Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la discussion générale vient de montrer avec une certaine acuité que le projet de loi de finances dont nous débattons est, pour le moins, au centre de multiples interrogations.
La première interrogation procède de la confection même de ce projet de loi de finances, et notamment de son cadrage macro-économique, à propos duquel on en vient à se demander s'il n'a pas été délibérément enjolivé pour un simple effet d'affichage.
Comme par enchantement, les perspectives économiques associées au présent texte permettent de revenir sous la barre des 3 % de déficit public, au sens « européen » du terme, tandis que l'essentiel de la plus-value fiscale dégagée grâce à la croissance est affecté à la résorption du déficit.
Les conjoncturistes semblent pourtant être aujourd'hui beaucoup plus prudents, et, pour reprendre le titre récent d'un grand quotidien du soir, « la majorité s'apprête à voter une loi de finances dont l'exécution va s'avérer difficile ».
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour tous ceux qui ont en mémoire l'histoire budgétaire la plus récente, avouez que cela pose problème !
Une fois encore, après les lois de finances pour 2002 et pour 2003, nous sommes en présence d'un projet de loi de finances dont les présupposés sont pour le moins discutables.
Je ne citerai qu'un simple exemple, qui se suffit d'ailleurs à lui-même : dans le projet de loi de finances, le Gouvernement retient, pour 2005, un prix moyen du baril à 36, 5 euros, alors qu'il se situe aujourd'hui entre 50 euros et 55 euros.
De la même manière, il retient une parité euro-dollar à hauteur de 1, 22 dollar pour un euro, alors que l'appréciation de la monnaie unique est plus significative.
Par conséquent, quelles incidences une réduction de la croissance réelle pourrait-elle donc avoir sur l'exécution budgétaire, sinon, d'ailleurs, de rendre la situation encore plus difficile ?
De plus, dans un tel cas, nous risquerions de voir réapparaître les solutions dont nous avons goûté les délices depuis 2002, c'est-à-dire le gel de la dépense publique, annoncé dès le mois de janvier, l'encre du Journal officiel contenant le texte de la loi de finances ayant à peine séchée, avant son annulation pure et simple au printemps ou au détour d'un arrêté pris en plein été et validé à la va-vite dans un collectif de fin d'année.
Or, pendant ce temps, nous aurons le bonheur de constater que les menus cadeaux fiscaux figurant dans le texte de la loi de finances trouveront leur pleine application.
Sur ce point, force est de constater qu'il y a, en quelque sorte, quelque chose d'acquis.
A cet égard, faisons un point rapide des différentes mesures prises depuis 2002 et ayant un impact sur la réalité de l'exécution de la loi de finances.
L'impôt sur le revenu devrait connaître une augmentation globale de son rendement de plus de 2, 5 milliards d'euros.
Après trois lois de finances marquées par la réduction du barème, nous constatons un mouvement inverse s'agissant du produit de l'impôt, mais cette réalité recouvre des mouvements de fond beaucoup plus contestables.
Ainsi le produit de l'impôt est-il réduit d'environ 920 millions d'euros, soit près de 2 %, du fait de plusieurs mesures qui sont surtout intéressantes pour les plus hauts revenus.
Par exemple, dans cet ensemble, nous trouvons 450 millions d'euros offerts sur un plateau d'argent aux détenteurs de plusvalues imposables, 280 millions d'euros découlant de l'application de la loi pour l'initiative économique, 55 millions d'euros provenant du dispositif de Robien, ou encore 190 millions d'euros de réductions d'impôt accordées aux investissements outre-mer réalisés par les particuliers les plus aisés.
Les ajustements de l'impôt sur le revenu sont compensés, soit dit en passant, par l'accroissement significatif des recettes tirées de la perception des droits indirects, notamment les 8 milliards d'euros que l'Etat attend au titre de l'augmentation du produit de la taxe sur la valeur ajoutée.
S'agissant de l'impôt de solidarité sur la fortune - j'insiste, d'ailleurs, sur le mot « solidarité » -, l'obsession de la droite parlementaire semble bien être de rogner les ailes de cet impôt, au rendement pourtant limité de 2, 8 milliards d'euros, bien loin de la valeur imposable des patrimoines concernés, comme d'ailleurs du dynamisme de la valeur des patrimoines euxmêmes, qu'ils se composent de titres, cotés ou non, ou de biens immobiliers.
Pour la majorité sénatoriale, il est plus important de réduire l'impôt de solidarité sur la fortune, au motif de faciliter l'investissement et l'emploi, que de s'attaquer, par exemple, à une TVA qui, fixée à 19, 6 %, constitue tout de même le principal obstacle à la relance de la consommation populaire.
Néanmoins, tout cela conduit à se poser encore une fois la question : quels effets cet allégement de la fiscalité touchant les patrimoines importants, les entreprises et les ménages les plus aisés a-t-il pu avoir sur la situation économique et sociale du pays ?
On serait tenté de répondre que les effets constatés sont exactement contraires à ceux qui ont été annoncés.
Ainsi, l'une des hypothèses retenues dans le projet de loi de finances est la réduction du nombre des emplois salariés du secteur dit marchand en 2003, ce qui représente plus de 80 000 emplois détruits. Le mouvement ne semble pas s'être ralenti en 2004 puisque l'industrie, dont les effectifs continuent de s'étioler, ne voit plus les secteurs du commerce et des services compenser les disparitions d'emplois de production.
Bien au contraire, dans bien des domaines, on continue à « liquider » l'emploi, y compris dans les services et le commerce, par le biais de plans sociaux, tout en précarisant les contrats de travail.
Dans le même temps, les facilités financières laissées à certains contribuables n'ont conduit qu'à favoriser l'optimisation fiscale et une nouvelle accumulation de capital, grâce aux investissements spéculatifs « aidés ».
Si la situation de l'emploi est fort loin de s'être améliorée, l'accroissement de la rentabilité des entreprises est en revanche manifeste, comme le montre, entre autres réalités, la situation du groupe TotalFinaElf, qui a vu sa rentabilité augmenter de 118 % au premier semestre. Comme quoi la hausse du baril n'est pas perdue pour tout le monde !
En outre, il faut noter le niveau des recettes attendues de l'impôt sur les sociétés, qui devraient croître en 2005 de plus de 5, 5 milliards d'euros, soit une augmentation de plus de 11 %.
C'est donc bien parce que les objectifs assignés au mouvement de réduction des impôts n'ont manifestement pas été atteints depuis 2002 que nous ne pouvons que rejeter toutes les dispositions, encore plus étroitement ciblées, qui font partie de ce projet de loi de finances et qui ne constituent que des cadeaux fiscaux sans contrepartie.
D'ailleurs, ce matin, M. le ministre d'Etat a déclaré ceci : « Sans croissance, on ne réduit pas le chômage et on ne réduit pas le déficit. »
Première remarque : ce n'est pas en réduisant le déficit que l'on réduit les inégalités sociales, sinon cela aurait été prouvé.
Deuxième remarque : il y a eu de la croissance, notamment cette année, et, dans le même temps, environ 80 000 emplois ont disparu.
Troisième remarque : monsieur le secrétaire d'Etat, la durée du travail n'est pas en cause, même si la majorité sénatoriale a largement critiqué les 35 heures. En réalité, c'est le niveau trop élevé de rentabilité du capital qui pose un gros problème. Sur ce point, on peut dire que la France se situe dans le peloton de tête.
Soit dit en passant, monsieur le secrétaire d'Etat, chers collègues de la majorité sénatoriale, on travaille 200 millions d'heures en moins aujourd'hui qu'en 1997. Cette statistique parle d'elle-même et me permet donc de faire l'économie d'une démonstration.