Intervention de François Goulard

Réunion du 1er décembre 2005 à 10h30
Loi de finances pour 2006 — Recherche et enseignement supérieur

François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après les interventions très riches des rapporteurs et des représentants des différents groupes, je vais tenter de répondre aux questions qui ont été posées et je formulerai un certain nombre d'observations.

Monsieur Blin, j'ai été très sensible à vos propos sur un sujet quelquefois controversé et sur lequel certains intervenants sont revenus : la stimulation de la recherche dans l'entreprise. C'est en effet un sujet majeur.

La France consacre à la recherche une dépense publique supérieure à la moyenne européenne ; le nombre de chercheurs publics, rapporté à notre population, est très supérieur à la moyenne européenne.

En revanche, il est vrai que nous connaissons un retard en matière de recherche privée. Il faut encourager l'investissement des entreprises dans la recherche.

Le mécanisme du crédit impôt recherche, qui a été parfois critiqué à la suite de la réforme de 2004, verra son efficacité augmenter grâce aux dispositions qui sont prévues dans le projet de loi de finances pour 2006. Fort heureusement, aujourd'hui, la dépense fiscale correspondante croît.

Je rappelle que, pour l'essentiel, l'assiette du crédit impôt recherche correspond non pas à la dépense de recherche des entreprises, mais à l'augmentation de cette dépense. Il y a donc un effet de levier considérable. Et les données fiscales disponibles montrent aujourd'hui une progression rapide du recours au crédit impôt recherche.

Cela signifie que le mécanisme est efficace et que nos entreprises ont intégré cet objectif fondamental d'accroître leur effort en matière de recherche et développement au service de leur compétitivité, donc au service de l'emploi.

Vous avez très justement fait observer qu'il fallait une recherche fondamentale et une recherche appliquée. Nous nous efforçons de parvenir à un équilibre à cet égard.

Il faut en effet nourrir ce continuum de la recherche que tous les spécialistes connaissent : il n'y a pas de grand pays au monde qui ne concentre ses efforts tant sur la recherche fondamentale que sur la recherche appliquée ; l'une se nourrit de l'autre. La première répond aux questions qui sont posées par la seconde.

Nous ne pouvons pas faire l'impasse sur la recherche fondamentale, et tel n'est évidemment pas le souhait du Gouvernement.

Vous avez fait allusion à l'Agence nationale de la recherche. Bien sûr, sa dotation provient du compte d'affectation spéciale. Il est vrai que, s'agissant de la lisibilité budgétaire, il y a une certaine difficulté à rapprocher les sommes et, dans certaines interventions, on a constaté que les calculs étaient quelquefois mal faits.

Il n'empêche qu'il y a une vraie motivation, une vraie logique à utiliser les cessions d'actifs de l'État pour financer l'investissement dans la recherche, lequel est heureusement reconnu comme étant prioritaire. Il s'agit d'une démarche économiquement et budgétairement parfaitement fondée.

Les crédits en provenance du compte d'affectation spéciale servent non seulement à l'Agence nationale de la recherche, mais également à OSEO-ANVAR, c'est-à-dire au soutien de l'innovation dans les PME. OSEO-ANVAR est une agence de moyens à destination des PME, qui fait la preuve de son efficacité et qui, aujourd'hui, est très présente sur l'ensemble de notre territoire, aux côtés des PME.

Les dotations de l'Agence nationale de la recherche n'enlèvent rien, bien au contraire, au financement permanent des organismes de recherche. C'est là un point essentiel !

On pourrait nous faire le reproche de modifier profondément, et sans doute inutilement, le paysage de la recherche en France, d'affaiblir les organismes de recherche, qui ont à leur actif des réussites exemplaires, si nous prenions des crédits les concernant pour alimenter la nouvelle agence. Mais tel n'est pas le cas !

Les dotations de l'ANR sont des dotations supplémentaires. Dans le même temps, nous augmentons les crédits permanents des organismes de recherche, et ce plus sensiblement qu'à d'autres périodes. C'est dire si un effort considérable est accompli en faveur de la recherche et combien cette nouvelle agence, qui conduit des appels à projet, est un plus, au sens plein du terme, pour la recherche.

Monsieur Adnot, votre analyse critique de notre présentation budgétaire est juste. Nous sommes au début de l'application de la loi organique, une loi excellente dans ses principes et dont l'application devra, au fil du temps, être affinée. Notre expérience, aux uns et aux autres, nous conduit à constater qu'il en est toujours ainsi.

Vous avez signalé l'absence de certains grands établissements d'enseignement supérieur, qui sont conservés par certains ministères. Cette attitude est sans doute critiquable si l'on veut respecter l'esprit, sinon la lettre, de la LOLF. À la liste des grandes écoles d'ingénieurs que vous avez citées, on peut ajouter l'École nationale d'administration, qui est inscrite au budget de la fonction publique.

Effectivement, dans les contrats quadriennaux et dans les contrats d'objectifs qui sont passés entre l'État, les universités et les grands organismes de recherche, il faut afficher clairement des objectifs, mieux discuter qu'aujourd'hui, et de façon plus rapide. Trop souvent, la discussion entre l'État et les organismes s'étale sur des périodes supérieures à un an. C'est beaucoup trop long !

Nous devons nous attacher à faire émerger les objectifs qui sont les nôtres et à les traduire financièrement dans les dotations des établissements.

J'en viens aux étudiants étrangers, sujet qui a été abordé par plusieurs orateurs.

Notre politique n'est pas, et ne sera jamais, de remettre en cause les liens culturels et historiques qui nous lient à un certain nombre de pays, notamment africains. Les étudiants étrangers présents à l'heure actuelle sur notre sol sont, pour environ la moitié d'entre eux, originaires d'Afrique, qu'il s'agisse du Maghreb ou de l'Afrique sub-saharienne. Il est normal que nous nous montrions plus accueillants que d'autres à l'égard d'étudiants qui viennent de pays avec lesquels nous entretenons des liens extrêmement forts.

La vraie question est double.

D'une part, cette présence nombreuse ne doit pas faire obstacle à la venue d'étudiants d'autres régions du monde. Il est évidemment nécessaire que des étudiants originaires d'Asie ou d'Amérique viennent étudier chez nous.

D'autre part - et c'est probablement le plus important -, les étudiants viennent chez nous pour réussir leurs études et non, comme l'ont dit certains, pour obtenir un statut. Malheureusement, soit parce qu'ils ont été mal orientés, soit parce que l'on ne s'est pas assuré de leur capacité à suivre des études, nombre d'entre eux échouent très rapidement. On aboutit alors à un vrai gaspillage humain et financier. C'est sur ce point que notre effort doit porter.

Nous avons donc la ferme intention de rappeler à l'ordre, et cela s'est déjà produit, les universités qui conduisent des politiques exclusivement numériques afin de jouer sur les mécanismes de dotation budgétaire. Certaines d'entre elles augmentent leurs ressources grâce à cette filière, et ce au détriment des deniers publics et des étudiants étrangers eux-mêmes, qui passent des mois ou des années chez nous sans acquérir une formation, faute d'y avoir été préparés.

Notre politique passe également par la mise en place de centres pour les études en France, qui existent à l'état expérimental pour six pays. Leur nombre sera doublé.

Ce dispositif permet de conduire en même temps la procédure consulaire d'obtention du visa et celle d'admission dans un établissement d'enseignement supérieur. L'objectif est de lutter contre les fraudes, qui existent dans ce domaine comme dans d'autres, et de s'assurer avec l'établissement d'enseignement supérieur qui accueillera l'étudiant, ce qui est au moins aussi important, que celui-ci a une connaissance suffisante de la langue pour réussir ses études.

Le changement engagé en matière de présence d'étudiants étrangers sur notre sol est majeur. Cette politique veille non seulement aux intérêts de la France, mais aussi à ceux des étudiants et des pays dont ils sont originaires.

S'agissant de la gouvernance universitaire, qui a été abordée par plusieurs orateurs, sachez que nous renforçons les pouvoirs des présidents et des organes délibérants des universités. Par exemple, les crédits de recherche seront globalisés dans les budgets des universités.

Cette réforme importante a été peu évoquée. Elle est assez technique, mais elle montre bien que nous voulons donner de nouvelles responsabilités aux présidents d'université. En témoigne la modulation des charges d'enseignement des maîtres de conférence et des professeurs qui leur sera désormais attribuée.

Il est en effet nécessaire que les universités aient à leur tête des présidents pleinement responsables, dotés de compétences affirmées et de moyens. C'est pourquoi nous devons muscler les services administratifs, qui sont aujourd'hui sous-dotés. Les responsables administratifs des universités doivent être à la hauteur de leurs responsabilités considérables.

J'en viens aux droits d'inscription. C'est un vaste sujet sur lequel la discussion est engagée. Il faudrait une révision complète de notre système de bourse pour admettre de fortes augmentations des droits d'inscription.

Vous avez évoqué, à juste titre, la valeur de l'engagement de l'étudiant. M. Lecerf a même parlé de l'arbre qui cache parfois la forêt.

Or la forêt universitaire, au-delà des cas particuliers et des errements discutables, « cache » des étudiants fortement engagés dans leurs études, contrairement à l'image caricaturale qui date sans doute d'un passé largement révolu. Ils ont conscience qu'ils évolueront dans un monde difficile, un monde de compétition où l'emploi est une préoccupation pour tous. Quoi que l'on en dise, ils savent que le diplôme est le meilleur des passeports pour l'emploi.

Nos étudiants sont sérieux et ils sont conscients que les années d'étude sont déterminantes pour leur avenir personnel et professionnel. Je l'ai constaté lors de mes nombreuses rencontres. Certes, il y a des exceptions, mais c'est à nous de renforcer leur engagement dans leurs études.

M. Laffitte a abordé, lui aussi, de nombreux sujets.

Oui, nous devons faire mieux en matière de gestion prévisionnelle des effectifs ! Cela vaut pour le monde de la recherche et de l'université comme pour l'ensemble des services de l'État. La gestion des ressources humaines dans le secteur public nécessite de sérieuses améliorations.

Nous allons mettre en place un observatoire de l'emploi non seulement pour les docteurs, mais également pour les scientifiques dans leur ensemble. Nous prévoyons en effet des recrutements massifs dans les prochaines années liés aux créations d'emploi, que vous avez saluées et que vous allez sans aucun doute voter, ainsi qu'aux effets du baby-boom.

Afin de montrer aux jeunes chercheurs que des perspectives existent et que nous aurons des années fastes en matière d'embauche d'ici à 2010, il est nécessaire que nous puissions éclairer l'avenir discipline par discipline, catégorie par catégorie. Ce travail essentiel est en cours.

Oui, nous arbitrerons entre les effectifs et les moyens ! Il est vrai que nous avons besoin de créer des emplois et de doter les laboratoires. Mais notre politique va dans ce sens !

L'Agence nationale de la recherche affecte avant tout des moyens aux équipes afin de leur permettre de travailler. Quant aux moyens de fonctionnement permanents, notamment le paiement des traitements et salaires, ils sont à la charge des organismes.

Participent également au renforcement des moyens les créations d'emplois d'ingénieurs et de techniciens. À l'évidence, nous avons besoin d'emplois de chercheurs, mais les efforts de ceux-ci doivent être soutenus par des ingénieurs et des techniciens, qui concourent directement à la qualité de la recherche qui est conduite dans nos laboratoires.

Vous avez eu raison de dire que la logique de l'appel à projet a existé et de rappeler l'époque de la DGRST. D'une certaine manière, j'ai été heureux de vous l'entendre évoquer.

En matière de recherche, nous renouons avec une grande époque, celle des années soixante ou du début des années soixante-dix : des programmes de grande ampleur avaient alors été mis en place, sur lesquels, d'ailleurs, beaucoup de nos industries vivent encore aujourd'hui et avec lesquels elles ont de grandes perspectives.

Le monde a changé, la complexité des sujets s'est accrue, l'ouverture des frontières a eu lieu, les acteurs sont plus nombreux et nouveaux, les PME sont beaucoup plus concernées que par le passé où seuls quelques grands groupes étaient directement intéressés par les grands programmes. Néanmoins, pour nos ambitions et nos moyens, nous devons nous référer à ces années fastes pour la recherche et le développement en France.

Vous avez parlé des pôles de compétitivité. Chacun le comprend, ces politiques sont cohérentes. Même si un pôle de compétitivité est une association entre la recherche et le monde de l'économie, qui se décline territorialement, alors que d'autres structures comme les PRES concernent exclusivement la recherche ou l'enseignement supérieur, notre objectif est le même.

Nous aurons l'occasion de reparler des fondations de recherche et de vos propositions. Mais je peux vous dire d'emblée que j'y souscris. En effet, il est nécessaire de continuer à développer les fondations de recherche indépendamment de la nouvelle catégorie de fondations de coopération scientifique créée par le projet de loi.

J'en viens à l'Europe, dont M. Pozzo di Borgo a également parlé.

Oui, nous devons accroître l'effort européen et la possibilité d'emprunter via la Banque européenne d'investissement doit être reconnue. Les vingt-cinq État membres doivent se mettre d'accord sur ce point.

Oui, les vingt-cinq États européens doivent réaliser les mêmes efforts en matière de recherche !

Pour situer la France dans cet ensemble, je vous citerai un seul chiffre : l'Allemagne, premier pays en ce qui concerne la recherche en Europe, augmentera ses fonds publics en la matière de 600 millions d'euros l'année prochaine. Nos dépenses publiques de recherche augmenteront, quant à elles, de 1 milliard d'euros. Cela signifie que la France s'est engagée dans un effort de rattrapage considérable.

Oui, la labellisation devra tenir compte de la capacité à s'associer à des équipes internationales, notamment européennes ! D'ailleurs, notre objectif est de consacrer 20 % des crédits de l'ANR à des projets bilatéraux ou multilatéraux.

Oui, il faut absolument associer les PME !

Le PCRD fait de l'association des PME un objectif identifié. Notre politique en faveur de l'innovation avec les instituts Carnot retient également comme critère la capacité à travailler avec les PME. C'est dire, monsieur le sénateur, si nous vous avons entendu !

Monsieur Dupont, vous avez parlé de l'optimisation de l'utilisation des locaux universitaires. Vous avez raison, nous devons être plus efficaces dans le domaine de l'immobilier universitaire, indépendamment des dotations budgétaires. J'en suis totalement convaincu ! La mise en sécurité est une priorité.

Quant aux contrats de plan État-région, qui ont été à plusieurs reprises évoqués, les engagements dans le domaine universitaire seront tenus à 90 % à la fin de 2006. Certes, ce n'est pas 100 %, mais, en comparaison, ce taux est plus qu'honorable.

Le plan Anciaux s'exécute très convenablement. Le rythme annuel de 7 000 rénovations sera atteint en 2006. En revanche, la création de 5 000 logements neufs par an sera plus difficile à réaliser, surtout dans les grandes villes où une collaboration totale de la collectivité territoriale sera nécessaire. C'est à Paris qu'il est le plus difficile d'atteindre l'objectif de 5 000 logements créés par an sur dix ans.

Vous avez parlé d'autonomie, de gouvernance, nous y reviendrons sans doute lors de l'examen du projet de loi de programme pour la recherche.

Je rappelle que la création des pôles de recherche et d'enseignement supérieur répond aux souhaits de la communauté universitaire de disposer d'outils renouvelés, respectueux de l'identité et de la cohérence de l'université afin de mieux travailler.

Nous avons exactement le même point de vue en ce qui concerne les établissements d'enseignement supérieur : ils doivent tous afficher le taux de réussite au diplôme selon le baccalauréat obtenu et le taux d'emploi à l'issue des études. C'est impératif !

Nos établissements d'enseignement supérieur assurent un service public. Or un service public a des devoirs vis-à-vis de ses usagers. Les étudiants sont les usagers du service public de l'université et, à ce titre, ils doivent disposer d'informations claires et d'un égal d'accès à ces informations.

Ainsi, tous nos établissements doivent publier les chiffres-clés permettant de savoir quel baccalauréat offre la chance la plus élevée ou la plus faible de réussite dans une filière ou d'obtenir un diplôme déterminé. Il faut également dire aux futurs étudiants et à leur famille que les chances de décrocher un emploi sont très inégales selon les formations.

Ces chiffres sont faciles à obtenir. Il faut les publier ! Nous allons mettre en place des moyens afin que nos compatriotes puissent accéder à ces informations, notamment par le biais d'Internet.

L'échec en premier cycle est le défaut majeur de notre université. De considérables progrès ont eu lieu, mais ils ne sont toujours pas apparents. L'université s'est ouverte, professionnalisée ; elle s'est considérablement rapprochée du monde de l'entreprise.

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