Intervention de Catherine Procaccia

Réunion du 20 octobre 2009 à 14h30
Débat sur la situation des départements d'outre-mer — Ii. - point de vue des groupes politiques

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia :

Le chlordécone est ce pesticide organochloré, utilisé jusqu’en 1993 pour lutter contre le charançon du bananier, qui s’est révélé être un véritable « alien chimique ». Sa persistance multiséculaire dans les sols antillais étant prouvée, la population est inquiète.

Cette inquiétude tient d’abord au fait que les études médicales relatives aux incidences de ce produit sur la santé, particulièrement en ce qui concerne le cancer de la prostate, ne sont malheureusement toujours pas publiées. En outre, les chercheurs n’ont trouvé aucune méthode pour dépolluer les sols et faire disparaître cette molécule. Enfin, ces incertitudes ont été exploitées et théâtralisées par certains, en dehors de toutes données scientifiques.

Si j’évoque le chlordécone, madame la secrétaire d'État, c’est aussi parce que, à l’occasion de nos 122 auditions et de nos deux déplacements aux Antilles, plusieurs imperfections d’ordre institutionnel nous sont apparues, comme je l’ai dit tout à l’heure, qui ont été corroborées par la mission commune d’information. Je me contenterai d’en citer trois.

Une première imperfection tient à la « verticalité » totale des administrations, qui n’arrivent pas à travailler ensemble. Cette situation est d’autant plus préjudiciable qu’il s’agit d’un territoire restreint, et elle l’est encore plus quand le Gouvernement lance un plan d’action multidirectionnel et que chaque direction des services de l’État continue à n’envisager que son seul domaine de compétences. Nous avons eu le sentiment que les décisions concertées et coordonnées demeuraient l’exception. J’approuve donc pleinement la réorganisation administrative suggérée dans le rapport, ainsi que la remarque formulée tout à l’heure par M. le rapporteur sur les cadres administratifs de haut niveau outre-mer.

Une deuxième imperfection est liée aux problèmes que pose l’application indifférenciée de la législation européenne aux départements d’outre-mer. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne l’agriculture, notamment l’usage des pesticides : vouloir imposer les mêmes normes aux Antilles qu’en Beauce ou dans le Brabant est complètement ridicule ! Il faut vivre à Bruxelles pour ignorer les particularités du climat tropical : il n’y a ni hiver ni refroidissement qui permette à la terre de se reposer et entraîne la disparition des bio-agresseurs ; la chaleur et les pluies permanentes favorisent la multiplication des insectes et des mauvaises herbes, qui seront bientôt naturellement éliminés en Europe, jusqu’au printemps suivant. Je ne dis pas que nos départements d’outre-mer doivent rester à l’écart des bonnes pratiques en matière d’utilisation de pesticides, mais j’estime que celles-ci doivent être adaptées à la réalité climatique si l’on veut que l’agriculture locale puisse continuer à nourrir une partie de la population.

Lors du déplacement de la mission commune à Bruxelles, j’ai pu constater que les particularités ultramarines, si elles étaient connues, étaient en même temps en partie niées. C’est pourquoi j’espère que les propositions de notre mission trouveront à se concrétiser dans ce domaine.

J’espère surtout que, alertés par nos soins, les pays européens qui ont utilisé le chlordécone en grande quantité – c'est-à-dire de 1200 à 1500 tonnes, contre seulement 300 tonnes aux Antilles – vont se lancer, aux côtés des scientifiques français, dans des recherches sur cette molécule qui, pour l’instant, est indestructible.

La troisième imperfection vient de l’insuffisante intégration dans l’environnement caraïbe et américain. Les Antilles et la Guyane – je n’évoque pas la Réunion, car l’étude de l’OPECST ne la concernait pas – sont nos départements d’Amérique, mais les contraintes sociales, environnementales et économiques auxquelles elles sont soumises ne tiennent pas compte de cette proximité.

Cette situation se révèle particulièrement préjudiciable en matière d’agriculture. En ce qui concerne la lutte contre certains bio-agresseurs, telle la cercosporiose noire, c’est même catastrophique. Si aucun plant résistant à cet agent pathogène n’est découvert par les chercheurs – ils ne sont que dix à se consacrer à cette question dans le monde – et si les mesures applicables dans l’arc caraïbe en matière de traitement des pesticides demeurent interdites aux Antilles, c’est toute la production de bananes qui va disparaître en quelques années dans nos départements, et avec elle 15 000 emplois. La mission s’est penchée sur les raisons de la crise sociale ; pour ma part, j’évoque le risque d’une future crise qui pourrait être encore plus grave, résultant de l’effondrement d’un pan entier de l’économie de la Guadeloupe et de la Martinique. Je ne dis pas que je souhaite que l’on autorise nos départements à produire des fruits et des légumes à grand renfort de pesticides, comme dans les pays voisins, mais j’ai été choquée de découvrir que la France et l’Europe autorisent l’importation de produits en provenance de la zone Amérique, cultivés quant à eux à l’aide de pesticides dont l’usage cultural est chez nous interdit !

Bien d’autres points de convergence me sont apparus entre les travaux de la mission sénatoriale et notre rapport, mais, puisque nous sommes à la veille du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et que je fais partie de la commission des affaires sociales, je terminerai mon propos en évoquant un autre aspect sanitaire.

La mission commune d’information a mis en avant la situation sanitaire spécifique des départements d’outre-mer, qui tient à la géographie, au climat, à l’isolement ou encore à l’enclavement. Ces conditions créent des contraintes qui pèsent sur l’accès aux soins et sur la qualité de ceux-ci. C’est pourquoi les critères strictement démographiques ne peuvent pas être pertinents pour déterminer, comme en métropole, les équipements nécessaires ou l’implantation des établissements et des personnels de santé.

C’est dans ce contexte que Mme la ministre de la santé et des sports a officiellement présenté, en juillet dernier, un plan santé outre-mer. La mission commune d’information a préconisé la mise en place urgente d’un tel plan. Il faut en effet combler les retards par un rattrapage global en matière d’équipements de santé et un renforcement des personnels et des appareils de formation médicale et paramédicale. Il convient également d’adapter la politique de santé aux spécificités locales.

Dans le cadre des réponses au questionnaire budgétaire pour 2010, vos services, madame la secrétaire d’État, nous ont présenté une liste d’actions contenues dans le plan du Gouvernement ; mais leur réponse, reçue début octobre, contient une dernière phrase surprenante : « le montant des crédits qui seront inscrits au titre du plan santé outre-mer dans le projet de loi de finances pour 2010 n’est pas encore déterminé ». Ma question est donc simple, madame la secrétaire d’État : quand et comment le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre son plan santé outre-mer annoncé en juillet ? En pratique, pouvez-vous nous indiquer quels seront le montant et la ventilation des crédits inscrits en 2010 pour mettre en œuvre cette priorité de l’action publique outre-mer ?

Enfin, je vous informe que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques demandera l’inscription à l’ordre du jour partagé, d’ici à 2010, d’une question sur la prise en compte des préconisations du rapport rédigé par M. Le Déaut et moi-même.

Comme vous le voyez, madame la secrétaire d’État, vous trouverez en moi une parlementaire qui, malgré ses origines métropolitaines, s’intéresse à l’outre-mer sous tous ses aspects et estime que certaines spécificités de nos départements et collectivités ultramarines doivent être préservées.

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