Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Réunion du 22 juin 2010 à 14h30
Répression des violences faites aux femmes. - violences au sein des couples — Discussion générale

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons ce soir marque une nouvelle étape dans l’implication croissante du législateur en matière de lutte contre la violence conjugale.

La loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs avait déjà commencé à lever un certain nombre de tabous sur des actes trop souvent encore marqués par la loi du silence.

Le présent débat doit permettre d’aller plus loin, notamment en tenant compte des multiples facteurs, souvent peu visibles, qui empêchent les victimes de parler et de se libérer du joug de leur agresseur.

Les questions de logement, d’autorité parentale ou de titre de séjour sont loin de constituer des enjeux annexes ! Le législateur se doit de les aborder dans toute leur complexité, sinon, les dispositifs de plainte demeureront inutilisés.

Je me réjouis donc de l’approche transversale qui a été retenue, dans l’intérêt tant des victimes de la violence conjugale que de leurs enfants.

Je veux saluer aussi la manière dont les travaux préparatoires ont su prendre acte des évolutions de notre société en matière de diversification des formes de conjugalité. Il est essentiel de clarifier la situation juridique des victimes de violences dans le cadre d’un pacte civil de solidarité, le PACS, ou d’un concubinage.

De même, l’attention portée aux femmes étrangères victimes de violences honore notre pays. J’ai d’ailleurs déposé un amendement visant à permettre à ces femmes de bénéficier d’un visa de retour en cas de vol de leurs papiers d’identité et titre de séjour par leur conjoint lors d’un voyage dans leur pays d’origine. Je ne m’attarderai pas davantage sur cette question à présent, car je la développerai lors de la discussion des amendements.

Il faudra également veiller à ce que les dispositions prévues par la proposition de loi soient pleinement applicables aux Françaises résidant à l’étranger, y compris lorsqu’elles sont binationales.

Laisser aux juridictions étrangères le soin de gérer seules les problèmes de violences auxquelles ces femmes peuvent être confrontées pourrait parfois relever de la non-assistance à personne en danger. Je pense, en particulier, aux pays dans lesquels la législation en matière de lutte contre les violences conjugales n’est qu’embryonnaire, ou à ceux dont les pouvoirs publics sont peu enclins à s’immiscer dans la vie privée des populations étrangères

À cet égard, les mesures d’information des victimes quant à leurs droits mériteraient d’être mieux diffusées, par le biais de notre réseau diplomatique et consulaire, de nos établissements scolaires à l’étranger, de nos centres culturels et des associations spécialisées.

La formation en matière de prévention et de prise en charge des violences faites aux femmes dispensée aux professionnels susceptibles d’intervenir auprès des victimes, qui avait été écartée du texte voté par l’Assemblée nationale, mais dont la commission des lois souligne qu’elle devrait être mise en œuvre par voie réglementaire, me semble cruciale pour les Français de l’étranger.

Il me semble également important que la saisine du juge aux affaires familiales soit plus accessible à un Français résidant hors de France, de même que le recours à l’ordonnance de protection et aux aides qui en découlent, notamment en matière d’accès prioritaire à un logement social en France.

L’article 10 de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale et non modifié par la commission tend à réserver, dans chaque département, des logements sociaux pour les victimes de violences conjugales : il est indispensable que cette aide soit également accessible à une Française de l’étranger souhaitant revenir en France pour fuir les violences domestiques dont elle fait l’objet.

Le second point qui me préoccupe dans le débat de ce soir concerne le droit des enfants à conserver des relations avec leurs deux parents, sauf motif grave.

Les décisions relatives à l’autorité parentale constituent l’un des enjeux les plus douloureux des séparations. Elles sont encore plus délicates lorsqu’interviennent des actes de violence à l’égard d’un conjoint. Les articles 3 et 4 de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale s’efforcent d’en tenir compte.

Toutefois, il y a un risque : accuser un conjoint de violences pourrait être utilisé comme un moyen, au demeurant peu loyal, de faire pencher la balance en sa défaveur.

Il importe donc d’œuvrer pour qu’une telle décision s’appuie sur des éléments tangibles et non pas sur une simple et vague suspicion de violence.

Le problème est particulièrement aigu dans les cas de séparation de couples mixtes, qui aboutissent trop souvent à une séparation totale et définitive des enfants d’avec l’un de leurs parents.

Si la création d’un délit de violence psychologique vise à mieux appréhender la violence conjugale, la violence caractérisant la séparation durable entre les enfants et l’un de leurs parents n’est pas encore véritablement prise en compte par le législateur. Au contraire de la plupart des cas de violence dont nous débattons ce soir, celle-ci n’affecte pas forcément plus fréquemment des femmes que des hommes.

Dans certains pays n’ayant pas ratifié la convention de La Haye – je pense notamment au Japon –, la justice locale entérine souvent de telles décisions, en particulier à l’encontre du père français. L’enfant est alors coupé durablement non seulement de l’un de ses parents, mais aussi de la langue et de la culture françaises.

Il est de la responsabilité de nos pouvoirs publics de mieux épauler le parent français, pour éviter que l’intérêt supérieur de l’enfant ne soit lésé par le conflit entre parents de nationalités différentes.

Dans de nombreux pays, l’absence de signature d’adhésion à la convention de La Haye ou à des conventions bilatérales empêche de lutter efficacement contre les déplacements internationaux illicites d’enfants.

L’article 1erde la présente proposition de loi, amendé par la commission des lois, qui permet au juge des enfants et au juge des affaires familiales d’interdire la sortie d’un enfant du territoire en cas de risque d’enlèvement, constitue un progrès, mais ne résout pas les cas très complexes et de plus en plus nombreux engendrés par les séparations de couples mixtes, notamment lorsqu’elles interviennent alors que la famille vit hors de France.

Je souhaite réitérer ici mon appel à une plus grande implication des magistrats de liaison et à la formation de commissions bilatérales de médiation, afin de permettre un règlement plus rapide des centaines de dossiers toujours en attente, qui constituent autant de violations intolérables des droits de l’enfant, mais aussi des violences insoutenables pour le parent privé de contact avec eux.

Il serait également important de renforcer la formation en droit international de la famille à l’École nationale de la magistrature et de nommer dans toutes les cours d’appel un magistrat compétent en la matière, s’agissant en particulier de déplacements internationaux d’enfants. Il s’agit là de deux demandes que j’avais déjà formulées en 2007.

Je conclurai en rappelant les enjeux considérables de la lutte contre la violence conjugale pour notre société.

Comment des jeunes grandissant au contact quotidien de la violence ou injustement privés de contact avec l’un de leurs parents pourraient-ils bâtir une société de justice et de paix ?

Le foyer familial est la première source d’apprentissage du respect de l’autre et du principe d’égalité des sexes ; l’école est la seconde. Il me semble essentiel de renforcer la sensibilisation sur ces sujets à l’école, comme y appelle l’article 11 A de la proposition de loi.

Cette mission est d’autant plus cruciale pour nos établissements scolaires à l’étranger. Ces derniers étant plébiscités, par les Français comme par les étrangers, pour l’excellence des enseignements qui y sont dispensés, il importe de les encourager à mieux diffuser les valeurs qui constituent le socle de notre République.

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