Intervention de Serge Larcher

Réunion du 20 octobre 2009 à 14h30
Débat sur la situation des départements d'outre-mer — I. - point de vue de la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer

Photo de Serge LarcherSerge Larcher, président de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui vient couronner les travaux de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer, créée au printemps dernier sur l’initiative du président du Sénat, Gérard Larcher, et dont le rapport a été publié au mois de juillet. Ce débat figure ainsi parmi les toutes premières applications du nouveau calendrier parlementaire résultant de la dernière réforme constitutionnelle.

Je voudrais tout d’abord souligner le caractère à maints égards exceptionnel de notre mission d’information, dont mes collègues m’ont fait l’honneur de me confier la présidence et dont j’ai conduit les travaux en étroite collaboration avec notre rapporteur, Éric Doligé ; nous avons formé un duo mixte tout à fait exemplaire !

Exceptionnelle, notre mission d’information l’est en premier lieu par sa genèse sénatoriale : alors que la création d’une mission d’information était jusque-là décidée par l’une des six commissions permanentes ou sur l’initiative conjointe de plusieurs d’entre elles, la décision a, cette fois, été prise par la conférence des présidents, avec l’accord unanime des présidents de groupe, ce qui lui confère une solennité supérieure et marque la volonté forte du Sénat. Au-delà des trente-six sénateurs qui la composent, en sont également membres les présidents des groupes politiques, ce qui est inhabituel et souligne encore l’intérêt du Sénat pour les questions relatives aux outre-mer.

Exceptionnelle, notre mission l’est encore par l’ampleur de la tâche accomplie en un temps record : ayant tenu sa réunion constitutive le 18 mars 2009, avant d’entamer ses travaux le 2 avril suivant par l’audition de M. Richard Samuel, préfet, coordonnateur national des états généraux de l’outre-mer, la mission a abouti en trois mois, avec l’adoption de son rapport en réunion plénière le 7 juillet dans une atmosphère constructive et consensuelle, qui n’a pas démenti celle qui avait présidé à son déroulement sur l’ensemble de la période.

Ses travaux d’une particulière densité ont été menés « tambour battant ». Voici quelques données qui vous permettront d’en mesurer la cadence : trente et une auditions organisées au Sénat aux mois d’avril et mai, complétées par une série de déplacements. Le premier, à Bruxelles, le 15 avril, a permis d’étudier les principaux sujets européens intéressant l’outre-mer et qui s’avèrent cruciaux pour son avenir : la stratégie de l’Union européenne vis-à-vis des régions ultrapériphériques, les RUP, l’avenir de la politique de cohésion, le régime de l’octroi de mer au regard du droit communautaire, ainsi que la prise en compte des spécificités de l’outre-mer dans les accords de partenariat économique avec les pays de la zone ACP, ou Afrique-Caraïbes-Pacifique.

Outre les entretiens avec des conseillers de la représentation permanente française et des différents services de la Commission européenne, notre délégation a pu avoir un échange fructueux avec des représentants des autres RUP de l’Union européenne : les îles Canaries espagnoles et les îles de Madère et des Açores portugaises. Nous avons ainsi mesuré l’urgente nécessité de renforcer notre représentation auprès de la Commission européenne.

Les autres déplacements ont consisté en une visite de trois jours dans chacun des départements d’outre-mer. La mission s’en rendue tout d’abord à la Réunion, du 26 au 30 avril : elle y a tenu dix-neuf réunions de travail et effectué sept visites de terrain. Puis elle a visité successivement la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, du 10 au 21 mai, avec quelque cinquante-quatre réunions de travail et vingt-deux visites de terrain. Au total, plus de soixante-dix entretiens et une trentaine de visites réalisés outre-mer nous ont permis d’appréhender très concrètement la réalité du terrain et des problèmes qui se posent.

Au cours de ses déplacements, la mission a très largement rencontré, outre les responsables politiques locaux et les autorités administratives de l’État, les principaux représentants de la sphère économique et sociale, tant patronaux que syndicaux. Elle s’est bien sûr entretenue, dans chaque département, avec les collectifs de lutte contre la vie chère. Elle a d’ailleurs mené elle-même sa propre enquête de prix sur les produits de consommation courante dans les grandes surfaces et ses constats ont été corroborés par ceux qui ont été dressés par l’Autorité de la concurrence, dans son avis du 8 septembre dernier.

Elle a enfin entendu des représentants de la jeunesse locale et a tenté d’identifier, par ses visites de terrain, les domaines spécifiques dont la promotion devrait permettre de fonder un développement endogène réussi.

Chaque déplacement dans les quatre départements d’outre-mer s’est en outre conclu par une table ronde réunissant les membres de la délégation et les élus locaux, pour un débat dont le sujet central a porté, chaque fois, sur la situation des collectivités territoriales, situation très préoccupante et sujet sénatorial par excellence !

Exceptionnelle, notre mission l’est enfin, et doublement, par son objet. D’abord, parce que la situation des départements d’outre-mer est au cœur du rôle du Sénat qui, en vertu la Constitution, représente les territoires. Ensuite, et surtout, dans la mesure où, forte de l’intérêt qu’elle a toujours porté aux collectivités ultramarines et de la haute conscience de leur diversité de situation et de leurs spécificités, notre assemblée a entendu le cri de ces sociétés d’outre-mer qui a résonné d’un océan à l’autre, et jusqu’ici, au début de l’année 2009.

Né à La Réunion en octobre, le conflit a en effet rebondi en Guyane, avant de s’enraciner et de se structurer en Guadeloupe et à la Martinique au mois de février 2009. Un mouvement de grève générale, qui s’est développé dans un climat quasi insurrectionnel, a été amorcé en Guadeloupe le 20 janvier, pour durer quarante-quatre jours et se terminer le 4 mars par l’accord Bino, puis s’est rapidement propagé à la Martinique, où il a duré pratiquement aussi longtemps. La Réunion et la Guyane, à leur tour, se sont embrasées.

Ce conflit a cristallisé des exaspérations profondes et anciennes. L’outre-mer a clamé sa souffrance, son aspiration à la dignité et à davantage de responsabilité. Il a forcé la surdité d’une France hexagonale lointaine, elle-même piégée par la crise mondiale. Véritable séisme par son ampleur et sa durée, le conflit, – encore latent aujourd’hui, ne l’oublions pas ! – a lourdement éprouvé des économies ultramarines vulnérables et déjà en mauvaise posture, en mettant gravement à mal les budgets locaux du fait de la minoration des recettes d’octroi de mer. Son principal mérite, me semble t-il, réside dans son rôle d’« éveilleur de conscience », pour reprendre l’expression d’Aimé Césaire.

L’ampleur de ces mouvements sociaux et les initiatives qu’ils ont suscitées pour tenter d’apporter des réponses traduisent un tournant historique. Puissent ces troubles avoir des vertus cathartiques, comme le fait valoir le dicton créole : « sé en gwo désod ki ka mété lod », c’est-à-dire « il faut un bon désordre pour mettre en ordre » !

Le temps n’est plus aux « mesurettes » destinées à colmater les brèches : il faut appréhender et traiter la situation de chaque département d’outre-mer et dans sa globalité, sans tabou, et éradiquer les racines du malaise. C’est la tâche à laquelle notre mission d’information s’est attelée !

Face à l’expression de ce profond malaise, pétri de revendications contre la vie chère et de réactions contre la bipolarisation de la société, le tout sur fond de crise identitaire, le Sénat a souhaité dresser un état des lieux sans concession, faire la lumière et cibler les responsabilités, tracer des pistes pour sortir de l’ornière et jeter enfin les fondations d’un développement pérenne.

D’emblée, la mission a structuré ses travaux autour de cinq grands axes de réflexion qui lui ont servi de fil conducteur et se sont révélés, par la suite, recouper largement les thèmes retenus pour la conduite des états généraux de l’outre-mer.

Permettez-moi, mes chers collègues, de citer ces cinq sujets, dont nous ne nous sommes jamais départis.

Le premier est la situation financière des collectivités territoriales ultramarines, sujet qui a émergé pendant la discussion au Sénat de la LODEOM, ou loi pour le développement économique des outre-mer.

Le deuxième sujet concerne la continuité territoriale, vis-à-vis tant de l’Hexagone que de l’Union européenne, et l’insertion régionale : ces deux impératifs doivent être conciliés pour permettre un développement équilibré des départements d’outre-mer.

Le troisième sujet a trait à la jeunesse des populations, clé de l’avenir et de la question identitaire.

Le quatrième sujet est relatif à la nécessité de procéder à davantage d’évaluations et de disposer des outils correspondants, pour une meilleure efficacité des politiques publiques, question qui touche tous les domaines, institutionnel, économique ou encore culturel.

Enfin, cinquième sujet, l’environnement est une priorité pour la valorisation des atouts de l’outre-mer et un développement endogène réussi.

Le rapport de la mission, qui prévoit une analyse approfondie et exhaustive de la situation des départements d’outre-mer et formule pas moins d’une centaine de propositions, a été adopté à la quasi-unanimité des membres de la mission. En effet, les représentants de tous les groupes politiques ont voté pour ; seules les représentantes du groupe CRC-SPG ont exprimé une abstention bienveillante, une « abstention positive » selon leur propre formulation.

Je veux souligner que ce beau consensus n’a pas été obtenu au prix d’un affaiblissement des constats ou d’un affadissement des propositions.

L’état des lieux est sans concession et les cent propositions, bien que de portée inégale, sont toujours fortes, concrètes, réalistes et traduisent une ferme volonté de dégager de vraies solutions, c’est-à-dire des solutions durables qui restaurent des mécanismes économiques vertueux, dynamitent un certain nombre de verrous et donnent un nouveau souffle aux sociétés ultramarines.

À ce stade, j’évoquerai rapidement – il revient en effet à notre éminent rapporteur, Éric Doligé, de présenter précisément le contenu de nos travaux – trois questions en prise directe sur une actualité qui demeure brûlante : le cadre institutionnel et son évolution, sujet parfaitement d’actualité si l’on se réfère au discours que le Président de la République a tenu aujourd’hui sur la réforme des collectivités territoriales ; le problème de la vie chère ; enfin, le désastre des finances locales.

S’agissant tout d’abord de l’évolution institutionnelle ou statutaire, cette question agite actuellement la Martinique et la Guyane. La consultation des populations, prévue par la Constitution et décidée par le Président de la République, a été fixée les 17 et 24 janvier prochain.

J’observe avec intérêt que le format du questionnement adressé aux populations correspond en tout point à la proposition faite à notre mission commune d’information par M. Stéphane Diémert, sous-directeur, chargé de mission auprès de vous, madame la secrétaire d’État. Ainsi, vous trouverez à la page 78 du second volume du rapport d’information la proposition exacte qui a été retenue par le Président de la République.

Je veux également affirmer l’impérieuse nécessité d’une campagne d’information exposant clairement les enjeux de chaque cadre statutaire au regard d’un véritable projet de développement : l’objectif visé est non pas le statut, mais le développement des territoires. Or, sur place, en Martinique notamment, le débat est aujourd’hui confus et souvent passionnel. Un nouvel échec, après celui de 2003, serait particulièrement dommageable dans le contexte actuel.

La Guadeloupe, qui s’est donné le temps de la réflexion, notamment en matière de projet de développement, saura, j’en suis convaincu, tirer de précieux enseignements des expériences martiniquaises et guyanaises.

La rédaction des questions qui seront proposées aux populations doit également tendre à ce que la consultation n’aboutisse pas à une impasse, ce qui serait dramatique.

Le deuxième sujet que je souhaite évoquer concerne la vie chère. C’est en effet la question du pouvoir d’achat qui a mis le feu aux poudres au début de l’année 2009 !

Tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître que les niveaux de prix dans les départements d’outre-mer sont excessifs, notamment pour les produits de consommation courante, et tout le monde s’accorde à dénoncer l’opacité des mécanismes de formation de ces prix. Concurrence insuffisante et absence de transparence sont effectivement deux causes lourdes du niveau élevé des prix.

La dénonciation des abus et une lutte draconienne contre l’opacité doivent être désormais un objectif prioritaire des services de l’État dans les départements d’outre-mer.

La restauration des conditions d’une concurrence raisonnable emprunte un chemin plus long. Il faut vaincre l’obstacle naturel de l’étroitesse des marchés dans les départements d’outre-mer par une meilleure insertion régionale. Il faut également trouver l’antidote aux poisons qui tirent les prix vers le haut : je pense ici aux sur-rémunérations, pour lesquelles notre rapport d’information prévoit un dispositif de réduction équilibré.

Madame la secrétaire d’État, vous nous avez demandé d’être courageux : nous le sommes toujours au Sénat ! Je pense que, vous aussi, saurez être courageuse pour nous accompagner dans notre démarche de vérité.

Sur la question des sur-rémunérations, évitons de sombrer dans la caricature et d’agiter le chiffon rouge. Chacun sait que les sur-rémunérations forcent la bipolarisation de la société en bloquant l’embauche dans le secteur privé et rendent attractifs les emplois publics, dont le développement grève lourdement les budgets locaux. Les médias ont été nombreux, lors de la remise du rapport, à centrer leurs propos sur cette seule question des sur-rémunérations.

À cet égard, je tiens à dire ici, en réponse aux inquiétudes de mes compatriotes, qu’il s’agit non pas de suppression, mais d’un ajustement de la rémunération des nouveaux agents au coût réel de la vie dans chaque département d’outre-mer et il va de soi que ce coût devra être régulièrement actualisé.

J’en viens au dernier point : l’état des finances locales.

C’est une situation extrêmement alarmante que la mission a pu observer, les collectivités territoriales ultramarines se distinguant nettement de celles de l’Hexagone par la faiblesse de leurs recettes fiscales et le poids important de leurs dépenses de personnel.

Les communes, tout particulièrement aux Antilles et en Guyane, connaissent des difficultés financières sévères, interdisant tout investissement, au point que la mission préconise un effacement des dettes sociales, seul à même de permettre un nouveau départ sur des bases saines.

Sujet de préoccupation au cœur des finances locales, la question de l’avenir de l’octroi de mer est posée. La mission s’est prononcée pour sa pérennisation, faute d’alternative offrant des garanties équivalentes aux budgets locaux en termes de rentrées fiscales, bien sûr, mais surtout en termes d’autonomie. Je sais le sort que l’État réserve souvent, in fine, aux dotations qui n’évoluent pas ou qui ne correspondent pas toujours aux besoins de nos collectivités ; les présidents de conseils généraux et les maires ici présents peuvent en témoigner largement. Nous vous entendrons avec intérêt, madame la secrétaire d’État, sur cette question importante du financement des communes.

Au terme de cette présentation, je veux rappeler que nos travaux se sont déroulés parallèlement à ceux des états généraux de l’outre-mer, sans interférence entre les deux exercices.

Pour autant, les analyses et conclusions frappent par leur convergence, ce dont je me félicite vivement. La journée de restitution des travaux menés par les états généraux de l’outre-mer, qui s’est tenue le 1er octobre dernier et à laquelle vous avez eu l’amabilité de nous demander de participer, madame la secrétaire d’État, nous a permis de confronter très concrètement les points de vue. L’extrême densité des contributions des différents ateliers et des diverses collectivités prouve combien la France est riche de ses outre-mer et annonce un programme de travail pharaonique.

Soyez assurée, madame la secrétaire d’État, que nous serons toujours des interlocuteurs constructifs, mais vigilants. Nous ne doutons pas que les annonces à venir, lors du conseil interministériel tant attendu du 6 novembre prochain, tiendront largement compte du rapport sénatorial. J’ai eu personnellement l’occasion, au cours des dernières semaines, de constater que ce rapport recevait localement un fervent accueil. Il va donc falloir s’atteler désormais à sa mise en œuvre concrète !

Afin d’assurer cette mise en œuvre, M. le président du Sénat a annoncé récemment, à l’occasion de la remise officielle du rapport, la constitution d’un groupe de suivi chargé d’exercer une veille et, le moment venu, de prendre des initiatives en lien avec les commissions permanentes compétentes.

Je tiens à souligner le caractère exceptionnel d’une telle décision. En effet, la publication de son rapport marque traditionnellement l’achèvement des travaux et la disparition d’une mission d’information. La décision de maintenir une structure de suivi manifeste donc non pas la suspicion, mais le haut intérêt porté par le Sénat et, au premier chef, par son président aux questions de l’outre-mer. Nous nous en félicitons et nous l’en remercions chaleureusement.

Pour conclure, je voudrais, madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous assurer que cette structure de suivi exercera son rôle de veille avec une très grande rigueur, mais aussi avec l’esprit d’ouverture qui nous a guidés et dont nous ne nous sommes jamais départis tout au long de notre mission d’information.

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