Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de saluer tout d’abord le remarquable travail de toutes celles et tous ceux qui ont contribué à ce texte, en particulier le rapporteur, François Pillet, infatigable soutien de cette juste cause.
Mais je veux aussi remercier Mme Françoise Laborde, pour son rapport fait au nom de la délégation aux droits des femmes, et Mme Muguette Dini, pour son travail précieux réalisé au nom de la commission des affaires sociales.
Adapter notre législation à une délinquance trop longtemps renvoyée à la sphère privée, quand elle n’était pas tout simplement niée, relève d’une responsabilité partagée entre des hommes et des femmes qui – est-il besoin de le dire ? – transcende les clivages politiques traditionnels.
L’année 2010 est d’ailleurs justement placée sous le signe de la lutte contre les violences faites aux femmes. La présidence espagnole qui s’achève en a également fait, notamment au niveau Justice et affaires intérieures, une de ses priorités.
Ces violences commises au sein du couple ne sont pas une fatalité ; elles doivent être mieux connues poux être mieux combattues.
Ainsi, pour ne citer que les chiffres qui relèvent du ministère de la justice, les parquets français ont, en 2008, enregistré 59 427 affaires nouvelles en matière de violences conjugales, contre 42 574 en 2005, ce qui constitue une forte progression.
Sur la même période, le nombre des condamnations prononcées de ce chef par les juridictions correctionnelles est passé de 10 684 à 16 773, ce qui représente une augmentation importante, peut-être due en partie à un accroissement du nombre de plaintes déposées.
À côté de ces procédures, combien de personnes ont trouvé la fin de leur calvaire physique et psychique, par le suicide, en se donnant la mort ? Combien ont été blessées ou ont dissimulé les violences qu’elles ont subies ?
Combien d’entre elles en portent la cicatrice psychique indélébile, qui génère tant de douleurs et fragilise la reconstruction de leur vie personnelle à l’avenir ?
Si l’on peut se réjouir des progrès sensibles constatés, il reste qu’aujourd’hui personne ne peut prétendre connaître avec exactitude l’ampleur de ce fléau. Force est de constater que la loi du silence reste encore trop souvent la triste norme chez les victimes, par peur des représailles, par honte, par sentiment de culpabilité – très souvent, les professionnels en contact avec des personnes qui sont victimes de violences relèvent ce sentiment de culpabilité de la victime –, ou encore par ignorance de leurs droits, ce qui est encore une situation trop fréquente.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous en êtes convaincus, il n’est plus possible de considérer que des violences commises au sein de la sphère privée ne regardent pas l’ensemble de la société.
Le temps où l’on fermait les yeux sur cette réalité est révolu.
Déjà, en réprimant plus sévèrement les violences dès lors qu’elles étaient commises par un conjoint ou un concubin, le nouveau code pénal a, en 1994, montré l’attachement des pouvoirs publics à combattre plus fermement ces violences.
Notre dispositif législatif s’est ensuite étoffé au fil des années : la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, la loi du 12 novembre 2005 sur le traitement de la récidive, la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs – je pense notamment à l’action de M. Roland Courteau –, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, enfin, la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.
L’ensemble de ces textes ont assurément créé une dynamique salutaire pour faire reculer l’inadmissible.
Nous sommes ainsi parvenus à atteindre un résultat équilibré s’agissant de la protection de la victime non seulement par une éviction de l’auteur des violences du domicile familial, mais également par une répression pénale accrue dans la sanction et dans le traitement thérapeutique imposé à l’auteur de violences.
Néanmoins, ce combat mérite que nous dotions les pouvoirs publics de nouveaux instruments juridiques. Tel est l’objet du présent texte.
Tout d’abord, les moyens juridiques sont renforcés.
En situation d’urgence, les victimes de violence conjugale doivent pouvoir compter sur une réponse rapide, efficace et cohérente de la justice.
Il apparaît donc important que la victime puisse user de toutes les voies procédurales lui permettant de saisir efficacement le juge aux affaires familiales. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement vous proposera un amendement visant à n’exclure aucun mode de saisine.
Par ailleurs, la création d’une ordonnance de protection temporaire, prise par le juge des affaires familiales, répondra à un triple objectif.
Premier objectif : articuler les réponses civiles et pénales.
Les mesures civiles prises à titre temporaire couvriront, en effet, un large champ : éviction du domicile, aide matérielle, notamment en matière de logement, modalités d’exercice de l’autorité parentale, pension alimentaire, possibilité pour la victime de dissimuler son adresse, interdiction d’entrer en contact avec la victime et interdiction de port d’arme pour l’auteur, bien sûr.
Ces mesures sont mises en œuvre sans préjudice des poursuites engagées dans le cadre pénal. Elles donneront lieu à une communication étroite entre le juge civil et le juge pénal.
Il faut que la victime sache que la voie pénale permettra de lui apporter une protection immédiate et de sanctionner l’auteur. C’est pourquoi le juge pénal devra être privilégié pour les mesures restrictives de liberté telles que l’interdiction d’entrer en contact et, bien évidemment, de port d’arme.
Deuxième objectif : prendre en compte les évolutions des modèles familiaux.
Actuellement, le juge aux affaires familiales peut, en référé, prononcer une mesure d’éviction contre le conjoint violent. Or l’éviction n’était pas prévue pour les concubins et les partenaires de PACS.
La proposition de loi comble un vide juridique en étendant le champ de la mesure d’éviction civile à toutes les situations de vie en commun, assurant ainsi une égale protection quelle que soit la situation familiale.
Troisième objectif : étendre la protection aux enfants.
Aujourd’hui, le respect des interdictions de sortie du territoire prononcées par le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants s’avère difficilement contrôlable.
Désormais, ces interdictions de sortie du territoire seront inscrites par le procureur de la République au fichier des personnes recherchées afin d’en assurer une pleine efficacité et de prévenir les déplacements illicites.
Ensuite, les moyens sont également renforcés par la technologie. C’est un point auquel Nadine Morano était particulièrement attachée et je veux au passage saluer – également au nom de Mme le garde des sceaux – le bon travail interministériel entre nos deux départements. Les idées qu’elle avait émises en son temps s’inscrivent aujourd'hui dans le texte. Je pense notamment aux téléphones portables d’alerte, qui ont été mis en place en Seine-Saint-Denis grâce à un partenariat très fructueux entre la justice et les collectivités locales.
Pour mieux protéger les victimes de violences conjugales, le ministère de la justice et des libertés entend généraliser l’expérimentation en dotant les victimes qui le souhaitent de ce dispositif de téléprotection, permettant d’alerter les services de police. Je vous indique qu’un décret a été pris en ce sens.
La mise en œuvre de bracelets électroniques complètera le dispositif ; vous les aviez également évoqués, madame la secrétaire d’État.
Le bracelet électronique, inspiré par l’exemple espagnol, vise à garantir le respect d’une décision judiciaire d’éloignement prise par le juge.
Ce dispositif permet de signaler à distance que l’ex-conjoint violent de la victime se trouve à proximité de celle-ci.
Plusieurs hypothèses – que je ne développerai pas – sont prévues à cet égard : avant le jugement, après le jugement, en cas de menaces commises au sein du couple, bref un dispositif assez complet.
Nous veillerons, bien sûr, à l’efficacité du travail engagé dans le cadre interministériel, dont j’ai salué voilà un instant la pertinence et l’efficacité.
Par ailleurs, il y a, bien sûr, les sanctions.
Certaines sanctions déjà prévues seront alourdies. Il en est ainsi s’agissant de violences conjugales commises de manière habituelle.
De nouvelles incriminations seront aussi créées. En effet, on le sait, toutes les violences ne sont pas de nature physique.
Je vous rappelle que la notion de violence psychologique a été reconnue par la jurisprudence. Elle sera désormais inscrite dans le code pénal.
Les violences conjugales interviennent souvent dans le cadre de mariages forcés. Les sanctions seront aggravées au regard de cette situation particulière. Il en sera de même pour celles qui accompagnent, précédent ou suivent les mariages forcés.
La sanction doit aller de pair avec un soutien renforcé des victimes.
L’accès au juge doit être garanti pour les victimes de violences conjugales.
Sur le sol français, toute victime de violences conjugales a le droit de voir l’auteur sanctionné par les tribunaux. C’est une question de justice, non de ressources ou de régularité du titre de séjour.
C’est pourquoi l’aide juridictionnelle doit être étendue à toutes les victimes. L’aide juridictionnelle doit pouvoir être accordée à toutes les personnes qui bénéficient d’une ordonnance de protection, sans condition de résidence.
Le soutien des victimes suppose aussi la formation des professionnels chargés de les accompagner. Lorsqu’on parle avec ces professionnels, qu’ils soient magistrats, avocats, psychologues ou policiers, on se rend compte très rapidement qu’une bonne connaissance de la psychologie des victimes est indispensable à une bonne prise en compte de leurs souffrances et à une bonne réactivité.
Ainsi, des formations spécialisées sont déjà dispensées par l’École nationale de la magistrature, l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse et l’École nationale d’administration pénitentiaire, en matière de prévention et de prise en charge des violences faites aux femmes.
Cette formation devra profiter à l’ensemble des acteurs concernés : les policiers, les gendarmes, les professionnels de la santé et les fonctionnaires de l’éducation nationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, devant l’ampleur des enjeux soulevés par les violences conjugales, en particulier les violences faites aux femmes, le temps de la résignation ou de la seule compassion est révolu.
Les Français attendent de la fermeté, des réponses claires et concrètes, une action vigilante, déterminée et sans faiblesse contre les auteurs de ces violences.
En adaptant les modalités d’intervention de la justice, ce texte permettra d’amplifier les efforts déjà engagés. Il montrera à toutes les femmes victimes de violences sur notre sol que l’État est plus que jamais déterminé à les protéger.
Ainsi, ensemble, nous contribuerons à garantir la sécurité des personnes et à rendre pleinement effective leur liberté. La représentation nationale est totalement dans sa mission lorsqu’elle s’attache, au-delà des clivages partisans, à apporter des réponses pour lutter contre une violence qui s’exerce contre les plus fragiles.
C’est notre devoir. C’est notre responsabilité au service des Français. Nous pouvons ensemble, me semble-t-il, être fiers aujourd'hui de porter ce texte.