Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis de ceux qui n’ont eu de cesse de déplorer que la situation des départements ultramarins ne soit évoquée dans notre hémicycle qu’à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Outre-mer » ou à la suite d’événements exceptionnels, tels que des catastrophes naturelles ou des troubles sociaux graves.
Je ne puis donc que me féliciter de ce que l’initiative ait été prise d’organiser le présent débat sans attendre la survenue de nouvelles explosions sociales, malheureusement à craindre compte tenu de l’état de dégradation du tissu économique, notamment aux Antilles et en Guyane.
Par ailleurs, notre débat présente l’intérêt de se tenir après le dépôt du rapport d’une mission sénatoriale qui, au contact des réalités locales, a pris, ce dont je me félicite, la mesure de la gravité de certains problèmes, mais aussi de l’insuffisante exploitation de certains atouts. Surtout, il intervient en amont des décisions qui seront arrêtées au conseil interministériel du 6 novembre prochain.
Dans les quelques minutes dont je dispose, je voudrais avant tout vous alerter sur la situation, qu’il faut bien qualifier de véritablement catastrophique, prévalant actuellement à la Martinique.
Ainsi, le nombre d’entreprises mises en redressement judiciaire ou en liquidation ne cesse de croître : elles sont déjà près de 250 ! Depuis le début de l’année, le nombre de chômeurs a augmenté de près de 10 %. Le chômage, qui continue de frapper plus fortement les femmes et les jeunes, touche déjà plus de 24 % de la population active, et l’on peut craindre que ce taux n’atteigne 26 % à 28 % d’ici à la fin de l’année.
En effet, pratiquement tous les secteurs économiques sont affectés, et tout particulièrement le BTP, où le montant des salaires versés mensuellement a chuté de 12 millions d’euros au mois de décembre 2008 à 7, 4 millions d’euros au mois de mars dernier. Les ventes de ciment, qui ont baissé de 40 % sur un an, témoignent bien de la crise aiguë que traverse ce secteur, réputé fort pourvoyeur d’emplois. Le tourisme est également très touché, comme le montre la réduction de 11, 8 % du nombre de nuitées d’hôtel sur un an, ainsi que la baisse de 45, 5 % sur la même période du nombre de croisiéristes. L’industrie agroalimentaire présente quant à elle un net recul de l’activité, s’agissant notamment des entreprises de distribution de farines et des boulangeries industrielles.
L’agriculture connaît également de grandes difficultés, en particulier la filière canne-sucre-rhum. Les secteurs de la pêche et de l’élevage ne sont pas non plus épargnés.
Dans un tel contexte, on comprend aisément que les exportations connaissent une baisse notable, de 37, 4 % sur un an. Mais les importations ne sont pas en reste, puisqu’elles enregistrent, sur la même période, un recul de 32, 7 %.
Évidemment, on pourrait être tenté d’imputer la responsabilité de cette situation au mouvement social de février, mais, en réalité, celui-ci n’a fait qu’aggraver une dégradation déjà en cours, dont il a été avant tout un symptôme révélateur. On pourrait comparer cela à une poussée de fièvre qui, de symptôme de la maladie, devient facteur aggravant de l’état du malade. La maladie était bel et bien présente avant la poussée de fièvre de février 2009, comme en témoignent la plupart des indicateurs de l’année 2008, notamment le recul de 0, 3 % du PIB et l’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi de 6, 4 % en fin d’année.
Les entreprises n’ont pas été seules à devoir faire face à de graves difficultés dès 2008. Pratiquement toutes les collectivités territoriales ont également vu, cette même année, se dégrader leur situation, du fait non seulement de la conjoncture économique, mais également de l’effet conjugué d’une stagnation de ressources provenant de l’État et de transferts de compétences imposés sans être accompagnés d’une compensation véritable. Cette année, beaucoup de communes sont même confrontées à des difficultés pour boucler leur budget.
Les choses se sont encore aggravées en 2009, ce qui a eu des conséquences très négatives sur l’activité économique. Il faut savoir, en effet, que les collectivités territoriales des départements d’outre-mer jouent un rôle véritablement moteur pour les économies locales. Leur intervention représente notamment 85 % de l’investissement public, alors que celle des collectivités territoriales de l’Hexagone ne dépasse pas 73 % de ce dernier.
Une telle situation a évidemment des conséquences désastreuses sur le plan social. Les phénomènes de pauvreté et d’exclusion sont en extension constante. Plus de 20 % des Martiniquais vivent actuellement en dessous du seuil de pauvreté, qui est pourtant fixé chez eux à 616 euros mensuels. Les catégories qui connaissaient déjà le plus de difficultés sont particulièrement touchées : les personnes âgées, les handicapés, mais également les jeunes ayant quitté le cursus scolaire et qui ne trouvent pas d’emploi.
Ce constat appelle, à l’évidence, la mise en œuvre d’un plan d’urgence de grande envergure. Or, pour l’instant, les dispositifs mis en œuvre successivement – fonds exceptionnel d’investissement, plan de relance et plan Corail – n’ont mobilisé que 56 millions d’euros de crédits d’État, tandis que les acteurs économiques chiffrent à plus de 300 millions d’euros les crédits nécessaires à la mise en place de ce que beaucoup d’entre eux appellent un « plan de sauvetage »…
Les collectivités territoriales n’ont jusqu’ici pas bénéficié des moyens qui auraient pu leur permettre de participer efficacement à une vraie relance. Je veux d’ailleurs vous rappeler, madame la secrétaire d'État, que le conseil général que je préside et qui pendant des années a été le premier donneur d’ordres public pourrait immédiatement lancer pour 70 millions d’euros de travaux. J’ai fourni à plusieurs reprises les éléments qui m’ont été demandés, mais cela n’a débouché pour l’heure sur aucun résultat. Plus grave encore, les acteurs économiques, notamment de nombreux investisseurs, attendent depuis plus de cinq mois les décrets d’application de la LODEOM. Ce texte, après une assez longue gestation, avait pourtant été examiné par le Parlement dans le cadre d’une procédure d’urgence et était censé, disait-on, « promouvoir l’excellence outre-mer ».
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la Martinique reste en attente d’une grande politique de développement, qui gagnerait à être inspirée par les axes stratégiques adoptés à l’unanimité par les élus lors d’une réunion commune des deux assemblées locales en décembre 2007 et qui, pour réussir, devrait s’inscrire dans un cadre institutionnel plus adéquat, donnant aux élus locaux les outils réglementaires leur permettant, dans certains domaines, d’adapter les dispositifs normatifs et d’exercer plus efficacement leurs compétences. Les Martiniquais seront bientôt consultés sur ce point, ce dont, évidemment, je me félicite.
Pour l’heure, néanmoins, il y a urgence, et même extrême urgence ! Parmi toutes les propositions issues des états généraux – la majorité d’entre elles, avouons-le, ne sont pas nouvelles – ou avancées par la mission sénatoriale, il faut absolument choisir celles qui répondent à cette urgence, tout en gardant à l’esprit que rien de sérieux ne se fera sans une implication financière importante de l’État. Prenons garde à ne pas laisser s’accumuler de nouvelles déceptions ; prenons garde à ne pas pousser davantage au désespoir une jeunesse qui aspire pourtant encore à croire en l’avenir !