Incontestablement, les deux propositions de loi soumises aujourd'hui à l’examen du Sénat s’inscrivent dans la dynamique de protection créée par la loi de 2006.
Présenté en « rafale », le texte de la commission des lois qui les synthétise prévoit en faveur des victimes de violences au sein des couples plusieurs mesures : une nouvelle procédure accélérée, l’aide juridictionnelle, des soins médico-psychologiques à l’agresseur, son placement sous surveillance électronique, des espaces de rencontre sécurisés, un titre de séjour aux victimes sans papiers, un accès prioritaire au logement social ou universitaire, la formation de tous les personnels susceptibles de leur venir en aide, un contrôle renforcé du contenu des médias, une nouvelle définition du harcèlement de couple, une mobilisation des moyens publics contre les mariages forcés et la confection de plusieurs rapports de contrôle.
Cette énumération suffit à elle seule à justifier la conformité de ces textes au principe de rééquilibrage de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Globalement, notre délégation souligne que, au travers de cette grande variété de mesures, nous lançons aussi et surtout un signal fort – et jusqu’à présent unanime – de pacification des relations familiales : légiférer dans ce domaine comporte en soi une valeur symbolique et humaine qui va bien au-delà de la simple addition des composantes du texte.
À toutes celles et tous ceux qui auraient souhaité que ce texte soit encore complété sur un certain nombre de points, je rappellerai d’abord qu’un projet de réforme n’est jamais totalement exhaustif. Il repose sur des choix et sur un « ciblage » particulier. C’est une condition de son efficacité.
J’ajoute que, à l’occasion de l’examen de cette réforme, nous adressons un très puissant témoignage de soutien aux associations d’aide aux victimes.
Toutefois, notre mission consiste également à veiller au réalisme et à la simplicité des normes que nous adoptons. Notre délégation a fait preuve d’une certaine fermeté à cet égard, en pensant non seulement au justiciable, mais également aux professionnels du droit et aux magistrats : le besoin de lisibilité de la loi n’a jamais été aussi impérieux.
Nous avons constaté que le dispositif adopté par l’Assemblée nationale comporte trente-cinq articles et modifie neuf codes en vigueur. Voilà qui témoigne de la volonté très positive de traiter les violences conjugales selon une approche transversale !
Par souci de réalisme, la délégation aux droits des femmes a relevé les risques et les effets pervers qu’induit nécessairement une telle complexité et a, en conséquence, recommandé de mobiliser les règles nouvelles pour venir en aide à celles et ceux qui en ont le plus besoin, et non pas aux procéduriers.
J’en veux pour preuve l’article 8 du texte de la commission, que j’approuve tout particulièrement et qui vise à modifier la définition du délit de dénonciation calomnieuse.
À de nombreuses reprises, notre délégation a été alertée sur les difficultés que rencontrent des victimes de violences menacées par cette « infraction boomerang ». Avec la nouvelle rédaction, on ne pourra plus considérer qu’il y a calomnie lorsque le juge prononce la relaxe de l’agresseur supposé au bénéfice du doute. Il s’agit donc d’éviter les plaintes systématiques et de libérer la parole des victimes.
Notre délégation a ensuite souhaité que cette réforme, qui résulte de l’initiative parlementaire et a été votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, ne soit pas, du point de vue politique, affaiblie dans sa portée.
Du point de vue technique, les dispositions prévues n’ont cependant pas toutes été soumises aux « filtres » juridiques qui entourent l’élaboration des projets de loi. Leur insertion harmonieuse dans l’ordre juridique français méritait donc d’être affinée par la commission des lois, dont je salue la qualité des travaux.
En même temps, pour mieux situer la réforme dans son contexte général, notre délégation a tenu à rappeler la complémentarité de celle-ci par rapport aux outils efficaces qui existent d’ores et déjà dans le droit en vigueur.
L’article 1er prévoit notamment la création d’une ordonnance de protection des victimes. Il s’agit de la mesure la plus innovante, qui s’inspire de l’outil phare de la politique de l’Espagne. À cet égard, je signale que, dans ce pays, l’ordonnance est délivrée par le magistrat de permanence après que la victime a rempli un simple imprimé. Je reconnais que la transposition pure et simple d’un tel mécanisme paraissait mal adaptée au droit français et au principe du contradictoire qui demeure l’un de ses piliers fondamentaux.
Je précise que l’ordonnance de protection prévue à l’article 1er ne prétend pas régler définitivement tous les problèmes. Il s’agit d’accorder à la victime le temps nécessaire pour décider de la suite à donner à cette première étape sur le plan civil ou pénal.
Pour bien cadrer ce nouvel outil, et sans minimiser aucunement sa portée, notre délégation a donc recommandé de rappeler aux victimes qu’il s’agit d’un outil temporaire et complémentaire : le droit pénal en vigueur permet d’aboutir à des solutions plus énergiques, à condition de porter plainte.
Pour ce qui concerne les violences psychologiques prévues à l’article 17 du texte, la délégation aux droits des femmes a tout d’abord constaté que la transposition du délit de harcèlement moral au travail dans les relations de couple n’est pas une révolution juridique puisque, depuis 1892, la jurisprudence admet que les violences peuvent ne pas se limiter à des atteintes physiques et prend en compte celles qui sont « de nature à provoquer une sérieuse émotion ». Je signale d’ailleurs au passage que le fait de harceler autrui au téléphone constitue d’ores et déjà le délit d’appels téléphoniques malveillants réitérés prévu par l’article 222-16 du code pénal.
Il s’agit cependant d’une innovation majeure dans notre code pénal, qui soulève deux principales inquiétudes sur son applicabilité.
En premier lieu, le représentant de l’Association nationale des juges de l’application des peines, l’ANJAP, a fait observer que le harcèlement moral étant d’ores et déjà difficile à prouver dans le cadre professionnel, il risque de le devenir encore bien plus dans les relations de couple, qui se développent le plus souvent à l’abri des regards extérieurs et en l’absence de témoins objectifs. Ainsi, les classements sans suite des plaintes risquent de se multiplier.
En second lieu, certaines associations de femmes craignent que des maris violents ne recourent de manière abusive à ce dispositif, en se présentant eux-mêmes comme victimes de harcèlement conjugal. En même temps, elles ont rappelé l’utilisation fréquente du mutisme comme moyen d’intimidation, et on peut effectivement s’interroger sur la difficulté de prendre en compte le silence d’un conjoint au niveau juridique.