Cette crise est profonde. En amont, les enseignants ne cessent d'alerter les pouvoirs publics sur la désaffection des jeunes pour les filières scientifiques. Cette tendance se ressent très nettement dans l'enseignement supérieur. En dix ans, les universitaires ont ainsi observé une baisse de 30 % à 40 % du nombre de licenciés dans les matières scientifiques.
Ce ne sont pas les quelques mesures, d'une portée bien trop modeste, que vous présentez, monsieur le ministre, qui permettront d'endiguer ce phénomène particulièrement préoccupant pour l'avenir de notre pays et de l'Europe entière. Cette évolution est d'autant plus grave que, dans les prochaines années, les chercheurs de la génération du baby-boom partiront à la retraite.
Tout le monde s'accorde à dire que la définition d'un statut social du jeune chercheur permettrait d'enrayer cette désaffection pour les filières scientifiques. De même, il est urgent de revoir le niveau de revenu des jeunes chercheurs. L'indexation du taux des allocations de recherche sur le SMIC contribuerait à améliorer en partie les conditions de travail des doctorants et post-doctorants, qui, aujourd'hui, touchent un revenu pour le moins indécent. Il paraît ainsi indispensable de mobiliser les moyens nécessaires pour que leur rétribution atteigne rapidement une fois et demie le montant du SMIC.
Tout cela nécessite énormément de moyens, j'en conviens, un effort bien supérieur à l'augmentation annoncée de 1 milliard d'euros. Il faut d'ailleurs s'interroger sur cette somme, en partie absorbée par la hausse mécanique des salaires.
Un tiers de ces crédits supplémentaires est attribué aux universités et aux organismes de recherche pour la création des 3 000 postes que j'évoquais tout à l'heure, alors même que le président de la Conférence des présidents d'université considère qu'il manque 3 milliards d'euros pour les seules universités.
Un autre tiers de cette somme est affecté au financement du dispositif des incitations fiscales destinées au secteur privé. Il s'agit d'exonérations d'impôt sur les bénéfices pour les entreprises ayant intégré un pôle d'activité, de déductions d'impôts pour dons aux établissements de recherche et aux PME innovantes, etc.
Le Gouvernement entend reconduire en 2006 les mesures mises en oeuvre cette année, alors même que leurs effets n'ont pas encore été évalués. Ce point a d'ailleurs été mis en exergue par le Conseil économique et social, qui recommande vivement de mesurer l'incidence de telles dispositions.
Enfin, le dernier tiers, imputé sur le compte d'affectation spéciale des privatisations, est dévolu aux agences de moyens. Les crédits de ces agences seront prélevés sur les recettes de la vente des entreprises publiques ; il ne s'agit donc pas de ressources pérennes. Faut-il prévoir la poursuite de la « vente à la découpe » de notre patrimoine national ? Sinon, comment ces agences fonctionneront-elles dans les années à venir ?
On peut, en outre, s'interroger sur la nature de l'Agence nationale de la recherche, présentée comme le « vecteur d'une réelle sélectivité ». Eu égard à son rôle en matière de financement, cette agence s'impose désormais comme l'un des acteurs centraux de la recherche, et ce au détriment d'organismes tels que le CNRS, dont le rôle historique est ouvertement remis en cause.
Si l'idée de mettre en place une agence de moyens est louable, celle-ci risque néanmoins de déstructurer les laboratoires, souligne le président de l'Académie des sciences, M. Edouard Brézin, dès lors qu'elle accapare l'essentiel des crédits, privant ainsi les organismes de recherche de leur financement de base.
On remarquera par ailleurs que l'ANR n'a pas encore été en mesure de ventiler la totalité des crédits et autorisations de programme dont elle était dotée au titre de 2005.
En effet, on parle d'un reliquat de fonds non affectés atteignant plusieurs dizaines de millions d'euros. Que compte faire le Gouvernement à cet égard, monsieur le ministre ? Redéployer ces crédits au profit des établissements et des organismes serait une judicieuse initiative, qu'apprécieraient les acteurs de la recherche, ainsi que les membres de la Haute Assemblée.
En réalité, l'Agence nationale de la recherche constitue l'outil permettant au Gouvernement de piloter les équipes de recherche, qui, chaque année, devront faire la preuve de leur efficacité ou, osons le dire, de leur rentabilité, avant de pouvoir bénéficier des crédits nécessaires à la poursuite de leurs travaux. Or, « en science comme ailleurs, l'inertie intellectuelle, la mode, le poids des institutions et l'autoritarisme sont toujours à craindre », comme l'a déclaré Hubert Reeves.
On peut concevoir que la recherche soit soumise à une évaluation, mais il s'agit de tenir compte du temps nécessaire à certaines études : il faut parfois plusieurs années pour que celles-ci puissent aboutir à des résultats tangibles. Qui a mené des travaux scientifiques sait que l'on avance lentement, par tâtonnements, une hypothèse confirmée faisant fréquemment suite à de nombreuses autres hypothèses invalidées, et que le droit à l'erreur doit être respecté.
Par ailleurs, on sait que la science évolue très rapidement, et il est donc à craindre qu'elle n'évolue plus vite que les critères d'évaluation. L'évaluation pourrait alors condamner des projets ne correspondant pas aux normes établies. En outre, selon quels critères seront évalués les projets originaux réunissant plusieurs spécialistes de diverses disciplines ?
La question de l'évaluation se pose également de manière prégnante pour les recherches dans les domaines des lettres et des sciences humaines et sociales. Leur intérêt sera-t-il apprécié en fonction du nombre de publications ? Étant donné la conception utilitariste qui semble prévaloir, il est à craindre que la place de disciplines telles que l'histoire, la philosophie ou les lettres ne soit réduite à court ou à moyen terme.
Pilotage de la recherche par le Haut conseil de la science et de la technologie, soutien privilégié au secteur privé, mise en place des pôles de compétitivité : le Gouvernement manifeste qu'il veut clairement donner la priorité à la seule innovation. Tout cela s'inscrit dans une vision par trop utilitariste de la recherche.
La création des campus de recherche relève de cette même logique : ce nouveau dispositif, axé sur le développement de recherches thématiques, « court-circuite » les pôles de recherche et d'enseignement supérieur, et le risque est sérieux de voir les universités privées de leurs pôles d'excellence et les équipes les plus performantes démantelées.
Dans son discours du 30 août 2005, le Chef de l'État avait souligné le caractère prioritaire et inséparable de la recherche fondamentale, de la recherche appliquée et de la recherche industrielle. Il faut toutefois constater que l'effort budgétaire consacré à la recherche fondamentale demeure bien trop insuffisant. Chacun reconnaît pourtant que la recherche fondamentale est indispensable à la découverte de nouvelles connaissances, à la création de nouveaux produits innovants.
Monsieur le ministre, vous nous avez dit que ce projet de budget « traduit toute l'ambition du Gouvernement pour la recherche et l'enseignement supérieur ». Au regard de l'augmentation de 2, 2 % des crédits à structure constante, dont il faut bien évidemment prendre acte, on pourra apprécier combien cette ambition reste modeste. On en vient à se demander ce que signifie le terme « priorité » pour le Gouvernement !
À ce rythme, il ne fait aucun doute que l'objectif de Lisbonne ne sera pas atteint. « La recherche, c'est l'acte par lequel une société avancée exprime sa foi en un avenir ouvert », a très justement affirmé le spécialiste de la physique nucléaire Claude Détraz. Votre conception de la recherche nous montre à quel point votre vision de l'avenir est étroite, marquée par une logique de rentabilité à court terme.
Le groupe CRC souhaitait que le projet de budget de la MIRES constitue le premier jalon d'une réforme audacieuse ; les chiffres affichés nous démontrent que cela n'est nullement le cas, et nous ne pourrons donc le voter.