Intervention de Michel Magras

Réunion du 20 octobre 2009 à 14h30
Débat sur la situation des départements d'outre-mer — Ii. - point de vue des groupes politiques

Photo de Michel MagrasMichel Magras :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la mission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, certains d’entre vous s’étonneront sans doute de mon intervention dans un débat qui concerne les départements d’outre-mer, et non l’outre-mer dans son ensemble. Si Saint-Barthélemy est passée du statut de commune de la Guadeloupe à celui de collectivité d’outre-mer dotée de l’autonomie, je tiens à préciser que je n’ai nullement l’intention de faire du prosélytisme !

Néanmoins, je ne saurais ignorer le processus institutionnel entamé par la Martinique et la Guyane, ni les réflexions engagées en Guadeloupe. Pour autant, s’il me faut rappeler à mes collègues que la porte de Saint-Barthélemy leur est ouverte et que nous avons d’ailleurs été ravis de recevoir des délégations de Martinique et de Guyane, je n’entends pas me poser ici en donneur de leçons. Je ne souhaite pas davantage faire du cas de Saint-Barthélemy un modèle, car il n’est ni transposable ni applicable aux départements d’outre-mer, qui ont une population beaucoup plus importante et un territoire beaucoup plus vaste, pour en rester à ces deux seuls aspects.

Comme chacun sait, et particulièrement nos collègues de la Guadeloupe, le statut actuel de Saint-Barthélemy est l’aboutissement de plusieurs années d’une pratique : ce n’est pas un statut qui a trouvé une île ; c’est bien une île qui a trouvé son statut ! Bien que Saint-Barthélemy occupe une place un peu à part au sein de l’outre-mer, elle partage des problématiques avec toutes les collectivités concernées.

Voilà pourquoi ce débat est pour moi l’occasion d’une réflexion plus large sur les rapports entre l’outre-mer et l’État. En effet, au-delà des problèmes économiques et des difficultés réelles que rencontrent les DOM, la question suivante, qui concerne d’ailleurs également les collectivités d’outre-mer, est à mon sens au centre de notre débat : jusqu’où la République accepte-t-elle l’adaptation pour répondre à des situations particulières ?

D’emblée, certains répondront sans doute : « Jusqu’à l’article 74 de la Constitution ! » Toutefois, en posant cette question, je ne me place pas uniquement du point de vue des collectivités concernées : c’est également l’État, la République, et donc le Parlement, que je souhaite interpeller.

Intéressons-nous par exemple au projet de loi portant engagement national pour l’environnement. L’adjectif « national » renvoie non seulement à l’espace européen de la France, mais également à ses territoires insulaires. La loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement, dite Grenelle I, avait posé le principe de l’adoption d’un train de mesures pour tenir compte des particularités de l’outre-mer. Il s’agissait, avions-nous écrit, de « faire des territoires français d’outre-mer des territoires d’excellence environnementale ». En réalité, lors de l’examen du projet de loi Grenelle II, nous avons dû attendre l’article 62, puis l’article 102, pour qu’il soit traité de ces mesures d’adaptation. Mais de quelle manière ! Le texte renvoie en effet la mise en œuvre de ces dispositions à une ordonnance, ce qui repousse d’un an son entrée en vigueur dans les DOM. Il me semble sinon incohérent, du moins surprenant, que, alors que l’urgence a été déclarée, on prévoie un tel délai supplémentaire, en ce qui concerne l’outre-mer, délai auquel il faut encore ajouter trois mois pour l’adoption du projet de loi de ratification. Force est donc de constater qu’il existe un hiatus entre le principe posé et sa traduction concrète. Je précise que cet exemple n’est pas unique.

Selon moi, le souci de tenir les engagements pris aurait dû nous conduire à nous interroger sur l’applicabilité à l’outre-mer de chacun des chapitres du texte pour, le cas échéant, introduire une disposition d’adaptation si l’on entendait réellement lui conférer une dimension nationale.

À titre d’exemple, chacun sait que les départements d’outre-mer ne sont pas concernés par des problématiques telles que le transport ferroviaire, le chauffage ou le transport fluvial – hormis la Guyane, mais selon des modalités particulières – ou que les patrimoines écologiques de ces territoires leur sont propres à bien des égards. Or, depuis 1946, ces départements sont bien régis par le principe de l’identité législative. Même si je comprends parfaitement qu’il serait fastidieux de s’arrêter à chacun des articles et des chapitres pour adopter une disposition répondant à la situation de chaque collectivité, du moins aurions-nous pu ajouter un titre ou un chapitre consacré à l’adaptation de toutes les dispositions de la loi aux particularités des outre-mer.

Cela étant, permettez-moi de penser qu’il serait temps d’en sortir. C’est sans doute là une des raisons qui ont conduit Saint-Barthélemy à opter pour un changement de statut. Pendant des années, dans bien des domaines, la commune s’est substituée au département, à la région, voire à l’État, en bénéficiant d’un régime dérogatoire. Cependant, la dérogation ne pouvant être la règle, nous avons trouvé dans la possibilité de définir un statut à la carte offerte par la révision constitutionnelle de 2003 le moyen d’entériner la pratique en lui donnant un régime législatif stable.

Durant ces années de pratique, je puis aujourd’hui témoigner qu’une question nous a guidés : qui doit procéder aux adaptations ? L’État ou la collectivité ? Est-il besoin de préciser que nous avons conclu qu’il appartenait aux responsables locaux de définir leurs besoins et de les indiquer ensuite à l’État. Mon propos ne se veut pas une attaque ; toutefois, je refuse de vous faire l’injure de manier ici la langue de bois.

J’en arrive à une autre question charnière, celle de la responsabilité.

À mon sens, pour répondre aux particularismes locaux, c’est le partage des responsabilités entre l’État central et le Parlement, d’une part, et les collectivités locales, d’autre part, qu’il convient de redéfinir.

Avec son nouveau statut, Saint-Barthélemy a souhaité tracer une frontière entre les missions régaliennes de l’État et celles qui relèvent de l’impulsion locale. En employant à dessein le terme d’« impulsion », je veux dire qu’il n’y a pas de rejet de l’État dans cette démarche d’évolution statutaire : la collectivité a redessiné ses rapports avec l’État, qui d’ailleurs n’a jamais été aussi présent que depuis que les lignes sont claires.

En effet – permettez-moi cette comparaison un peu osée –, comme nous l’a montré la pratique, il faut beaucoup de souplesse à un éléphant pour se pencher afin de voir une souris ; en revanche, il est facile à la souris de grimper vers l’éléphant. Qui mieux que les responsables locaux peut indiquer à l’État ce qu’il est bon de faire sur un territoire ?

En l’occurrence, je veux mettre en exergue une réalité, celle de la difficulté d’adapter à chaque territoire des dispositions s’appliquant à l’ensemble national. L’Europe l’a d’ailleurs bien compris, qui a défini le principe de subsidiarité. C’est un peu aussi l’esprit de la LODEOM, élaborée dans une logique de coopération afin d’apporter des réponses aux enjeux économiques, par nature différents d’une collectivité à une autre. À cet égard, je salue la possibilité qui a été laissée aux COM de choisir les secteurs économiques qu’elles souhaiteront développer grâce aux investissements réalisés au titre de la défiscalisation.

Notre débat d’aujourd’hui doit être inscrit dans la continuité des états généraux de l’outre-mer et du rapport de la mission commune d’information du Sénat, ainsi que dans la perspective du prochain conseil interministériel sur l’outre-mer. À n’en pas douter, chacune de ces initiatives témoigne de la volonté de l’État et du Parlement d’être à l’écoute des aspirations et des attentes locales, qui se sont exprimées fortement au début de l’année.

En ce qui la concerne, la collectivité de Saint-Barthélemy n’a pas souhaité s’associer aux états généraux, mais elle a toutefois saisi l’occasion du prochain conseil interministériel pour demander officiellement au Gouvernement d’engager le processus de passage du statut de région ultrapériphérique, ou RUP, à celui de pays et territoire d’outre-mer, ou PTOM.

En conclusion, mon sentiment profond est que l’État ne pourra pas tout faire, mais qu’il doit donner à l’outre-mer la place et l’attention qu’il mérite au sein de la République. À son tour, l’outre-mer peut et doit prendre toute sa place, et pas seulement celle que l’État lui accorde.

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