Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon la présentation qui nous en a été faite par le Gouvernement, le budget du ministère de l'éducation nationale est soumis à deux impératifs : promouvoir l'égalité des chances dans tout le système éducatif et développer l'effort national en faveur de la recherche.
Force est de constater que, concernant le premier de ces impératifs, vous passez complètement à côté, et c'est tout particulièrement vrai dans le domaine de l'enseignement supérieur. Quant au second, tout est affaire de faux-semblants.
C'est un doux euphémisme de dire qu'il existe un décalage entre le discours gouvernemental et la réalité de votre politique. C'était déjà le cas, en janvier 2004, quand le Président de la République annonçait une loi d'orientation et de programmation pour la recherche, alors même que la loi de finances votée un mois plus tôt procédait à des coupes sans précédent dans les dotations et les emplois de la recherche publique. De faux-semblants en promesses non tenues, presque deux ans plus tard, les chercheurs continuent à en faire les frais.
J'en veux pour preuve le discours qu'a prononcé M. le Président de la République à Reims, le 30 août dernier.
Principale annonce : « Nous allons dégager des moyens financiers importants, à la hauteur de nos ambitions : 6 milliards d'euros sur trois ans, 3 000 postes supplémentaires en 2006, et autant en 2007. Cela fait plus de vingt ans qu'un tel effort n'avait pas été entrepris. »
Dans les faits, le milliard d'euros supplémentaire annoncé pour la recherche publique, afin qu'elle représente 1 % du PIB en 2010, conformément à l'objectif de Lisbonne, était atteint en loi de finances pour 2006 grâce à un artifice comptable, puisqu'un tiers relevait d'allégements fiscaux liés au crédit d'impôt recherche.
À cela, il faut ajouter l'augmentation du point de la fonction publique, dépense « automatique » et non spécifique à la recherche, ou encore la dotation à l'Agence nationale de l'innovation qui s'adresse aux entreprises privées.
Mais de fictif qu'il était, ce milliard d'euros est devenu totalement virtuel après l'adoption du projet de loi de finances par l'Assemblée nationale. Le Gouvernement a, en effet, en seconde délibération, obtenu une baisse de plus de 57, 2 millions d'euros de la mission recherche et enseignement supérieur, pour alimenter par redéploiement des mesures pour les quartiers en difficulté.
En termes d'emploi scientifique, ce redéploiement se traduit par 13 milliards d'euros de moins pour le programme « Formations supérieures et recherche universitaire », dont plus de deux tiers des crédits portent sur des dépenses de personnel, d'aides aux doctorants et post-doctorants.
M. Chirac déclarait à Reims, cet été : « L'Europe dans son ensemble souffre d'un déficit de chercheurs : l'urgence, c'est d'attirer les meilleurs esprits dans cette carrière, car le moteur de la recherche de demain, ce sont nos doctorants. Et je veux les assurer de notre soutien. »
On peut faire le même constat sur la mondialisation de la recherche, à propos de laquelle le Président de la République déclarait : « Nous sommes aujourd'hui à un moment décisif. Toutes les conditions sont réunies pour que la France passe résolument à l'offensive. Nous allons conquérir de nouvelles positions, et nous placer aux avant-postes de l'innovation industrielle et de la recherche ». Or les propos présidentiels se transforment en une suppression de 19 millions d'euros pour les recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires, dont l'objectif est de constituer un pôle de référence, au niveau mondial, sur des thématiques clés telles que les biotechnologies, les sciences et technologies de l'information et de la communication, les STIC, les nanotechnologies, l'environnement, etc.
Sur le secteur énergétique enfin, on a pu entendre : « Le prix du pétrole risque d'être durablement élevé : le renouveau de notre politique énergétique est indispensable. Cela passe par des politiques d'économies d'énergie, mais aussi par la mise au point de nouvelles technologies. C'est une nécessité pour la planète. C'est aussi un marché dont le potentiel est gigantesque. »
Après traduction budgétaire, ces propos se concrétisent par 3, 5 millions d'euros de moins pour la recherche dans le domaine de l'énergie.
À quinze jours de la première lecture au Sénat du projet de loi de programme pour la recherche, ce budget constitue un véritable outrage à la communauté scientifique et à l'avenir de la recherche dans notre pays.
Si votre majorité se félicite d'avoir dégagé 325 millions d'euros au bénéfice des banlieues, elle se garde bien de préciser où elle les a pris. Mais les chercheurs, enseignants-chercheurs, et étudiants ne resteront pas dupes très longtemps sur votre redéploiement.
Vous aurez bien des difficultés à faire croire qu'il fallait prendre sur la recherche et l'enseignement supérieur pour essayer de répondre à la crise que nous venons de traverser, quand, parallèlement, 116 800 privilégiés bénéficieront de 1, 2 milliard d'euros de baisse d'impôts. Votre bouclier fiscal s'adresse à ceux qui en ont le moins besoin. Votre choix de société est clair : donner plus à ceux qui ont déjà tout.
Si vous aviez renoncé à ces cadeaux fiscaux en direction des nantis, vous n'auriez pas eu à opérer des coupes sévères dans le domaine de la recherche, que vous n'avez de cesse de présenter comme une priorité de votre gouvernement. Si la recherche est prioritaire, c'est en termes de réduction des crédits.
Dans ces conditions, on est également bien loin de la promotion de l'égalité des chances dans l'enseignement supérieur.
Rien n'est prévu, en effet, pour lutter contre la sélection par l'échec à l'oeuvre dans les premiers cycles universitaires, alors que 40 % des étudiants inscrits à l'université, près de 525 000, n'atteignent pas la troisième année au bout de cinq ans, ce que pointent d'ailleurs les rapporteurs tant de la commission des finances que de la commission des affaires culturelles.
Rien n'est prévu sur la coupure méthodologique et pédagogique que constitue pour beaucoup de nouveaux étudiants la première année universitaire !
Aucune proposition n'est faite non plus pour articuler l'année de terminale et l'entrée dans l'enseignement supérieur !
Figure pourtant, parmi vos objectifs, la réduction de l'échec au cours du cursus de licence, afin d'atteindre 43 % d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur en 2006 contre 38, 2 % aujourd'hui.
Dans ces conditions, ma question est simple, monsieur le ministre. Comment comptez-vous vous y prendre, sachant que les seules annonces faites sur ce sujet à la suite de la grave crise sociale que nous venons de traverser consistent à proposer un tutorat à 100 000 élèves des quartiers défavorisés pour qu'ils deviennent bacheliers et accèdent à l'enseignement supérieur ?
En matière d'aide sociale, si vous prévoyez une revalorisation des bourses, celle-ci ne couvre même pas l'inflation. Or les étudiants ont vu le ticket de restaurant universitaire et les frais d'inscription pour la rentrée universitaire de 2005 augmenter respectivement de 4 %. Par ailleurs, il est un phénomène très inquiétant : parmi les 60 000 étudiants qui ont demandé une aide exceptionnelle aux services du centre régional des oeuvres universitaires et scolaires, le CROUS, en 2003, la moitié est en situation de pauvreté chronique, et ce chiffre est en augmentation.
Concernant l'immobilier universitaire enfin, le plan « Université du troisième millénaire », U3M, est en panne, et le programme de reconstruction de Paris III-Censier est resté lettre morte jusqu'à maintenant. Quant aux contrats de plan, l'Etat n'a pas tenu ses engagements. Pour les seules universités parisiennes, ce sont 350 millions d'euros qui devaient leur être consacrés, seuls 150 millions, moins de la moitié, leur ont été réellement versés.
Devant ce budget, inutile de vous préciser, monsieur le ministre, que le groupe socialiste votera contre les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».