Toutefois, nous ne sommes dupes ni de la manœuvre ni des annonces faites, mercredi dernier, par M. Woerth, lequel semble n’avoir rien retenu des consultations des partenaires sociaux. Il faut dire que ceux-ci n’ont eu connaissance du contenu de ses déclarations que quelques minutes seulement avant qu’elles ne soient rendues publiques !
C’est pourquoi nous avons de sérieuses raisons de craindre que les mesures annoncées ne soient déjà quasi intangibles et que les étapes suivantes ne soient que purement formelles. Cela vaut tant pour les prochains passages devant les différents conseils chargés d’examiner le projet de loi avant sa présentation en conseil des ministres, le 13 juillet prochain, que pour l’examen, à l’automne, du texte par le Parlement, transformé par vos soins en « chambre d’enregistrement express ».
Qu’est-ce qu’un dialogue dont les paramètres essentiels sont déjà arrêtés, sinon une parodie ?
Vendredi dernier, le Président de la République, censé endosser le rôle d’arbitre, a, selon un communiqué de l’Élysée, « demandé à Éric Woerth de lui proposer, au plus tard avant le début du débat parlementaire en septembre, les évolutions qui pourraient être envisagées sur tout ou partie de ces différentes questions, … » – à savoir la pénibilité, les carrières longues, les poly-pensionnés – « …dans le respect de l’équilibre général de la réforme ». En d’autres termes, il s’agit d’une réponse dilatoire, à la marge et au conditionnel, c'est-à-dire inappropriée et dérisoire !
Quant à M. Woerth, il se montre inflexible, excluant toute renégociation du relèvement de l’âge légal de départ et écartant également toute hypothèse de compensation de l’augmentation du taux de cotisation pour les fonctionnaires. Ainsi, dressant le public contre le privé, alors que la comparaison n’a pourtant pas de sens, il déclarait : « Non, on ne compensera pas, car comment voulez-vous régler une question d’injustice entre salariés du privé et du public et dire en même temps on compense ? Il faut regarder les choses en face et assumer, nous assumons. […] Nous augmentons sur dix ans, cela fait 0, 27 % ou 0, 28 % par an, ce n’est pas beaucoup. » Les intéressés apprécieront !
Il est vrai que ce Gouvernement ne les ménage guère ! Au nom du dogme aveugle du non-remplacement d’un agent sur deux partant à la retraite, il poursuit les diminutions drastiques d’effectifs : après que 100 000 postes ont été supprimés entre 2007 et 2010, la disparition de 100 000 autres est annoncée pour la période 2011-2013.
Année après année, l’éducation nationale est durement frappée. Au mois de mai dernier, le ministère a entamé avec les recteurs d’académie un « dialogue » – là aussi ! – pour élaborer un schéma d’emplois 2011-2013 visant à détruire des postes d’enseignants. Parmi les pistes de travail proposées, pour ne parler que de l’enseignement primaire, il est envisagé d’augmenter le nombre d’élèves par classe et de diminuer encore la scolarisation des enfants âgés de deux à trois ans. Et les communes, qui se trouvent alors contraintes d’ouvrir des crèches, se voient ensuite reprocher de trop embaucher !
Il est également prévu de supprimer de nouveaux postes d’enseignants du réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, RASED, et de recourir à des non-titulaires pour les remplacements courts.
Je croyais pourtant, comme beaucoup de Français, avoir entendu à la télévision, le 25 janvier dernier, le Président de la République affirmer : « Je suis tout à fait prêt à envisager la titularisation progressive des contractuels. » Selon le Gouvernement, l’État emploierait 850 000 contractuels. Or ceux-ci seraient plutôt 1, 2 million, si l’on inclut les médecins hospitaliers, les ouvriers de l’État et les contrats aidés. Nombre d’entre eux occupent des emplois permanents, ce qui justifie leur titularisation, comme le prévoient les statuts des trois fonctions publiques.
Étrangement, nulle lettre rectificative sur ce sujet ! Vous préférez différer... Attendons donc l’automne, non sans craindre que vous ne privilégiiez les passages de CDD en CDI de droit public, au détriment des titularisations pures. Nous serons attentifs, car cela participe des atteintes réitérées que vous portez au statut général des fonctionnaires. L’institution de CDI de droit public est un lourd symbole, en ce qu’elle tend à mettre en avant le contrat par rapport au statut.
La loi sur la mobilité des fonctionnaires facilite le recours aux non-titulaires et, novation scandaleuse, autorise l’emploi d’intérimaires. Un décret sur la réorientation professionnelle est sur le point d’être publié, une fois de plus malgré le rejet massif des syndicats, exprimé par le boycott du Conseil supérieur de la fonction publique de l’État, le 11 février dernier. En pratique, il s’agit de créer une procédure de licenciement économique dans la fonction publique : désormais, il sera possible de licencier un fonctionnaire au motif que son poste est supprimé.
La multiplication des dispositifs de rémunération au mérite constitue également une atteinte au statut. Vous choisissez de sacrifier l’essentiel – la revalorisation du point d’indice – à l’accessoire – la prime.
Le Gouvernement nous promet la rigueur, même s’il use de toutes les subtilités de la langue de bois pour ne pas employer ce terme. La menace d’un gel des salaires des fonctionnaires en 2011, 2012 et 2013 plane. La hausse du point d’indice de 0, 5 % au mois de juillet prochain, pourtant déjà actée, pourrait même être remise en cause !
Quant à la réforme des collectivités territoriales, que nous allons bientôt examiner, elle comporte son lot d’incertitudes et fait craindre d’autres lendemains qui déchantent…
Dans ce climat délétère, je crois l’avoir clairement montré, votre pratique du dialogue s’apparente en tout point à un monologue ! Sur les discussions du projet de loi de rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique, je ne peux que constater l’absence de « solution acceptable par les deux parties en présence », vers laquelle aurait dû tendre un véritable dialogue.
C’est pourquoi nous ne pouvons voter en faveur d’un texte instrumentalisé jusqu’à l’absurde puisqu’il contient désormais des mesures ayant fait l’objet d’un passage en force, contredisant son propre objet : le dialogue social.
Substitution du monologue au dialogue, manque de véritable concertation avec les syndicats, rejet de l’ensemble des amendements que nous avons présentés : nous sommes manifestement en présence d’un repli sur une politique que je n’irai pas jusqu’à qualifier de réactionnaire, mais qui est indéniablement de droite.