Hormis pour les cas flagrants, reconnus de tous, les plus choquants s’ils sont délaissés, les situations doivent être abordées avec précaution et souci de l’équilibre des droits.
Le point faible de l’ordonnance de protection, c’est la présomption de culpabilité. Le juge aux affaires familiales doit se prononcer au vu d’attestations partielles. Il est imposé de ne pas étudier une partie sans l’autre. Par ailleurs, le juge aux affaires familiales n’a pas actuellement de pouvoir d’enquête. Nous sommes donc dans une confusion entre le civil et le pénal.
La commission spéciale y est sensible. On lit dans son rapport que « la lutte contre les violences faites aux femmes doit constituer un des fondements de notre pacte républicain et, à ce titre, être inscrite dans la Constitution ».
L’ordonnance doit permettre à la victime de se faire reconnaître comme telle ou de demander au juge de réunir des preuves ou des témoignages de ce qui s’est passé. Le juge prend des mesures de contrainte.
Nous sommes dans la contradiction de deux juridictions.
Sur le plan civil, l’ordonnance de protection de quatre mois va permettre à certains de se prévaloir de cette situation. Le juge du fond pourra hésiter à remettre en cause les décisions, qui ont pu être prises sur de mauvaises bases.
On ne peut négliger la possibilité d’un demandeur mal intentionné : conflit de véracité, de dénonciation.
Les réponses médico-sociales aux violences ne peuvent qu’être partielles. Nous sommes confrontés à la relation d’un sujet à l’autre dans une vision collective.
Nous pourrions proposer de mieux utiliser la loi sur la protection des majeurs, par exemple. Les dispositifs MASP, ces mesures d’accompagnement social personnalisé, relevant des conseils généraux et réservés aux majeurs fragilisés économiquement, pourraient être une voie d’accès à la prise en compte du problème.
Avec audace, nous pourrions par exemple soutenir la levée du secret professionnel, dans l’esprit du signalement des enfants en danger, pour les couples vivant des situations d’extrême danger et vis-à-vis desquels nous nous sentons démunis ; je pense au déni et au refus de plainte. Mais, pour prospérer en ce sens, combien de résistances, combien d’obstacles nous faudra-t-il lever, sans parler du dogmatisme ?
L’accompagnement pourrait faire l’objet d’une approche médico-sociale plus spécifique.
En fonction des cas, l’approche des violences peut en effet être adaptée. Je citerai le cas du pervers narcissique. Il s’agit d’un cauchemar pour la victime, et l’objet de tous les dangers pour le travailleur social, pour le médecin et pour le magistrat. Manipulateur, le pervers narcissique peut mettre ses interlocuteurs en difficulté et même placer la société en situation d’aggraver les souffrances de la victime.
Les violences croisées entre les époux complexifient le diagnostic de situation et la prise de décision.
L’approche de l’alcoolique ou du toxicomane violent relève d’un contexte social économique différent, avec des possibilités de soins, donc d’un éventuel retour à l’équilibre.
La formation des acteurs, cela a été dit, doit être renforcée, qu’il s’agisse tant des experts et des médecins que des magistrats et des travailleurs sociaux.
J’évoquerai maintenant la maîtrise des concepts.
Les violences psychiques par exemple, sans contact physique, bien que décrites, posent d’importants problèmes d’interprétation. Le harcèlement moral ne peut être appréhendé uniquement par un questionnaire adapté ; il doit être défini par des comportements. Ceux-ci étant difficilement modélisables, ils nécessitent de la précision dans leur définition, car ils aboutissent à des incriminations. Sans ces précautions, nos propositions ne deviennent que des pétitions de principe.
Nous ne pouvons offrir ni la démesure ni la simplicité, et les incantations relèvent en fait de l’impuissance.
Mais il n’y a pour nous aucune fatalité. On a pu constater de réels progrès en matière d’accueil par la police et la gendarmerie. Alors, offrons des réponses, parlons des réalités, dépassons les affects.
Les initiatives regroupant des travailleurs sociaux et financées par les conseils généraux, les villes, l’État, les associations supports, sur des sites urbains, en zone police, et ruraux, en zone gendarmerie, sont des expériences à encourager.
La prise en compte d’état de crise en urgence permet le lien avec les services sociaux et hospitaliers, l’amorce d’un accompagnement, d’une position de prévention face aux récidives.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, toute contribution ne peut qu’être modeste devant l’ampleur du phénomène et dans le combat contre la souffrance infligée.