Intervention de Éric Doligé

Réunion du 20 octobre 2009 à 14h30
Débat sur la situation des départements d'outre-mer — I. - point de vue de la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer

Photo de Éric DoligéÉric Doligé, rapporteur de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai par enchérir sur les remerciements adressés par notre éminent président de la mission commune, Serge Larcher, à notre président Gérard Larcher – n’allez pas croire qu’il s’agisse d’une affaire de famille ! – pour avoir, hier, initié cette mission d’information sur la situation des départements d’outre-mer et, aujourd’hui, décidé la mise en place d’un suivi de ses préconisations.

L’ampleur et la qualité du travail accompli par la mission commune d’information, unanimement saluée, impliquent en effet que le Sénat continue à faire entendre sa voix sur ce sujet, qui se trouve au cœur de son rôle. La Haute Assemblée est effectivement chargée, par l’article 24 de la Constitution, d’assurer « la représentation des collectivités territoriales de la République ».

Au-delà du déroulement de nos travaux, dont Serge Larcher a illustré la densité et le rythme, dans un laps de temps très court – à peine trois mois –, je souhaite mettre l’accent sur le caractère inédit de notre mission. Concernant l’outre-mer, les sujets étudiés sont généralement ciblés ; or il nous revenait de traiter de la situation des départements d’outre-mer dans sa globalité.

Si, bien évidemment, il apparaît parfois nécessaire d’approfondir des questions particulières, il est aussi indispensable d’avoir une vision d’ensemble. Cette vision d’ensemble faisait défaut : les approches pointillistes et cloisonnées du traitement politique de l’outre-mer, souvent focalisées sur les questions de financement, sont sans doute en partie responsables de la situation extrêmement dégradée à laquelle nous sommes parvenus au début de l’année 2009.

Cette dégradation de la situation économique et sociale, sur fond de malaise identitaire, procède également d’une incompréhension mutuelle. Le kaléidoscope de nos outre-mer est mal connu des Français de l’Hexagone et de nombre de décideurs. Il inspire des sentiments confus où se bousculent rêve, envie, fierté, culpabilité refoulée, compassion et exaspération. Parallèlement, nos compatriotes des départements d’outre-mer, dont certains ne se sont pas encore départis du poids tutélaire de l’histoire, sont écartelés entre la force de leur attachement à la République et le ressentiment qui les assaille face au désintérêt dont ils font parfois l’objet et aux carcans qui brident leur développement.

L’époque des mesures ponctuelles destinées à colmater les brèches sans traiter le fond est révolue : les événements ont montré que nous étions arrivés au bout de l’exercice... Cela a été compris par notre président Gérard Larcher, initiateur de la création de notre mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer.

De par la globalité de son champ d’investigation, notre mission rejoint d’ailleurs la démarche gouvernementale engagée par les états généraux de l’outre-mer. Les deux processus, qui manifestent une prise de conscience de la nécessité d’embrasser la situation des départements d’outre-mer dans sa globalité et de chacun d’eux, ont cheminé en parallèle et l’on peut constater leur convergence sur de nombreux points.

Je vous remercie à mon tour, madame la secrétaire d’État, d’avoir invité notre mission sénatoriale à présenter ses travaux le 1er octobre dernier, lors de la journée de restitution organisée en votre ministère, devant les représentants des différents départements et collectivités ayant pris part à ces états généraux.

La succession des témoignages a fourni une belle illustration de la diversité des situations et des tempéraments, tout en faisant clairement émerger les préoccupations communes. Je citerai, pêle-mêle, la question identitaire, la désespérance de la jeunesse, la demande de préférence locale pour un nouveau modèle de consommation et en matière d’accès à l’emploi, la formation et la création de filières professionnelles, la lutte contre l’illettrisme et l’échec scolaire, la création d’espaces régionaux et le désenclavement des territoires, l’accès au foncier et le logement, la valorisation des atouts de chaque territoire pour asseoir le développement endogène, le renforcement de la gouvernance économique, et tant d’autres questions, toutes plus importantes les unes que les autres.

Comme je l’ai souvent fait valoir pendant le déroulement de nos travaux, le traitement de la situation des DOM suppose une détermination sans faille et nécessite de bannir les tabous. C’est la ligne de conduite que s’est fixée notre mission d’information et qu’elle a observée rigoureusement : en témoignent les constats dressés, qui sont sans concession, et les propositions formulées, qui visent à s’attaquer à la racine des problèmes.

Le président Serge Larcher vous a exposé comment notre mission avait travaillé ; les conditions d’accueil furent parfois difficiles, madame la secrétaire d'État. Je vais vous présenter le fruit de notre réflexion.

Le rapport établi par notre mission d’information en un temps record constitue une somme de constats dont résultent pas moins de 100 propositions. Il s’attache à dresser un panorama fidèle de la situation et procède à une analyse mettant chacun, à commencer par l’État, devant ses responsabilités.

Ce rapport comprend trois grandes parties.

La première traite de la gouvernance institutionnelle et administrative des DOM, d’une part, et de l’impasse budgétaire dans laquelle se trouvent de très nombreuses collectivités territoriales ultramarines, d’autre part. Elle permet, en quelque sorte, de « planter le décor » et montre la situation terriblement dégradée des finances locales.

Dans la deuxième partie de ce rapport, la mission dresse un état des lieux et préconise la restauration des grands équilibres pour fonder un développement pérenne. Sur le plan interne, elle recommande le renforcement des secteurs traditionnels et, conjointement, la promotion des secteurs d’avenir à fort potentiel. Sur le plan externe, elle prône le maintien d’un lien de continuité renforcé avec la métropole et l’Union européenne, où il faut assurer une meilleure promotion des intérêts des régions ultrapériphériques, et, parallèlement, l’impératif d’une meilleure insertion régionale, sans laquelle aucun véritable décollage économique n’est possible.

Dans la troisième et dernière partie, notre mission met l’accent sur les grands défis à relever.

Il s’agit, d’abord, de tenir compte de la jeunesse des populations et de l’énorme enjeu que représente leur formation.

Il s’agit, ensuite, de la prise en considération effective par l’État des spécificités des DOM en ce qui concerne tant les concours financiers – n’oublions pas que les collectivités ultramarines ont des champs de compétence plus larges que celles de métropole – que la mise en œuvre de ses missions de régulation. Je citerai, notamment, sur ce dernier point, l’acuité de la crise du logement en lien avec la question foncière, la santé publique et la protection sociale, ainsi que la reconnaissance de la diversité culturelle et identitaire.

Deux constats transversaux se sont imposés. En effet, le déroulement de nos travaux nous a très vite conduits à identifier deux dysfonctionnements qui affectent la conduite de l’ensemble des politiques publiques menées outre-mer et qui se sont vérifiés dans tous les champs de notre analyse, des finances locales aux évolutions démographiques, en passant par la formation des prix ou les questions foncières.

Le premier dysfonctionnement majeur est lié à une évaluation tout à fait insuffisante, voire parfois inexistante.

Cela a été particulièrement patent en matière de niveau et de formation des prix. Les outils de mesure font défaut et les services susceptibles de veiller à l’évolution et à la formation des prix n’ont pu déceler les dérapages ; la dernière enquête globale sur le niveau des prix datait de 1992 ! En outre, comment instruire les décisions publiques sans état des lieux préalable ?

Le second dysfonctionnement réside dans l’insuffisante prise en compte des spécificités des DOM, les mêmes règles valant généralement pour ces collectivités et la métropole, en dépit des différences de situations.

Dans sa conclusion, le rapport présente une panoplie de propositions, certes de portée inégale, mais cela est le reflet de la diversité des situations des DOM. Les mêmes causes engendrant les mêmes effets, il y a en outre de nombreux points communs entre les quatre départements, et certaines propositions transversales s’imposent.

Le temps qui m’est imparti ne me laissera pas le loisir de présenter l’ensemble des propositions et je centrerai mon propos sur celles qui nous tiennent particulièrement à cœur ; les interventions suivantes et le jeu des questions-réponses permettront d’aborder les autres points.

La proposition qui, sans conteste, a été la plus médiatisée est l’ajustement au différentiel de coût de la vie des sur-rémunérations, qui a été évoqué par le président Serge Larcher, sur-rémunérations perçues tant par les agents de l’État que par les agents territoriaux.

La presse s’est immédiatement emparée de cette proposition et a eu tendance à occulter les autres ; il a souvent été question de « suppression des sur-rémunérations », ce qui ne correspond absolument pas à la proposition que nous avons faite. Je veux bien expliciter le dispositif proposé, qui a été indûment caricaturé.

Les sur-rémunérations sont au cœur des problèmes de développement rencontrés par les DOM : communes à la fonction publique d’État et à la fonction publique territoriale, ces majorations de traitement induisent des disparités de niveaux de rémunération entre la sphère publique et la sphère privée, au détriment de cette dernière. Le tissu économique des DOM, essentiellement constitué de petites et très petites entreprises, est vulnérable et ne peut soutenir la comparaison.

Ce décalage crée des freins à l’embauche, d’autant que le secteur public est évidemment plus attractif. Face à un taux de chômage très élevé, les collectivités recrutent, ce qui grève lourdement leurs budgets et, par voie de conséquence, leurs capacités d’investissement. L’insuffisance des équipements structurants obère à son tour le développement économique… La boucle est bouclée et la situation verrouillée !

Si les sur-rémunérations ne sont pas responsables de tous les maux, elles sont à l’origine d’un processus infernal qui aboutit à tirer les prix à la hausse et à accentuer la bipolarisation de la société. Rompre cet engrenage s’impose si l’on veut réellement trouver une issue à la crise. Mais cette issue ne doit pas être brutale – il en sortirait plus de mal que de bien – et elle doit être encadrée : c’est ce que propose la mission.

Il s’agit non pas d’une suppression, mais d’un réajustement au différentiel de coût de la vie, qui devra être évalué de façon fiable et révisé périodiquement, en tenant compte des modes locaux de consommation.

Par ailleurs, le dispositif proposé sera mis en place progressivement, s’appliquant aux « nouveaux entrants » dans la fonction publique.

Enfin, il ne faut pas que les économies des DOM soient privées des flux financiers correspondant au versement des sur-rémunérations : ainsi, les sommes économisées par l’État et par les collectivités seraient réinjectées via les collectivités territoriales par des aides au financement d’investissements structurants.

Ce dispositif nous semble cohérent, même s’il mérite certainement d’être affiné, et correspond en tout cas à une véritable recherche de solution. Il s’agit d’amorcer des mécanismes vertueux pour le développement de ces territoires !

La question de l’emploi public et de sa fonction de « buvard social », selon l’expression désormais consacrée, me permet de faire le lien avec le deuxième sujet sur lequel je veux braquer les projecteurs : les finances locales.

La faiblesse de la recette fiscale locale, encore aggravée par la réduction du produit de l’octroi de mer du fait de la crise, ainsi que le poids particulièrement important des dépenses de personnel fonctionnent comme un étau pour les finances locales. Selon les données recueillies, ces dépenses par habitant, comparées à celles qui sont constatées pour la métropole, sont dans les DOM supérieures de 38 % pour les communes, de 89 % pour les départements et de 333 % pour les régions.

Il est urgent d’endiguer la dégradation des finances locales. À cette fin, concomitamment à la mise en œuvre de la mesure de réajustement des sur-rémunérations, la mission a formulé un certain nombre de préconisations sur lesquelles nous souhaiterions recueillir votre avis, madame la secrétaire d’État. Je pense, en particulier, à la mise en œuvre d’un plan associant l’État et les collectivités pour une meilleure identification des bases imposables, à une programmation de l’apurement des dettes sociales accumulées, afin de permettre aux collectivités de « repartir sur des bases saines », et, enfin, à la pérennisation de l’octroi de mer, à défaut d’alternative viable, à l’échéance européenne de 2014. Nous laissons la porte ouverte à des réflexions que vous pourriez nous proposer de mener, madame la secrétaire d’État.

J’aborderai une troisième question qui est d’actualité, celle du niveau des prix et des écarts de prix avec la métropole, qui sont à l’origine des conflits sociaux. Le développement de la concurrence et ses effets vertueux sur les prix rencontrent des limites naturelles dans les DOM liées à l’étroitesse des marchés locaux.

Un autre moyen d’obtenir une baisse des prix est de faire la lumière sur leurs mécanismes de formation, ce qui permet aussi de démasquer les abus. L’avis rendu par l’Autorité de la concurrence le 8 septembre dernier constitue un début de réponse, mais il faut créer un véritable service public de surveillance et de contrôle et combattre le cloisonnement des administrations responsables localement. C’est la condition première de la mise en œuvre d’une évaluation efficace pour éclairer la décision publique.

J’en arrive ainsi au quatrième sujet que je souhaite évoquer : l’organisation et le fonctionnement des administrations déconcentrées.

On constate une certaine désaffection de ces postes, ainsi qu’une absence de personnes originaires des DOM aux fonctions d’encadrement. Il faut inverser le processus, d’une part, en adaptant les services déconcentrés aux spécificités des DOM et, d’autre part, en rendant ces postes plus attractifs en termes de valorisation du déroulement des carrières. Cela n’est pas contradictoire avec la question de l’ajustement des rémunérations, car la valorisation des carrières n’est pas purement indiciaire.

En outre, il serait souhaitable de prévoir, en lieu et place de majorations de traitement attribuées uniformément, des primes pour les fonctions les plus exposées ou dont les conditions d’exercice sont particulièrement difficiles. La légitimité de ces primes devrait, bien sûr, être périodiquement réexaminée, afin d’éviter la cristallisation de situations dont le bien-fondé s’effilocherait au fil du temps.

La dernière question que je souhaite aborder dans ce propos liminaire est le pilotage central.

Il nous paraît indispensable de renforcer la position de la Délégation générale à l’outre-mer, la DEGEOM, en en faisant une véritable administration de mission disposant des moyens d’avoir une vision interministérielle des politiques publiques par son rattachement au Premier ministre – vous voyez, madame la secrétaire d’État, que je ne changerai pas d’avis sur ma proposition – et en la dotant de compétences recentrées sur son rôle d’impulsion et de coordination stratégique.

La DEGEOM doit également constituer la mémoire des outre-mer et bénéficier des moyens nécessaires à cette fonction primordiale à l’heure de la diversification des statuts et des droits applicables. Or notre sentiment est que la révision générale des politiques publiques, la RGPP, a opéré en ce domaine plus de mal que de bien.

L’évocation de la mémoire des outre-mer me ramène enfin à la question identitaire, « toile de fond » de toutes les autres, et à la jeunesse. Elle est fondamentale pour la cohésion sociale et pour la jeunesse en proie au désarroi sous l’effet de l’échec scolaire et du désœuvrement : dans chaque DOM, la moitié des jeunes de quinze à vingt-quatre ans est au chômage !

Un travail gigantesque est à accomplir en matière d’enseignement et de formation, et cela dans l’urgence. La mission a formulé sur le sujet de nombreuses propositions concrètes sur lesquelles nous serons heureux de vous entendre, madame la secrétaire d’État.

Des signaux forts doivent permettre à ces jeunes et à leur entourage de percevoir que leurs spécificités sont prises en compte par la République. Cela suppose de mieux promouvoir la diversité, de raisonner en termes de « valorisation des atouts » et de procéder aux adaptations nécessaires, tant il est vrai que la reconnaissance des différences est consubstantielle au principe d’égalité qui constitue le deuxième pilier du triptyque de notre devise républicaine.

Tel est le sens profond du titre que nous avons choisi pour notre rapport d’information : Les DOM. – Défi pour la République, chance pour la France. À défaut de savoir le dire en créole

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