Enfin, le choix du Gouvernement d’engager la procédure accélérée limite de fait le dialogue. Or ce projet de loi aurait mérité un examen approfondi puisque, grâce à de multiples ajouts, il comporte désormais 46 articles, contre 29 initialement !
Cette décision, au lendemain de la lettre rectificative relative aux infirmiers, montre bien que ce texte n’était pour vous qu’un prétexte pour faire passer, à la veille de la réforme des retraites, un dispositif qui escamote la question de la pénibilité. D’où cette inquiétude légitime : ce texte ne serait qu’un ballon d’essai. En effet, il s'agit d’une technique dont vous avez largement usé ces dernières semaines, aux cours desquelles vous avez laissé courir les rumeurs les plus folles sur la réforme des retraites.
Que les choses soient bien claires : nous sommes parfaitement conscients qu’il est essentiel d’engager cette réforme et que les fonctionnaires doivent en prendre leur part. Pour autant, celle-ci ne sera acceptée par les Français qu’à la condition d’être juste !
Or, en reculant l’âge légal, mais aussi l’âge où l’on peut faire valoir une retraite à taux plein, et en augmentant la durée de cotisation, vous choisissez de frapper principalement ceux qui ont commencé à travailler tôt et qui ont bien souvent exercé les métiers les plus éprouvants. Aux termes du document de synthèse du ministère du travail, vous ne prenez en compte la pénibilité qu’« en maintenant la retraite à 60 ans pour les salariés qui, du fait d’une situation d’usure professionnelle constatée (maladie professionnelle ou accident du travail produisant les mêmes effets), ont une incapacité physique supérieure ou égale à 20 % : 10 000 personnes concernées. »
Est-ce à dire que, en France, seules 10 000 personnes, sur vingt-cinq millions de salariés, exerceraient un métier pénible ?
Pis encore, il faudra être physiquement déjà gravement atteint pour pouvoir bénéficier de ce qui constitue aujourd’hui encore un droit pour tous. Quelle régression intolérable ! Les Français ne s’y trompent pas : différents sondages attestent qu’ils sont une majorité à juger ce projet injuste.
J’en viens au sort réservé aux fonctionnaires. Ceux-ci subiront, comme tous les Français, le relèvement de l’âge d’ouverture des droits à pension et l’augmentation de la durée de cotisation. Ils seront également frappés par le passage de 7, 85 % à 10, 55 % de leur taux de cotisation. Bien qu’il soit lissé sur dix ans, ce processus se traduira mécaniquement par une baisse de leur pouvoir d’achat, déjà mis à mal depuis quelques années par des augmentations trop faibles du point d’indice, seul élément salarial dont bénéficient tous les agents. Cette hausse du taux de cotisation, sans qu’elle soit accompagnée d’une quelconque compensation, ne fera qu’accentuer cette dégradation salariale !
Cet alignement sur le privé, que vous appelez « convergence entre les régimes », n’est équitable qu’en apparence. J’en profite pour rappeler que, en ces domaines, comparaison n’est pas raison et qu’il faut se garder de toute démagogie consistant à désigner les fonctionnaires comme des privilégiés. En effet, faire circuler des chiffres, parfois spectaculaires, destinés à illustrer de supposées inégalités en faveur du secteur public, c’est oublier quelque peu la différence de niveaux de qualification. Ainsi, on compte 30 % de cadres dans la fonction publique de l’État, contre seulement 16 % dans le privé.
Encore avons-nous échappé au calcul de la pension sur les vingt-cinq meilleures années de carrière, au lieu des six derniers mois de traitement indiciaire !