernement.

Monsieur le président du Sénat, vous avez souligné tout à l'heure que ce projet de loi de finances était à la fois le dernier du genre et l'amorce d'une nouveauté.

Pour ma part, j'articulerai mon propos autour de trois thèmes.

D'abord, je ferai le point sur la réforme budgétaire ; ensuite, je m'attarderai sur un sujet qui intéresse particulièrement le Sénat, et sur lequel ce dernier a beaucoup travaillé, je veux parler de la réforme de la redevance audiovisuelle ; enfin, j'évoquerai le financement des collectivités territoriales.

Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai le sentiment, en dehors de la conjoncture politique de cette fin de semaine, de vivre un moment particulier. En effet, c'est la dernière fois que nous discutons du projet de loi de finances sous sa forme actuelle, qui, je le rappelle, est en vigueur depuis 1959. Dès l'année prochaine, nous serons dans le cadre de la LOLF, et il faut rendre hommage, là encore, aux pères fondateurs de cette dernière, qui ont su nous ménager une période de transition. C'est ainsi que nous pouvons, dès cette année, tester « à blanc » les nouvelles règles en vigueur.

Vous avez ainsi eu entre les mains, mesdames, messieurs les sénateurs, deux versions du projet de budget pour 2005 : pour la dernière fois, la version en vigueur depuis 1959 et qui distingue les crédits de personnel, de fonctionnement, d'investissement, mais aussi la nouvelle version, dans laquelle les moyens de l'Etat sont présentés par grande politique publique. Cela vous permettra de comparer les deux présentations, l'ancienne et la nouvelle.

Il ne s'agit pas seulement d'un changement de nomenclature, d'un coloriage ; c'est une évolution radicale.

Cette nouvelle présentation offre une vision stratégique de la dépense publique : 132 programmes, correspondant chacun à une politique gouvernementale précise et identifiable, vont prendre le relais des 850 chapitres budgétaires, offrant ainsi une perspective d'ensemble sur l'action gouvernementale.

Cette révolution n'est pas une vue de l'esprit. Elle va changer la donne. Je voudrais en donner un exemple précis à travers un budget que le Sénat examine toujours de très près, celui du ministère de l'agriculture.

Dans sa présentation classique, ce budget présente 4, 9 milliards d'euros, répartis entre crédits de fonctionnement, fonds d'intervention, investissements et subventions d'investissement. Finalement, il contient assez peu d'informations pratiques sur la politique agricole de notre pays.

En nouvelle présentation, vous pouvez constater, mesdames, messieurs les sénateurs, que ces 4, 9 milliards d'euros financent six grandes politiques publiques : 1, 5 milliard d'euros pour la gestion durable de l'agriculture ; 710 millions d'euros pour la valorisation des produits et les marchés ; 325 millions d'euros pour la forêt ; 1, 2 milliard d'euros pour l'enseignement agricole ; 500 millions d'euros pour la sécurité alimentaire et 410 millions d'euros pour les fonctions de soutien.

Je dois dire que, jamais, un tel niveau de lisibilité n'avait été atteint au sein d'un budget dans les comptes de l'Etat. Cela se vérifiera dans d'autres domaines, tels que la sécurité routière, le développement de l'emploi, la vie de l'élève dans le budget de l'éducation nationale, etc.

De cette façon, les parlementaires, les médias et tous nos concitoyens pourront se rendre compte du coût de l'action de l'Etat, savoir si cette action est utile, comment elle est mise en oeuvre et quels en sont, bien sûr, les résultats.

S'agissant du personnel, la ventilation précise des moyens imposée par la LOLF ne constitue pas un changement anodin, puisqu'elle va redonner tout son sens à l'autorisation parlementaire. J'espère, en outre, qu'elle provoquera chez les responsables de programmes une prise de conscience des impératifs d'une gestion plus moderne des ressources humaines de l'Etat.

J'ajoute que cette architecture budgétaire, pour laquelle la Haute Assemblée n'a pas ménagé sa peine, n'est pas la seule nouveauté.

Nous introduisons trois évolutions importantes : une nouvelle comptabilité de l'Etat, inspirée des entreprises ; une réforme du contrôle financier ; enfin - à cet égard, je souhaiterais que nous réfléchissions ensemble, dans les mois à venir, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général - une refonte de la procédure budgétaire afin d'accélérer et de faciliter les arbitrages, mais aussi pour mettre en oeuvre, comme le souhaite M. le Premier ministre, un nouveau processus de décision.

En fin de compte, mesdames, messieurs les sénateurs, dans cette nouvelle donne, le montant des enveloppes comptera moins que la manière de les dépenser, et cette nouvelle manière de travailler, engagée par MM. Francis Mer et Alain Lambert, doit nous aider à passer du « toujours plus » au « toujours mieux ».

Nous allons redonner au budget son rôle central d'instrument des choix du Gouvernement et de pierre angulaire de l'action publique, grâce à une vision stratégique de l'Etat, à l'amélioration du pouvoir d'autorisation et de contrôle du Parlement, non seulement sur les dépenses et les recettes, mais aussi sur les résultats de gestion. Par ailleurs, à l'occasion de chaque projet de loi de règlement, vous pourrez, mesdames, messieurs les sénateurs, juger de ce qui a été réalisé, de ce qui n'a pas été fait, et nos compatriotes sauront ainsi ce qui est advenu de leurs impôts.

J'évoquerai maintenant un sujet sur lequel l'Etat s'exprime peu ; je veux parler de la performance. Nous voulons introduire dans la gestion étatique une gestion tournée vers les résultats, avec, comme critère prioritaire, la meilleure manière de dépenser.

Comment avons-nous avancé sur ce chemin de la performance ?

Dans ce projet de budget, nous avons mis en place des critères de performance autour des quatre-vingts responsables de programmes. Chaque programme est accompagné d'une présentation, de tableaux, de stratégies, d'objectifs de gestion. Le Parlement dispose ainsi désormais d'un tableau de bord comprenant plus de 670 objectifs pour 1 300 indicateurs.

Je prendrai un exemple précis pour illustrer mon propos.

Concernant le budget de la justice, l'un des objectifs fixés à la « justice judiciaire » est de « rendre des décisions de qualité dans des délais raisonnables », tant en matière civile qu'en matière pénale. Pour ce faire, des indicateurs de qualité de service seront mis en place afin de réduire « le délai moyen de traitement des procédures par type de juridiction », ainsi que des indicateurs d'efficience de la gestion, par exemple, en augmentant le « nombre d'affaires traitées par magistrat ». Chaque politique sera donc évaluée du point de vue tant du citoyen que de l'usager ou du contribuable.

Nous entrons ainsi dans une nouvelle culture de la performance. Les « bleus » sont remplacés par des « avant-projets annuels de performance » et, naturellement, vos observations et vos commentaires concernant ces documents seront les bien venus.

La loi organique engage une réforme que nous avons en partage : une étroite association entre le Gouvernement et le Parlement doit, en effet, aboutir, au-delà des clivages, à un consensus, à l'instar de ce qui s'est passé la semaine dernière, à l'Assemblée nationale, où un tel consensus s'est dégagé, en dehors de l'opposition du groupe communiste.

Par ailleurs, en 2005, nous expérimenterons en grandeur réelle ce nouveau cadre, qui concernera 600 000 agents publics et représentera 28 milliards d'euros de crédits, soit 10 % du budget total de l'Etat.

J'en viens à la redevance audiovisuelle.

Nous sommes aujourd'hui en mesure, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous présenter une réforme du mode de recouvrement de la redevance audiovisuelle. Cette réforme est exemplaire en ce qu'elle permet de concilier l'efficacité de l'Etat et la simplification administrative.

Nous avons également veillé à ce qu'elle n'entraîne pas une diminution de ressources pour les chaînes publiques, dont les recettes augmenteront de 2, 4 % l'an prochain, soit bien au-delà du taux de l'inflation ; d'ailleurs, vos collègues de l'Assemblée nationale ont adopté un amendement qui garantit ce niveau de progression.

Chacun sait que le coût de recouvrement de cette redevance était devenu trop élevé, puisqu'il représentait 3, 3 % du total collecté - à titre de comparaison, ce ratio n'est que de 0, 47 % pour l'impôt sur le revenu - qu'un trop grand nombre de contribuables ne payaient pas cette redevance et que certains d'entre eux, parmi les plus modestes, rencontraient des difficultés pour l'acquitter.

Nous avons mis au point un mécanisme simple, efficace et équitable : la redevance sera adossée, pour les entreprises, à la TVA et, pour les ménages, à la taxe d'habitation ; une seule redevance par foyer quel que soit le nombre de résidences ou de téléviseurs, voilà qui est limpide !

La redevance sera perçue automatiquement, sauf si le contribuable déclare ne pas posséder de téléviseur.

Tout cela devrait nous conduire à mieux recouvrer cette redevance, donc à faire des économies et à permettre au contribuable de payer par mensualisation ou par télépaiement.

Enfin, il faut rappeler que cette réforme est empreinte de justice sociale. Non seulement les foyers déjà exonérés de la redevance conserveront ce droit, mais 1 million de foyers supplémentaires n'auront plus à la payer ; je pense notamment aux RMIstes.

Cette réforme, on en parlait depuis vingt ans : nous vous proposons de la mettre en oeuvre dès cette année !

Autre pilier de notre effort de modernisation : les nouvelles modalités de financement des collectivités locales.

Ce projet de loi de finances est particulièrement favorable aux collectivités locales. Le contrat de croissance et de solidarité est prolongé pour 2005. La hausse de la seule dotation globale de fonctionnement, qui représente 62 % des concours de l'Etat, sera de 3, 29 % ; une telle progression n'a été atteinte que deux fois depuis 1996.

Au-delà de ces données très favorables, je souhaiterais m'attarder quelque peu sur deux réformes importantes que nous mettons en place à travers ce projet de budget.

La première a trait au financement des transferts de compétences liés à la décentralisation.

Dès 2005, les régions bénéficieront de l'affectation d'une part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, pour un montant de près de 400 millions d'euros. Quant aux départements, ils bénéficieront d'une part de la taxe sur les conventions d'assurance contre les risques relatifs aux véhicules, pour un montant de 120 millions d'euros. Ces sommes progresseront, bien entendu, dans les prochaines lois de finances, au rythme de l'entrée en vigueur effective des nouveaux transferts de compétences. Il s'agit là d'impôts dont le rendement est bon.

La seconde réforme concerne la dotation globale de fonctionnement.

Les modalités de répartition entre les collectivités locales du principal concours de l'Etat sont un enjeu majeur pour le développement du territoire. A elle seule, la DGF représente 37 milliards d'euros. Nous renforçons dès 2005 la péréquation entre collectivités afin d'accroître la part des collectivités les plus défavorisées, qu'elles soient urbaines ou rurales, sans pénaliser les autres.

Chacun se souvient que la première étape de cette réforme avait été inscrite dans la loi de finances de l'an passé. Par conséquent, avec un taux d'indexation très favorable, nous rationalisons la dotation forfaitaire des communes : une dotation de base en euros par habitant ; une dotation calculée en fonction de la superficie des collectivités - c'était une demande insistante des collectivités territoriales - enfin, un complément garantissant à toutes les communes le maintien de leur dotation pour 2004.

Certes, la dotation forfaitaire des communes ne progressera que de 1 % cette année, et ce à la suite d'un amendement voté à l'Assemblée nationale.

Certains parmi vous considéreront peut-être cela comme insuffisant, mais il s'agit tout de même d'une progression importante puisqu'elle est équivalente à celles de 2003 et de 2004.

Enfin, grâce à l'élargissement de la DGF, réalisé dans la loi de finances pour 2004, il est possible de garantir cette progression de 1 %, tout en réalisant un effort très significatif en faveur de la péréquation. Dans cette optique, le présent projet de budget rénove les critères d'attribution afin de mieux diriger les dotations vers les collectivités qui en ont le plus besoin. Il s'agit donc là d'une vraie réforme, destinée à assurer un financement de base à toutes les collectivités et à compenser les inégalités entre territoires - cela a d'ailleurs fait l'objet d'âpres discussions lors du congrès des maires - pour renforcer la cohésion nationale.

Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les voies de modernisation que Nicolas Sarkozy et moi-même vous proposons dans ce projet de loi de finances pour 2005.

Je forme le voeu que la discussion qui va s'ouvrir, à la suite des exposés de M. le rapporteur général et de M. le président de la commission des finances, soit riche, stimulante et qu'elle soit de nature à améliorer encore ce projet de budget pour la France.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion