Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est communément admis que la crise domienne, particulièrement celle qui a touché les Antilles au cours du premier trimestre de 2009, a surpris, par son ampleur et sa profondeur, l’ensemble des responsables publics, tant nationaux que locaux.
Pourtant, tous les indicateurs du malaise étaient au rouge depuis longtemps : cherté de la vie, taux de chômage près de trois fois supérieur à celui de la France hexagonale – les jeunes étant frappés à plus de 55 % –, nombre particulièrement élevé de RMIstes et, plus généralement, de personnes vivant des minima sociaux – 15 % de la population, contre 3 % en métropole –, coût élevé des transports de personnes et de marchandises dans le cadre d’une continuité territoriale bancale, pénurie de logements sociaux, incertitudes sur l’avenir des productions traditionnelles, etc.
Sur tous ces sujets, nous, parlementaires domiens, n’avons cessé, parfois et même souvent en vain, de tirer la sonnette d’alarme, tant au sein de cette enceinte qu’auprès des différentes instances gouvernementales. C’est finalement la hausse des prix du carburant qui a mis le feu aux poudres…
L’urgent, c’est l’important qui n’a pas été traité à temps ! Il fallait donc éteindre rapidement ce brasier social qui flambait depuis quarante-quatre jours. Votre prédécesseur, madame la secrétaire d’État, a dû prendre à chaud des engagements forts au nom de l’État, notamment dans le cadre de ce que l’on appelle communément les « accords Binot ». Pour autant, chacun peut s’en rendre compte, la situation reste aujourd’hui instable, voire préoccupante.
Si des décisions ponctuelles et rapides sont bien entendu parfois nécessaires pour apaiser les tensions, des réformes structurelles, solides et pérennes, sont aussi indispensables pour fonder l’avenir. C’est pourquoi je salue la clairvoyance dont a fait preuve le Président de la République en convoquant les états généraux de l’outre-mer, ainsi que l’initiative bienvenue du président de la Haute Assemblée, M. Gérard Larcher, d’instaurer une mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer.
Ces deux exercices complémentaires ont été, il faut le reconnaître, rondement menés. De l’avis de tous, ils ont débouché sur des analyses et des propositions d’excellente facture. Sachant combien les tensions étaient encore vives dans les départements d’outre-mer, on ne peut que féliciter celles et ceux qui ont conduit ces travaux, que ce soit dans le cadre des états généraux ou dans celui de la mission commune d’information de la Haute Assemblée.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il ne saurait être question, en cette circonstance, de paraphraser les conclusions des états généraux, encore moins de reprendre les propositions du rapport sénatorial, si brillamment présenté par le président et le rapporteur de la mission.
Pour ma part, je mettrai l’accent, simplement mais résolument, au moment même où se font les arbitrages en vue des grandes décisions du comité interministériel du 6 novembre prochain, sur quelques sujets brûlants ou importants qui nécessiteront, à mon avis, des réponses fortes et audacieuses.
Tout d’abord, j’évoquerai la question de la formation des prix et de la cherté de la vie. On le sent bien, il y a, dans ce domaine, un problème de confiance, d’autant plus marqué que, en réalité, aucune baisse réelle des prix n’a été observée pour l’heure, comme cela était pourtant prévu dans les différents protocoles de fin de crise. C’est cette crise de confiance qui explique sans doute la méfiance ambiante concernant le nécessaire ajustement des prix du carburant. Madame la secrétaire d’État, vous nous préciserez certainement où en sont les travaux de l’Observatoire des prix et, plus généralement, ce que vous comptez faire pour accroître la transparence dans ce domaine, en vue de rétablir la confiance de nos concitoyens dans les institutions.
Je vais maintenant soulever une autre question tout aussi brûlante, celle des revenus. Pour satisfaire la revendication des 200 euros mensuels, on a inventé une sorte d’usine à gaz, associant l’État aux conseils généraux, aux conseils régionaux et aux entreprises privées. Cependant, mes chers collègues, dans cette affaire, plusieurs questions se posent, et puisque gouverner, c’est prévoir, elles appellent des réponses précises et urgentes.
Le RSTA, le revenu supplémentaire temporaire d’activité, étant prévu pour trois ans, quel dispositif comptez-vous mettre en œuvre, madame la secrétaire d’État, pour pérenniser le versement des 200 euros à l’issue de ce délai, sachant que nombre d’entreprises n’ont pas signé l’accord Binot et que les conseils généraux et régionaux ne pourront pas indéfiniment financer les salaires du secteur privé ?
Par ailleurs, si ce dispositif a plus ou moins permis de satisfaire les revendications des salariés, qui souhaitaient une augmentation de leur revenu et donc de leur pouvoir d’achat, n’a-t-il pas contribué à creuser les inégalités en laissant sur le bord du chemin les bénéficiaires de minima sociaux, à savoir les RMIstes, les personnes âgées et nos concitoyens handicapés ? Les organisations syndicales ont bien entendu défendu les intérêts de leurs mandants – on ne peut le leur reprocher –, mais pouvons-nous décemment accepter une telle iniquité au détriment des plus faibles ? Pour ma part, je trouve cette injustice insoutenable. Que compte faire le Gouvernement pour corriger à court terme la situation ?
J’aborderai maintenant un autre sujet, tout à fait crucial : l’insertion de nos jeunes, dont j’ai rappelé au début de mon intervention la situation précaire et le désarroi.
Madame la secrétaire d’État, dans son discours du 29 septembre dernier, le Président de la République a affirmé qu’« aucun jeune en difficulté ne sera laissé seul à son sort, aucun jeune ne sera laissé sans emploi, sans formation, sans accompagnement ». Je m’interroge : comment les mesures annoncées par le Président de la République seront-elles transposées, appliquées ou adaptées au contexte ultramarin, sachant combien les besoins en formation initiale et continue, mais également en matière d’accompagnement en vue de l’insertion, sont immenses ?
Cela m’amène à évoquer le problème du logement. On le sait, les besoins en logements sociaux sont considérables outre-mer, et très largement insatisfaits. Malheureusement, les réalisations sont très loin des objectifs fixés.
Lors du dernier congrès de l’Union sociale pour l’habitat, l’USH, vous avez déclaré, madame la secrétaire d’État, que ce qui vous importait, au-delà des budgets, c’était la capacité opérationnelle à produire concrètement des logements. Je partage bien entendu ce point de vue, mais, au-delà de l’aspect budgétaire, et malgré les ajustements déjà opérés sur les paramètres de financement, de nombreux blocages freinent la production de logements, notamment le coût moyen des emprunts consentis aux opérateurs sociaux, sans la garantie des collectivités locales, qui n’en peuvent plus, l’impossibilité objective, pour les communes, d’attribuer les subventions pour surcharge foncière, ainsi que le caractère inopérant, pour des motifs identifiés, des fonds régionaux d’aménagement foncier et urbain, les FRAFU. Si ces blocages ne sont pas rapidement levés, tous les discours sur les objectifs en matière de production de logements sociaux à court, à moyen et à long termes relèveront purement et simplement de l’incantation.
Je viens de le dire, madame la secrétaire d’État, les communes et, plus généralement, les collectivités locales n’ont pas les moyens de soutenir, autant que cela serait nécessaire et souhaitable, la production de logements sociaux. La mission sénatoriale, qui a identifié ce problème, propose des solutions pour redonner aux collectivités les marges de manœuvre nécessaires afin qu’elles puissent recommencer à jouer leur rôle en matière non seulement de construction de logements sociaux, mais aussi de relance de la commande publique, si cruciale pour le dynamisme du secteur du bâtiment et des travaux publics, et donc pour l’emploi. J’espère que le prochain comité interministériel s’inspirera opportunément des propositions de la mission, ce qui conduira sans doute à un réajustement du budget de l’outre-mer pour 2010.
Une autre question me semble mériter toute l’attention du comité interministériel, à savoir la continuité territoriale, la vraie. Le principe fondamental a été réaffirmé dans la LODEOM, la loi pour le développement économique de l’outre-mer. Il faut maintenant aller plus loin que les principes et, au besoin, s’attaquer sans tabous à tel ou tel monopole ou quasi-monopole, source de « pwofitasyon » en matière de transport de personnes ou de marchandises.
Avant de terminer, j’évoquerai une réalité que le Sénat connaît bien désormais, celle des îles du sud de la Guadeloupe : Marie-Galante, la Désirade et les Saintes. Eu égard à la situation socioéconomique préoccupante de ces îles, votre prédécesseur, madame la secrétaire d’État, s’était engagé en mai dernier à mettre en place, dans les six mois, un contrat pour l’emploi et les initiatives dans les îles du Sud, dénommé COLIBRI. Les forces vives de ces îles ont travaillé d’arrache-pied à la finalisation du projet et, vous vous en doutez, les attentes des populations concernées sont grandes. Nous sommes à la limite du délai fixé, et je compte sur vous pour qu’elles ne soient pas déçues.
En conclusion, j’aborderai la question de la gouvernance, traitée avec réalisme et prudence, tant dans le cadre des états généraux que par la mission sénatoriale. S’il est un point sur lequel presque tout le monde est d’accord, c’est que la coexistence de deux assemblées sur un même territoire constitue une aberration.
Pour le reste, on ne peut que souligner et saluer l’esprit d’écoute et d’ouverture dont a fait preuve le Président de la République dans le traitement des premiers cas qui lui ont été soumis : je pense à la Martinique et à la Guyane. S’agissant de la Guadeloupe, puisque, en toute hypothèse, les élections régionales de l’an prochain auront lieu, je me réjouis que les débats et les consultations relatifs à la question institutionnelle ou statutaire puissent se dérouler après cette échéance, dans la clarté et la sérénité.
Madame la secrétaire d’État, le temps du diagnostic, de l’analyse, des rapports et des mesures d’urgence est derrière nous. Nous devons désormais choisir les thérapies de fond les plus efficaces pour en finir avec les grands maux qui, depuis trop longtemps, rongent l’outre-mer.
Dans cette perspective, j’espère vivement que les conclusions de notre mission, pertinentes aux dires de tous, seront une véritable source d’inspiration pour les prochaines mesures en faveur du développement de nos territoires ultramarins et du bien-être des hommes et des femmes qui y vivent.