Intervention de Odette Terrade

Réunion du 22 juin 2010 à 14h30
Répression des violences faites aux femmes. - violences au sein des couples — Suite de la discussion de deux propositions de loi

Photo de Odette TerradeOdette Terrade :

Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues : « enfin » ! Ce mot est de circonstance au regard du temps qui s’est écoulé et des 16 000 pétitions qui ont été signées avant que ce texte ne soit débattu à l’Assemblée nationale et arrive – enfin ! – jusqu’à nous !

En 2006, la proposition de loi déposée par la présidente de notre groupe, Nicole Borvo Cohen-Seat, avait largement contribué, avec la proposition de loi de notre collègue Roland Courteau, à ce qui est devenu la première pierre de la reconnaissance des violences faites aux femmes.

En 2007, nous avons relayé la demande des associations féministes et déposé la proposition de loi-cadre relative à la lutte contre les violences à l’encontre des femmes.

Fruit d’un long travail de concertation et de réflexion avec les magistrats, les associations ou les collectifs de femmes, fruit aussi de l’expérience du seul observatoire des violences envers les femmes existant en France, celui du conseil général de la Seine-Saint-Denis, la proposition de loi que nous examinons ce soir est non pas une conclusion, mais plutôt une maturation, et elle marque une nouvelle étape importante pour les droits des femmes, une étape pour laquelle nous nous devons tous de répondre présentes et présents, tant les attentes des victimes sont fortes.

Le crime conjugal reste encore défini, par notre société, comme un crime passionnel et les violences contre les femmes ne sont devenues des circonstances aggravantes que depuis les textes de 2006.

Le constat est alarmant : une femme sur dix est victime de violences dans son couple, soit 1 800 000 femmes par an, ce qui est considérable ! Parmi elles, un tiers est victime de violences graves ou très graves.

Selon une enquête de l’INSEE publiée en 2007, 200 000 femmes sont victimes de viols chaque année.

Une femme meurt assassinée par son compagnon ou ex-compagnon tous les deux jours.

Au-delà de l’effroyable énoncé de ces chiffres, nous avons encore une marge de progrès certaine en matière d’élaboration de données statistiques fiables.

D’ailleurs, M. François Pillet indique dans son rapport que « les chiffres constatés par les services de police et de gendarmerie paraissent bien en deçà des violences subies. Selon l’observatoire national de la délinquance, l’OND, le nombre de plaintes déposées par les victimes de violences conjugales représenteraient moins de 9 % des violences conjugales réellement subies. »

Alors que je puis affirmer, en me fondant sur les statistiques de cet observatoire, que 400 000 voitures sont volées par an, je suis incapable de vous dire combien de femmes sont mutilées ou rendues infirmes à vie, combien sont défenestrées, ou « suicidées » du fait des violences au sein de leur couple.

Au fur et à mesure que les statistiques s’affinent, les chiffres augmentent et on découvre davantage les ravages que les violences faites aux femmes provoquent dans toute la société. Nous ne disposerons de chiffres justes et précis que si un travail spécifique est engagé !

Les violences faites aux femmes ont été déclarées « Grande cause nationale 2010 ». Il est donc urgent de cerner au plus près la situation pour y remédier.

Selon une enquête menée dans le cadre du programme européen Daphne, aujourd’hui, dans notre pays, plus d’une femme par jour serait tuée par son conjoint ou ex-conjoint. Lorsqu’un phénomène touche un si grand nombre de personnes, il s’agit d’un véritable phénomène de société et nous sommes alors tous concernés !

Les comportements violents des hommes envers les femmes sont des actes individuels inscrits dans des rapports sociaux de domination masculine encore trop fortement tolérés par notre société. Il n’est pas rare que l’on parle de « différends » au sein des couples pour ne pas avoir à prononcer le mot « violence ».

Mes chers collègues, de fortes résistances au changement, fondées sur les discriminations entre les femmes et les hommes, persistent dans notre société. C’est pourquoi je soutiens l’intitulé de cette proposition de loi qui indique clairement qu’il existe dans notre société des « violences spécifiques faites aux femmes ». Permettez-moi d’avoir une pensée pour toutes celles qui souffrent de ces violences, pour toutes celles qui résistent et cherchent de l’aide, une pensée pour les enfants, premiers témoins de ces violences, ainsi que pour les professionnels et les associations qui les soutiennent

L’expérience des avocats ou des associations qui accompagnent les victimes indiquent que la période où la femme se sépare de son partenaire est la phase la plus dangereuse.

De plus, l’épisode meurtrier n’est pas un acte isolé, qui surviendrait de manière soudaine. Il est bien souvent précédé par de nombreux actes de violences qui ne font pas toujours l’objet de signalements judicaires, mais qui sont autant de signaux qui devraient pourtant être pris en compte.

Le décès de la femme est très souvent l’aboutissement d’un processus de violences masculines que l’on a pas su, ou pas voulu, écouter.

Souvent, les femmes victimes nous alertent sur les dangers qu’elles courent, à l’image de cette jeune femme du Val-de-Marne, Tanja, assassinée par son ex-compagnon à l’occasion de son droit de visite de père, alors qu’il faisait l’objet d’un sursis avec mise à l’épreuve lui interdisant d’approcher du domicile de la jeune femme.

Cet exemple rappelle à chacun d’entre nous la nécessité d’instituer de meilleures mesures de protection pour les femmes et leurs enfants, comme une meilleure articulation entre la justice civile et la justice pénale.

C’est justement pour éviter ces trop nombreux drames que je me félicite de l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée de la présente proposition de loi. Nous avons ainsi la possibilité « de marquer clairement la condamnation solennelle des violences faites aux femmes en tant qu’atteintes à la dignité de la personne humaine ».

Mes chers collègues, à l’instar des membres de la mission spéciale de l’Assemblée nationale, nous devons à notre tour apporter des réponses concrètes et utiles à ce problème majeur de notre société que représentent les violences faites aux femmes.

Améliorer la protection des victimes, c’est déjà construire une société plus juste et respectueuse de tous !

J’en reviens au texte de la proposition de loi.

L’article 1er a pour objet d’améliorer la protection des victimes de violences de toutes natures et de faciliter l’accès de ces dernières au droit.

La mise en place de l’ordonnance de protection est une révolution, car elle nous fait passer de la fatalité des injures, des coups, des viols à la responsabilité de chacune des personnes ou institutions auxquelles la femme victime demande de l’aide. Cela va du dépôt de plainte à la procédure en justice, de la demande de soutien à celle d’aide sociale.

Pendant toute la durée de l’ordonnance de protection, c'est-à-dire quatre mois, durée qui peut être prolongée si la femme a engagé une demande de divorce ou de séparation de corps, les femmes auront la possibilité d’engager des procédures contre leur compagnon ou ex-compagnon, alors que jusqu’à présent moins de 10 % d’entre elles seulement osaient porter plainte, par peur de représailles.

Le dispositif prévu ne s’étend pour le moment qu’aux seules victimes de violences conjugales et familiales. Or ce sont bien toutes les femmes victimes de violences ou en situation de danger que la société doit protéger, quels que soient les motifs ou circonstances de ce danger.

L’article 2 de la proposition de loi renforce la protection des femmes en créant un nouveau délit en cas de violation de certaines obligations imposées à l’homme violent par le juge aux affaires familiales. À nouveau, la société envoie un signe fort aux auteurs des violences.

Un autre volet très attendu est celui qui concerne les enfants vivant dans un foyer au sein duquel le père ou le beau-père est violent avec leur mère. Ces enfants sont de réelles victimes des violences dans le couple et subissent de véritables traumatismes. C’est souvent à l’occasion du droit de visite et d’hébergement du père que de nouvelles violences s’exercent sur la mère.

De plus, des études indiquent que les hommes qui ont commis des violences contre leurs compagnes sont dans 40 % des cas des pères maltraitants.

Les articles 3 et 4 redessinent le statut de l’autorité parentale, notamment les critères des droits de visite et d’hébergement pour l’auteur des violences.

Ces articles soulignent la nécessité de recourir, en cas de violences conjugales, à des espaces de rencontre, lesquels sont encore trop peu nombreux sur notre territoire. Ces articles visent aussi à prévoir, comme cela existe déjà en Suède, une mesure d’accompagnement de l’enfant par une tierce personne ou une association.

Les violences nous concernent toutes et tous et nous devons les combattre au nom de la solidarité, pilier fondamental de notre société. L’exercice de la solidarité nationale est renforcé dans les articles 5, 6 et 7 qui prévoient des mesures juridiques pour les femmes étrangères victimes de violences, qui ont plus que d’autres encore besoin que soit réaffirmé leur droit à être protégées.

La question du logement des femmes victimes de violences entre dans la loi : c’est bien ! Mais nous le savons, si nous voulons que cette mesure soit réellement appliquée et évaluée, il va nous falloir être très vigilants, surtout dans le contexte actuel de pénurie de logements.

La modification du délit de dénonciation calomnieuse marque une avancée significative. De manière générale, cette loi, en assurant une meilleure protection des victimes, devrait permettre de faire reculer les obstacles au dépôt de plainte que sont la garde des enfants, la question du logement, la régularisation du séjour pour les femmes étrangères, la menace de plainte pour dénonciation calomnieuse.

Le deuxième volet peu abordé dans ce texte est celui de la prévention des violences. Nous avons besoin d’une prévention globale, afin de faire disparaître les comportements sexistes qui conduisent à ces violences. Sensibilisation de toute la population et formation de tous les professionnels en contact avec les victimes sont les pièces maîtresses du changement de mentalité qu’il nous faut engager.

Mes chers collègues, permettez-moi de regretter que cette proposition de loi réduise à peau de chagrin la formation des professionnels. Au contraire, une formation audacieuse permettrait d’alerter les professionnels sur le phénomène d’« aller-retour » qui se produit chez les femmes avant de sortir de la violence, sur les effets traumatiques des violences psychologiques et, enfin, sur la place des enfants confrontés à la violence conjugale.

Je regrette le retrait de la création d’un observatoire national des violences envers les femmes, à nouveau au profit d’un simple rapport. Outil ambitieux et performant, un observatoire national serait un pion stratégique et indispensable dans la lutte contre les violences, à l’image de l’expérience du département de Seine-Saint-Denis, seul département doté d’une telle structure – je salue d’ailleurs la qualité et le sérieux de son travail.

L’article 11 A prend en compte la prévention par l’éducation pour modifier les comportements sociaux, afin que les petites filles et les petits garçons soient sensibilisés dès le plus jeune âge aux valeurs de respect mutuel et d’égalité entre les deux sexes.

Le dernier axe de la proposition de loi est celui de la répression des violences. Intervenir sur la répression fait partie intégrante de la prévention, car elle indique clairement le refus de ces violences par la société et envoie un signe fort à l’ensemble de nos concitoyens.

L’article 17 relatif au délit sanctionnant les violences psychologiques permet de rappeler par la loi que les violences psychologiques sont interdites et réprimées. Il facilitera, en outre, la prise de conscience des dégâts causés par ces propos humiliants, l’isolement et les agissements dégradants.

Mes chers collègues, vous le comprenez, l’esprit de cette loi est, dans l’ensemble, plutôt positif. Toutefois, nous ne pouvons oublier de nous interroger sue les moyens financiers qui devront être dégagés pour faire appliquer la loi.

Au moment où le Gouvernement supprime tant d’emplois dans les services publics de la police et de l’éducation nationale, où les moyens manquent si cruellement à la justice, où les associations voient leurs subventions réduites, permettez-moi de vous dire l’inquiétude de mon groupe.

Devant l’ampleur des violences faites aux femmes, les traumatismes qu’elles occasionnent chez les victimes et les enfants, le coût social pour la société, il faut dégager de manière volontariste d’importants moyens humains et financiers afin de prévenir, sanctionner et éradiquer ces violences.

L’étude européenne réalisée par le collectif d’experts Psytel dans le cadre du programme Daphne, déjà citée, évoque un coût de 2, 5 milliards d’euros si l’on inclut les coûts humains, les soins de santé, les aides sociales, les pertes de productions, les frais de police et de justice.

Imaginez un instant que cette même somme soit inscrite au budget 2011 pour réellement faire appliquer cette loi. C’est donc une question politique, sur laquelle il nous faut faire preuve d’ambition et de détermination !

Je sais que nous pouvons compter sur la vigilance des associations, des hommes et femmes élus dans nos collectivités territoriales, sur celle des citoyens et, je l’espère, mes chers collègues, sur notre détermination collective pour que cessent enfin les violences faites aux femmes.

Comme je l’ai déjà dit, les collègues de mon groupe et moi-même avions soutenu la nécessité d’une loi-cadre. L’Assemblée nationale a, au cours de ses travaux, retenu l’idée d’un dispositif-cadre contenu dans cette proposition de loi.

Notre groupe a déposé quelques amendements afin de revenir au texte de l’Assemblée nationale, ou de réintroduire des dispositions existantes par ailleurs dans le code civil et le code pénal mais que nous croyons important de regrouper ici. En effet, cela permettrait de rassembler dans un même texte tout ce qui concerne les violences faites aux femmes, dans le but de faciliter l’accès au droit des femmes victimes.

Nous voterons en faveur de cette proposition de loi afin d’envoyer un signe fort de refus à ceux qui perpétuent cette violence, et de soutien à l’ensemble des femmes victimes. Un signe fort pour dire notre attachement à une société fondée sur l’égalité et le respect entre les femmes et les hommes. §

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