Intervention de Pierre Bordier

Réunion du 1er décembre 2005 à 10h30
Loi de finances pour 2006 — Recherche et enseignement supérieur

Photo de Pierre BordierPierre Bordier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis de trouver beaucoup de bonnes propositions dans ce budget consacré à la recherche, qui fait clairement ressortir une volonté forte du Gouvernement, et du Président de la République, de proposer des mesures qui nous orientent résolument vers l'avenir.

Engager des crédits, réformer, renforcer, ce ne sont pas des décisions toujours faciles ni très consensuelles et pourtant, depuis deux ans, le Gouvernement oeuvre afin que nous rattrapions le retard que nous avions pris dans le domaine de la recherche.

Cela passe par deux axes essentiels.

Premier axe, nous redonner les moyens d'avoir une politique de recherche orientée vers l'innovation, en passant par la mutualisation des forces, au sein de structures visibles sur le plan mondial. Cette étape est très importante, puisqu'elle enjoint à tous les acteurs de la recherche de collaborer, qu'il s'agisse d'entités publiques et privées, ou des établissements publics entre eux.

Ensuite, il faut mieux préparer l'avenir de nos personnels scientifiques, pour que nos chercheurs, notamment, n'aient plus comme unique choix professionnel que de partir à l'étranger, après avoir été formés chez nous.

Il est vital que l'économie de notre pays puisse avoir sa place dans le peloton de tête des puissances européennes, dans un contexte économique mondial ultraconcurrentiel.

La recherche est déterminante pour l'avenir économique et social de la France et pour son rôle de premier rang dans la société de la connaissance. Elle doit, pour ce faire, être puissante et orientée par des priorités définies en fonction des grands défis de la société et de la planète.

Cette nouvelle impulsion donnée au monde de la recherche au sens large, socle de la connaissance et du progrès économique, levier de notre performance dans les secteurs de pointe, met en évidence les conditions essentielles de notre bonne santé scientifique et économique.

Il importe de maintenir et de développer un niveau de compétitivité industrielle élevé - par le développement de certaines mesures existantes ou nouvelles telles que les pôles de compétitivité autour de la recherche et développement, des pôles d'excellence, les incitations fiscales comme le crédit d'impôt recherche, la valorisation des carrières scientifiques ou encore les nouveaux secteurs de performance -, et de réorganiser un système d'enseignement et de recherche par des mesures comparables à celles de nos voisins de l'OCDE, notamment.

Notre pays dispose d'un énorme potentiel de talents et d'énergies, mais qui a le sentiment de participer à une dynamique essoufflée. Le renforcement des moyens budgétaires du projet de loi de finances pour 2006 alloués à la recherche est étroitement lié au futur projet de loi de programme pour la recherche, voire prolongé par ce texte.

La recherche publique et privée conditionne la compétitivité de notre industrie et, par conséquent, notre vigueur économique et sociale.

Deux impératifs se dégagent.

Tout d'abord, renforcer notre système de recherche française par des mesures incitatives en faveur des acteurs publics et privés dont la collaboration est fortement encouragée. C'est une priorité absolue !

Ensuite, renforcer le dispositif d'enseignement supérieur de la recherche afin de rendre les carrières scientifiques attractives et évolutives. Ainsi, nous nous inscrirons davantage dans une logique d'intégration européenne.

Sur le premier point, tout d'abord, il s'agit de privilégier la coopération entre les acteurs de la recherche, dans le cadre d'une politique globale de soutien à l'innovation.

Dans cette démarche de propulsion vers l'innovation, le premier secteur d'intervention que je souhaite évoquer concerne la recherche et développement. La mission « Recherche et enseignement supérieur » du budget pour 2006 attribue 1 milliard d'euros supplémentaires aux activités transversales de la recherche et développement.

La part des financements publics de la recherche dans le budget de l'État passe de 3 % à 4, 3 % en 2006. L'objectif est de porter les dépenses de recherche à 3 % du PIB en 2010.

On peut mettre l'accent sur les pôles de compétitivité comme moteurs de la recherche et développement. L'État et les collectivités territoriales déterminent des contrats-cadres fixant pour chaque pôle sa stratégie, ses modalités d'organisation et le projet de zones de recherche et développement ouvrant droit à des exonérations fiscales et à des allégements de charges sociales.

Premièrement, ces exonérations sont conditionnées par l'implantation dans une zone de recherche et développement. Or le regroupement des entreprises et leur situation géographique posent de délicats problèmes de frontière.

Par ailleurs, il est laissé à la discrétion des collectivités locales la décision d'accorder ou non une exonération fiscale en faveur des entreprises concernées par les mesures d'aide à la recherche, à savoir la taxe professionnelle et la taxe foncière sur les propriétés bâties. Or ces exonérations représentent une aide considérable dans l'effort d'investissement des entreprises et donc a fortiori pour celles dont l'effort porte sur la recherche et l'innovation. Ne pourrait-on trouver un moyen d'encourager les collectivités locales à appliquer ces exonérations ?

Deuxièmement, la taille critique devient un critère déterminant pour le financement de certaines structures. Les pôles de recherche et d'enseignement supérieur, les PRES, mis en place par le projet de loi de programme, peuvent constituer un atout pour certaines disciplines et pour certains territoires, par la mise en commun de moyens matériels et humains.

Mais ils risquent de marginaliser davantage certaines disciplines, comme les sciences humaines et sociales, les sciences vétérinaires - notamment la recherche clinique -, ainsi que les établissements d'enseignement supérieur et de recherche de petite et de moyenne taille.

On assisterait à une diminution du maillage national de ce type d'enseignement dans les régions les moins favorisées, car la taille critique devient un élément essentiel pour le financement de ces structures.

Nous avons souligné l'importance que revêt le développement de la recherche en tant que facteur de dynamisme de notre économie à l'échelle mondiale. Le dispositif actuel de recherche a mis en place un mécanisme de financement sur projets, très répandu dans de nombreux pays.

L'Agence nationale de la recherche apporte énormément par sa dynamique d'aide à la recherche, en soutenant des programmes pluridisciplinaires avec des partenariats public-privé.

Néanmoins, en attendant son changement de statut prévu par le projet de loi, l'ANR demeure un groupement d'intérêt public entre l'État et les différents organismes publics de recherche : le Commissariat à l'énergie atomique, le CEA, l'Agence nationale de valorisation de la recherche, l'ANVAR, le Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, l'Institut national de recherche en informatique et en automatique, l'INRIA, l'institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, l'Association nationale de la recherche technique, l'ANRT et l'Association de la conférence des présidents d'université pour la recherche.

L'INRA est classé deuxième dans son domaine sur le plan mondial pour ses publications, et souhaite vivement que les décisions de l'ANR correspondent à ses priorités, sous peine de se sentir sous la tutelle de cette dernière. L'INSERM partage le même point de vue, sous l'angle de ses priorités de santé.

Le problème central est donc l'articulation des structures. Comment organiser la cohérence entre l'ANR et les organismes publics de recherche ? À l'évidence, l'ANR devrait avoir une obligation de consultation de ces organismes.

En outre, se pose la question des experts que doit comporter l'ANR. Or les meilleurs se trouvent déjà dans les organismes de recherche. Cependant, tous nos voisins ont une agence de moyens du type de l'ANR. Il est donc nécessaire que nous en ayons une également. À ce sujet, il serait intéressant de savoir quelle relation l'Agence entretient avec l'Agence européenne ?

Autre point, le projet de loi de programme pour la recherche a pour objet de « Bâtir un système d'évaluation de la recherche unifié, cohérent et transparent ». Par la création de l'Agence d'évaluation de la recherche, autorité publique indépendante, le projet de loi maintient les aspects fondamentaux du respect de la liberté des chercheurs et d'évaluation par des pairs indépendants.

Cependant, le dispositif d'évaluation des personnels scientifiques n'apparaît pas très clairement dans les mesures énoncées. Un éclaircissement serait sur ce point souhaitable.

Sur le second axe, d'une prise de conscience collective ressort la nécessité de renforcer le système d'enseignement supérieur de la recherche et de rendre les carrières scientifiques en France plus attractives et évolutives.

Le projet de loi de finances pour 2006 prévoit en faveur de l'enseignement supérieur et de la recherche universitaire la création de 1 079 emplois d'enseignants-chercheurs, ce qui représente un budget de 17, 9 millions d'euros.

L'effort en faveur des enseignants-chercheurs doit être poursuivi, car les besoins théoriques en emplois nouveaux sont de 13 500 postes. Mais pour que l'on puisse investir dans la création de postes d'enseignants-chercheurs, encore faut-il que l'on ait une idée de l'évaluation de leurs travaux.

Or, pour ce qui concerne l'évaluation des enseignants-chercheurs, c'est le statu quo : leur évaluation est effectuée par leurs pairs, notamment par l'université ou le Comité national d'évaluation des universités. Ce dernier ne procède néanmoins à l'évaluation qu'au moment du recrutement ou en cas de promotion, si bien qu'un chercheur ne demandant pas à être promu peut ne jamais être évalué de toute sa vie professionnelle.

Cela tend à dévaloriser la recherche universitaire. Pourtant, il me semble que l'Agence d'évaluation de la recherche, l'AER, dans le prochain projet de loi, n'évalue que les projets de recherche et non les personnes.

Cette évaluation est d'autant plus importante que l'on se trouve confrontés, aujourd'hui, à un véritable marché international de l'emploi scientifique et de la formation.

Par ailleurs, plusieurs décisions de ce projet de loi vont dans le sens d'une meilleure « employabilité » des doctorants dans l'enseignement, dans l'entreprise ou dans le domaine international, renforçant l'attractivité des carrières scientifiques pour les jeunes.

La première décision est de permettre que le doctorat ouvre d'excellentes carrières, en particulier en entreprise, en rénovant les formations doctorales, pour une meilleure insertion des post-doctorants.

Le projet de loi suggère un renforcement de la participation des acteurs en recherche et développement dans ces écoles et crée des contrats d'insertion des post-doctorants pour la recherche en entreprise.

La deuxième décision est d'aider les docteurs à embrasser la carrière scientifique dans le public par la création de l'Observatoire de l'emploi des docteurs et dans le privé en permettant un accroissement de la recherche industrielle, la réactivation des filières de recherche.

La troisième décision est de créer des passerelles qui favoriseraient la mobilité des scientifiques.

Il faut souligner l'utilité des dispositifs tels que les conventions industrielles de formation pour la recherche, les CIFRE, et les contrats d'insertion post-doctorants pour la recherche en entreprise, les CIPRE, qui permettent à des jeunes doctorants et post-doctorants de travailler en entreprise en étant rémunérés et en ayant des perspectives de débouchés.

Le développement des échanges internationaux fait du doctorat un titre de référence. Il ne suffit plus que les doctorats délivrés en France soient reconnus pour leur qualité sur notre sol, encore faut-il qu'ils le soient à l'étranger.

Je me félicite que le projet de loi prévoit des mesures intéressantes pour faciliter l'entrée des docteurs dans la carrière scientifique : création d'un Observatoire de l'emploi des docteurs ; encouragement à privilégier le recrutement dans le secteur public ; possibilités de décharge d'enseignement pour les jeunes enseignants chercheurs ; ouverture de parcours d'excellence pour les jeunes scientifiques publics à fort potentiel avec les « bourses Descartes ».

Pour finir, nous ne pouvons avoir d'ambition que si nous renforçons l'intégration du système français dans l'espace européen de la recherche.

Le projet de loi se doit d'atteindre les objectifs de Lisbonne que les États membres de l'Union Européenne se sont fixés en 2000.

Par ailleurs, actuellement, de nombreux docteurs d'université ont les capacités et la volonté de travailler dans la recherche, mais ils vont à l'étranger pour commencer à travailler comme post-doctorants. S'ils ne trouvent pas, dans les années à venir, des postes intéressants en France - ils cherchent souvent des postes stables, car les traitements sont beaucoup plus faibles qu'en Amérique du Nord -, ils resteront à l'étranger et la France perdra des scientifiques de valeur dont elle a payé totalement la formation, mais qui enrichiront d'autres pays.

Cette fuite des cerveaux est actuellement importante et elle ne diminuera que si un plan pluriannuel de recrutement est programmé.

Les 3 000 emplois pour la recherche scientifique sont un bon début, mais ce ne sont pas tous des emplois de scientifiques, d'une part, et ils ne sont pas tous pérennes, d'autre part.

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