Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 1er décembre 2005 à 10h30
Loi de finances pour 2006 — Recherche et enseignement supérieur

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est par l'économie que l'Europe redémarrera, et nous n'aurons pas d'économie performante sans un système de formation et de recherche performant. Chacun en a conscience aujourd'hui.

Cette priorité a été affirmée en 2000 dans la stratégie de Lisbonne. Le Gouvernement l'a rappelée dans son « pacte de la nation avec la recherche », qui prendra corps au travers du projet de loi de programme que la Haute Assemblée devrait examiner prochainement.

Le Sénat lui-même n'est pas resté en marge de cette réflexion vitale sur le développement de la recherche, puisqu'il a constitué un groupe de travail sur la question.

Le présent projet de budget pour la mission « Recherche et enseignement supérieur » prévoit, dans une certaine mesure, les moyens nécessaires pour mener une politique de la recherche plus ambitieuse et plus pertinente. C'est dire l'importance de cette mission.

Une fois de plus, la démarche LOLF montre ses vertus à cet égard. La construction de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » repose sur les deux ensembles qui constituaient, jusqu'en 2005, le budget coordonné de l'enseignement supérieur et le budget civil de la recherche et du développement. Cela est plus clair pour la représentation nationale. Le périmètre retenu pour cette mission, qui regroupe treize programmes gérés par sept ministères différents, est susceptible d'améliorer la cohérence du pilotage budgétaire de l'ensemble des politiques publiques de recherche.

L'examen du projet de budget de la MIRES révèle que cette mission bénéficiera, pour l'année à venir, de 380 millions d'euros de crédits budgétaires supplémentaires. Le montant total des crédits de la mission s'établit à 20, 7 milliards d'euros, dont 57 % sont destinés à l'enseignement supérieur et à la vie étudiante.

Toutefois, pour avoir une vue d'ensemble des crédits de la recherche, il faut aussi prendre en compte les 280 millions d'euros de dotations extrabudgétaires, destinés au développement de la recherche sur projets et financés à partir du compte d'affectation spéciale des produits des privatisations, ainsi que les 340 millions d'euros de dépenses fiscales supplémentaires destinées à promouvoir l'effort de recherche des entreprises. L'ensemble de ces sommes forme le fameux milliard d'euros supplémentaire annoncé par le Gouvernement pour l'enseignement supérieur et la recherche.

Dans un contexte de stabilisation des dépenses publiques, stabilisation nécessaire, soit dit en passant, compte tenu de l'ampleur du déficit, le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche constitue clairement l'une des premières priorités du Gouvernement.

Cependant, si cette priorité est claire, il ne faut pas en exagérer l'ampleur. Le milliard d'euros supplémentaire réclamé par les « états généraux de la recherche » ne concernait que la recherche publique civile. Or le milliard d'euros supplémentaire effectivement octroyé par le projet de loi de finances pour 2006 doit profiter aussi au secteur privé, à hauteur de 460 millions d'euros. Par ailleurs, ce milliard doit être amputé de 380 millions d'euros pour tenir compte de l'inflation.

Un assainissement réel des finances publiques sera sans doute un préalable incontournable à l'accomplissement des efforts nécessaires en matière de recherche.

Néanmoins, par-delà les querelles de chiffres, les choix opérés en matière de recherche et d'enseignement supérieur nous semblent aller globalement dans le bon sens.

Ainsi, en matière d'enseignement supérieur, le renforcement des moyens en personnel, notamment avec la création de 1 079 emplois d'enseignant-chercheur, est une bonne chose. Les mesures en faveur des jeunes chercheurs destinées à renforcer l'attractivité des carrières scientifiques sont également positives.

Une question latente, au travers de ce projet de budget, est celle des besoins concernant le patrimoine immobilier universitaire et la mise en sécurité des bâtiments. À ce titre, le Gouvernement a débloqué 110 millions d'euros, mais c'est quelques milliards d'euros qu'il faudrait. Il est vrai que ce n'est pas la faute du Gouvernement si la situation budgétaire ne permet pas de faire davantage, mais il s'agit là d'un problème fondamental.

En ce qui concerne la recherche, c'est aussi avec satisfaction que je constate que la priorité est donnée à des dépenses dynamiques privilégiant la synergie entre le public et le privé ou favorisant l'effort industriel en faveur de la recherche.

Bref, nous constatons un véritable effort dans le sens du développement d'une recherche économiquement productive, susceptible de renforcer la croissance potentielle européenne.

La montée en puissance de l'Agence nationale de la recherche, dont le budget pour 2006 augmentera de 240 millions d'euros, est consacrée. C'est d'autant plus louable que cette nouvelle agence a prouvé son efficacité au cours de l'année écoulée.

Il faut également tenir compte du milliard d'euros qui devrait être affecté à l'agence de l'innovation industrielle, laquelle devrait soutenir l'effort privé de recherche. Bien entendu, tel est également l'objet des 340 millions d'euros de dépenses fiscales supplémentaires.

Toutes ces mesures vont de pair avec l'ambition affichée de conforter la dynamique créée par les pôles de compétitivité, dont nous attendons beaucoup en termes d'emploi et de croissance.

En conclusion, je dirai, pour paraphraser Voltaire, que, dans la situation budgétaire actuelle, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes s'agissant du budget de la recherche. Toutefois, les propos du sénateur Pierre Laffitte montrent bien les limites de l'action gouvernementale : une ambition européenne est fondamentale ; je ne citerai que deux exemples à cet égard.

Le premier exemple concerne le classement de Shanghai ; celui-ci peut déjà nous inciter à réagir au niveau national. En effet, je doute que notre pays puisse continuer à compter près de quatre-vingt-dix universités indépendantes.

Des regroupements s'imposent et il serait judicieux, ne serait-ce qu'à Paris, de s'inspirer de la politique efficace conduite par l'université de Grenoble avec les élus et un certain nombre d'autres acteurs. Si les universités parisiennes avaient été regroupées, elles auraient sans doute pu occuper l'une des quatre ou cinq premières places du classement de Shanghai.

Mon second exemple, fondé sur les comparaisons établies à l'échelle mondiale entre les universités, a trait à l'université d'Harvard : ses réserves atteignent 25 milliards de dollars, chiffre largement supérieur à notre budget de la recherche et de l'enseignement supérieur. Mais il faut savoir que des lobbyistes sont chargés de recueillir des fonds dans le secteur privé.

Fort de ces exemples et conforté par les propos que réitère depuis très longtemps Pierre Laffitte, je considère qu'il faut mettre un terme aux pesanteurs budgétaires. Il convient donc soit de lancer un grand emprunt européen, soit de faire preuve d'imagination fiscale, afin que tout cet argent qui transite à travers le monde avant d'être, le plus souvent, investi dans le secteur de l'immobilier, ou autres, sans aucun profit pour le pays, soit affecté aux universités françaises ou européennes.

Les projections réalisées par les différents instituts spécialisés laissent entrevoir que, d'ici à vingt ans, la Chine pourrait voler leur place de leader aux Etats-Unis - l'Inde gagne également du terrain - et que l'Europe pourrait n'être plus que la quatrième puissance mondiale.

En ce début du XXI e siècle, il est clair que c'est sa capacité d'investir dans la recherche et l'enseignement qui permettra à l'Europe de tenir toute sa place au sein de ces grandes nations.

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