Ils vous demandent également une petite augmentation qui est destinée à vivre le temps de la conférence de presse. Ensuite, Matignon arbitre et la somme des priorités ministérielles efface toute la visibilité que vous avez voulu donner au cap budgétaire.
Ma proposition, c'est qu'il faut nous doter d'une sorte de Conseil du Trésor.
Nos voisins nous ont montré la voie en la matière. La plupart des pays développés ont organisé leurs arbitrages budgétaires autour d'une instance interministérielle politique et, surtout, collégiale.
En France, nous sommes restés dans un jeu de rôles où chaque ministre gestionnaire mise sur son poids politique et sur l'épuisement des arbitres.
Pourquoi, dès lors, ne pas mettre en place un Conseil du Trésor, à l'instar de ce qu'a fait le Canada ? Il s'agirait d'un comité qui réunirait, par exemple sous votre présidence, monsieur le secrétaire d'Etat, les principaux ministres. Ceux-ci fixeraient alors conjointement et solidairement le cadrage d'ensemble ; ils examineraient les demandes des ministères ; ils arbitreraient les grandes masses et ils les soumettraient à la décision du Premier ministre.
Cette méthode aurait le mérite d'engager personnellement chacun des ministres dans l'oeuvre collective de redressement de nos finances publiques.
Elle permettrait ensuite à chaque ministre d'être son propre ministre des finances, ainsi que nous y invite la LOLF, et le ministre du budget deviendrait alors une sorte de facilitateur des réformes et non plus l'obstacle permanent que l'on cherche à contourner chaque jour.
J'en viens aux ressources humaines de l'Etat.
Les agents de l'Etat sont d'abord et avant tout des personnes et non des effectifs. Ils ne constituent pas une variable d'ajustement des déficits publics. Ayons la franchise de dire que c'est la première richesse de l'Etat, mais aussi sa première dépense. Or, cette dépense ne peut pas continuer à croître.
Les dépenses de personnel ont contribué à plus de la moitié de l'augmentation totale des dépenses sur la période. En vingt ans, l'emploi public a augmenté deux fois plus vite que l'emploi total. Alors, disons-le honnêtement, et, si possible, disons-le tous : notre nation ne peut pas consacrer davantage aux dépenses de personnel.
Parallèlement, qu'est-ce que l'Etat est en mesure de proposer aux fonctionnaires depuis plusieurs années, sinon une gestion administrative et budgétaire, focalisée sur les corps et l'évolution du nombre ?
La gestion publique va se moderniser grâce à la LOLF et c'est l'occasion de s'orienter vers une gestion moderne des ressources humaines de l'Etat. Comment, en effet, envisager de gérer des millions de personnes selon des principes fixés il y a soixante ans et tout juste revus il y a vingt-cinq ans ?
A nous de trouver, monsieur le secrétaire d'Etat, un équilibre entre cette ressource exceptionnelle et son coût, et à nous aussi de promouvoir des modes de gestion modernes des agents de l'Etat.
J'en viens, après ce constat, à ma proposition : il faut atteindre le « zéro valeur ».
Ne pas remplacer un fonctionnaire partant à la retraite sur deux a été une étape importante. J'ai pour ma part contribué à son application. C'est une très bonne décision que vous mettez vous-même en oeuvre. Elle est appliquée avec intelligence, en ménageant les priorités du Gouvernement. On pourrait parfois souhaiter qu'elle le soit avec plus d'exigence dans certains ministères.
Mais cette norme, en termes d'effectifs, n'est pas suffisante. Elle se heurte aux modes de décompte archaïques des emplois publics, qui vont être modernisés avec la mise en oeuvre de la LOLF, et elle estompe l'objectif final qu'est la maîtrise des dépenses de rémunération d'activité.
Je propose donc, monsieur le secrétaire d'Etat, de se fixer un objectif dont je mesure parfaitement qu'il est extraordinairement exigeant, voire volontariste. Cet objectif, c'est la stabilisation en valeur, donc en euros courants, du coût des ressources humaines de l'Etat.
Evidemment, ce « zéro valeur » ne s'appliquerait qu'aux rémunérations d'activité et non pas aux pensions, puisque tout le monde sait qu'il s'agit de l'héritage du passé.
Toutefois, cet objectif a des vertus fortes.
Il garantit aux Français que leur fonction publique ne leur coûtera pas plus d'une année sur l'autre.
Il libère une marge de manoeuvre pour faciliter le financement des nouveaux besoins liés, par exemple, au coût du vieillissement.
Il quantifie les gains de productivité à réaliser et fixe la clef de répartition équitable de ces gains entre les Français et les agents de l'Etat.
Il est un acte de confiance de la nation à l'endroit des agents de l'Etat et il appelle en parallèle une modernisation des modes de gestion des ressources humaines.
J'en viens au troisième sujet : la dette.
Tout a été dit, sauf que ce ne sont pas vingt-trois ou vingt-cinq années budgétaires qui doivent être constatées en déficit : c'est, hélas ! à mes yeux, trente années successives de déficit qui se lisent dans la progression de la dette.
Ainsi, le stock a été multiplié par dix en trente ans ; la part de la dette dans la richesse nationale a triplé en vingt ans ; outre le fait que ce niveau d'endettement, historiquement, est rare en période de paix, car les endettements passés résultaient de conflits armés, notons qu'aujourd'hui il est supérieur à 60 % de la richesse nationale, alors qu'il n'était que de 40 % au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
Le résultat est le suivant : le service de la dette est devenu, avec l'éducation nationale, la première politique publique de notre pays : la charge d'intérêts a été multipliée par dix en vingt-cinq ans ; sa part dans le budget général a été multipliée par sept en trente ans ; les intérêts absorbent 80 % des recettes de l'impôt sur le revenu, contre 20 % seulement il y a vingt-cinq ans.
Quant aux investissements - nous y sommes sensibles, dans cette maison - il y a vingt ans, ils représentaient 30 % de plus que les intérêts de la dette. Aujourd'hui, ces intérêts représentent deux fois et demie le total des investissements.
La conscience de la dette est nulle chez nos compatriotes. Or l'endettement de l'Etat est celui des Français. Chaque Français porte 16 600 euros de dette publique !
Je propose donc de refinancer une petite partie de notre dette actuelle auprès des Français, au moyen d'un emprunt sans intérêts mais exonéré de droits de succession.
Les avantages en seraient nombreux : premièrement, cela permettrait d'alléger le coût immédiat de cette dette ; deuxièmement, cela donnerait la possibilité de soulager en partie les générations futures du coût de notre inconscience financière collective ; troisièmement, cela contribuerait à faire prendre conscience que la dette de l'Etat est la dette de chaque Français, qu'elle engage chacun d'entre nous.
Bien sûr, je connais tous les inconvénients de cette proposition, tant en matière fiscale qu'en matière financière. Mais il nous faut, mes chers collègues, éveiller les Français à la dimension d'une dette que ni l'inflation ni les dévaluations ne viendront plus jamais alléger.
J'en viens à ma conclusion.
Ces pistes de réflexion, monsieur le secrétaire d'Etat, ont exclusivement pour objet de nourrir le débat. C'est pourquoi elles n'ont pas été présentées sous forme d'amendements, mais elles peuvent - et je m'adresse là à nos collègues de l'opposition -, comme ce fut le cas pour la LOLF, recueillir un large consensus, car il s'agit, au fond, de réparer les dommages de trente années de déficits publics ininterrompus, de quoi clore toute polémique politicienne.
Ce consensus, mes chers collègues, est indispensable pour engager de manière courageuse et déterminée le redressement de nos finances publiques que nous devons à nos enfants.
Ce consensus est urgent, car nos finances sont hors d'état de supporter le coût cumulé du poids de la dette, des pensions, du vieillissement de notre population, des retraites et des dépenses d'assurance maladie qui, inévitablement, continueront de croître.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, reprendre les commandes de nos finances publiques, c'est précisément l'honneur de la politique, qui est aussi de préparer l'avenir.