Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme l’ont rappelé les orateurs précédents, le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 65 de la Constitution est un texte majeur. Il traduit deux avancées indéniables de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature, par le biais de la suppression de la présence du chef de l’État, et l’ouverture à tout justiciable d’un droit de saisine direct du Conseil lorsqu’il s’estime victime d’un comportement arbitraire.
Avant d’en venir au fond des conclusions de la commission mixte paritaire, je tiens à exprimer mon regret que ce texte n’ait pas réglé l’une des problématiques fondamentales de notre justice qui préoccupe à juste titre nos concitoyens : celle du statut du parquet, toujours mis à mal par le lien hiérarchique qui demeure entre la Chancellerie et les parquets généraux. La subsistance de ce lien entre pouvoir politique et justice continue de susciter de légitimes interrogations quant à l’indépendance de notre justice. Si l’arrêt Medvedyev et autres contre France de la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas définitivement tranché ce point, il soulève toutefois suffisamment de questions pour que nous décidions de mettre fin, un jour, à cette proximité douteuse qui entache la réputation de la justice française.
Je ne reviendrai pas non plus sur l’absence de parité au sein du Conseil supérieur de la magistrature ; nous avions démontré, au cours des discussions précédentes, qu’elle contrevenait à deux recommandations du Conseil de l’Europe.
S’agissant des conclusions de la commission mixte paritaire, trois questions étaient restées en suspens à l’issue des deux lectures pratiquées dans chacune des assemblées : l’interdiction de plaider pour l’avocat siégeant au CSM, les dispositifs de sanction des manquements aux règles déontologiques des membres du Conseil supérieur de la magistrature, et l’autonomie budgétaire de ce dernier.
La première de ces questions est fondamentale car elle soulève la problématique de l’indépendance de l’institution. La situation de l’avocat ne peut être comparée à celle des magistrats membres du Conseil, dans la mesure où ceux-ci sont soumis à des obligations statutaires qui garantissent leur indépendance ; l’avocat, à l’inverse, est par nature intéressé à l’issue d’une instance.
Au demeurant, la présence même d’un avocat, qui conserverait la possibilité de plaider devant des magistrats dont il pourrait connaître de la situation en matière disciplinaire, constitue à elle seule une atteinte directe à l’impartialité de la justice. Trop de présomptions, même abusives, pourraient en découler et altérer, aux yeux du justiciable, l’autorité de la justice.
Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que la Cour européenne des droits de l’homme apprécie toujours le caractère équitable d’un procès en examinant l’impartialité de la juridiction sur un plan non seulement subjectif, mais aussi objectif, en tenant compte de l’apparence d’impartialité, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur.
À ce titre, et compte tenu du fait qu’un membre de la formation compétente à l’égard des magistrats du siège sera amené à examiner, au cours de quatre années, la situation de l’ensemble des magistrats, ou quasiment, la rédaction des articles 4 et 6 bis adoptée par la commission mixte paritaire reste en deçà de ce que le Sénat avait voté.
Les membres de mon groupe étaient allés plus loin en défendant le principe d’une interdiction pure et simple de plaider, afin de lever ab initio toute suspicion pouvant peser sur l’avocat. Il me paraît regrettable que cette solution n’ait pas été suivie.
De surcroît, la possibilité de sanctionner seulement a posteriori le membre du CSM auquel est reprochée une violation de ses obligations ne fait pas disparaître les doutes pouvant entacher l’impartialité des délibérations du Conseil.
En revanche, l’échelle des sanctions adoptée par la commission mixte paritaire me paraît plus équilibrée que celle qu’avait prévue le Sénat : la substitution de l’avertissement à une suspension temporaire permet en effet d’éviter de stigmatiser le membre du Conseil supérieur de la magistrature en cause.
Enfin, j’en viens à l’autonomie budgétaire du CSM qui participe également de sa pleine indépendance vis-à-vis de la Chancellerie, en particulier de la Direction des services judiciaires. L’expérience de ces dernières années a montré que les enveloppes de crédits allouées annuellement au Conseil supérieur de la magistrature ne suffisaient pas à couvrir ses frais de fonctionnement, et qu’il devait paradoxalement solliciter des dotations exceptionnelles de la Direction des services judiciaires. Or sachant que les propositions de nomination soumises au Conseil lui sont transmises par cette direction, on se doute que l’indépendance matérielle de ce dernier n’est que pure spéculation de l’esprit.
Par l’entremise de M. le rapporteur – je l’en remercie – le Sénat a obtenu, lors de la réunion de la commission mixte paritaire, le maintien du texte qu’il avait adopté : la loi de finances fixera directement le montant des crédits dont le CSM disposera, ce qui contribuera indéniablement à lui assurer une plus grande distance vis-à-vis de la Chancellerie. On ne peut que s’en féliciter !
Ces observations sur les conclusions de la commission mixte paritaire n’enlèvent rien à l’appréciation que les membres du RDSE portent sur l’ensemble du projet de loi organique.
Ainsi, le fait que le Conseil supérieur de la magistrature ne fasse que donner son avis sur les nominations des membres du parquet pose la question de l’utilité même de cet avis. L’engagement de poursuites disciplinaires par un justiciable s’estimant lésé par le comportement d’un magistrat sera également un exercice difficile, puisqu’il sera subordonné à la constatation d’une violation par une décision de justice devenue définitive. Par ailleurs, le délai de la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par tout justiciable – un an après la fin de la procédure –nous paraît trop bref. Enfin, monsieur le secrétaire d’État, nous continuons de nous interroger sur l’éligibilité à l’aide juridictionnelle des plaignants introduisant une procédure devant le CSM.
Pour toutes ces raisons, ainsi que pour celles qu’a évoquées mon collègue Jacques Mézard lors de nos précédentes réunions, les membres du RDSE confirmeront leur vote des deux lectures précédentes : la grande majorité d’entre eux s’abstiendra, tandis qu’une minorité approuvera ce projet de loi organique.