Intervention de Georges Patient

Réunion du 20 octobre 2009 à 14h30
Débat sur la situation des départements d'outre-mer — Ii. - point de vue des groupes politiques

Photo de Georges PatientGeorges Patient :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les populations des quatre départements d’outre-mer ont manifesté, durant l’année écoulée, leur volonté de voir changer les choses. Le chef de l’État les a entendues et a lancé les états généraux de l’outre-mer, dont les contributions vous ont été récemment restituées, madame la secrétaire d’État. Le Sénat a lui aussi réagi, par l’élaboration d’un rapport que le président et le rapporteur de la mission commune d’information, MM. Serge Larcher et Éric Doligé, nous ont largement présenté et dont vous avez été destinataire.

Vous êtes donc en possession de deux rapports, qui présentent pour la Guyane une certaine similitude entre eux, ainsi qu’avec un document beaucoup plus ancien, rédigé en 1997 par les états généraux de Guyane, œuvre conjointe des socioprofessionnels, des élus politiques et des autorités coutumières. Ce document n’a malheureusement pas été pris en considération. Il est bien dommage d’avoir perdu douze ans, car ces trois rapports dressent un même constat : tous trois dénoncent l’insuffisante prise en compte de la réalité de la Guyane et insistent sur la nécessité d’un développement endogène réussi.

Cela étant, le rapport du Sénat, avec ses cent propositions concrètes, apporte un élément nouveau : il donne une légitimité nationale à nos revendications locales, jusqu’alors peu prises en considération, leur apportant en quelque sorte une caution nationale qui ne peut laisser indifférents le Gouvernement et le chef de l’État : à toutes ces propositions concrètes, ils doivent désormais donner une traduction qui ne le soit pas moins.

Le chef de l’État a commencé à le faire, notamment sur le plan de la gouvernance institutionnelle, en répondant positivement à la demande de consultation populaire formulée par le congrès de Guyane, mais il devra continuer sur cette lancée, dès le 6 novembre, lors du conseil interministériel, s’agissant de sujets sensibles et pressants.

Ainsi, la question des finances des collectivités territoriales de Guyane est centrale. C’est en effet le nerf de la guerre, d’autant que les collectivités territoriales de Guyane jouent un rôle majeur : elles réalisent 72 % de la totalité des investissements du secteur public. Or, en raison de charges nécessairement plus élevées et de recettes fiscales directes beaucoup plus faibles que celles des collectivités métropolitaines, leurs finances sont exsangues. Vous le reconnaissiez vous-même en ces termes, madame la secrétaire d’État, dans un récent courrier en date du 2 octobre dernier : « S’agissant des finances locales, l’analyse des charges supportées par la région, le département et les communes montre que la forte croissance démographique et les difficultés de communication créent des dépenses supplémentaires que le niveau des recettes des collectivités locales ne couvre pas complètement. Je souhaite que cette spécificité guyanaise soit traitée par des mesures adaptées, qui pourraient allier un travail sur les bases fiscales à une dotation particulière de l’État. »

Le chef de l’État a lui aussi reconnu la réalité de cette situation lors de son passage en Guyane en 2008. Vous savez donc bien qu’il faut adapter les dotations allouées à la Guyane : pourquoi ne pas le faire ? Les sénateurs de la mission commune d’information ont formulé dans leur rapport, en sus des propositions communes à tous les DOM, des préconisations particulières pour la Guyane. Il est notamment fait mention de la dotation globale superficiaire et de son plafonnement, s’appliquant uniquement pour les communes de Guyane ! Cette situation inique surprend tout le monde, mais on peine à la modifier. Pourquoi cette réticence à donner à la Guyane ce qui lui revient ? La superficie de la Guyane serait-elle subitement ramenée à 30 000 kilomètres carrés, comme pourrait le donner à croire le montant de cette dotation, qui s’élève à 3 euros par hectare ? Qu’en est-il des 60 000 autres kilomètres carrés ? Auraient-ils été cédés sans que nous en ayons été informés ? Il est vrai que, s’agissant du patrimoine privé de l’État, on ne sait jamais… L’État ne s’est-il pas déjà arrogé le droit de ne pas payer d’impôts locaux sur ce patrimoine ?

Le rapport du Sénat fait également mention de l’augmentation, pour les collectivités territoriales, des retombées financières de l’activité spatiale, mais, de manière générale, il y est demandé que les concours financiers de l’État aux collectivités territoriales des départements d’outre-mer soient adaptés aux réalités de ces derniers. Aussi faut-il, à travers la dotation globale de fonctionnement, insister davantage qu’on ne le fait actuellement sur des critères relatifs aux charges structurelles qui singularisent les collectivités de Guyane par rapport aux autres collectivités françaises, sans pour autant renoncer à la nécessaire péréquation des ressources.

Ces singularités tiennent par exemple au revenu moyen par habitant – en Guyane, un habitant sur quatre vit en dessous du seuil de pauvreté –, au nombre d’élèves scolarisés sur le territoire, à la situation sociodémographique – la pyramide des âges de la population guyanaise, avec sa base trop large, n’a rien à voir avec les standards nationaux –, à la superficie des territoires communaux, à l’enclavement, aux particularités géographiques, à l’éloignement par rapport au chef-lieu, au nombre de constructions scolaires à réaliser chaque année, au niveau et à la nature des dépenses liées à la scolarisation des enfants, qui n’ont rien à voir avec les normes françaises, le transport des élèves, fluvial ou routier, s’effectuant sur des distances pouvant atteindre 90 kilomètres… L’échelle est tout autre !

D’ailleurs, sur ce dernier point, le rapport du Sénat est formel : « Si dans la plupart des collectivités locales les constructions scolaires ne constituent plus “un défi budgétaire”, dans la mesure où les effectifs sont aujourd’hui stabilisés, il est en revanche nécessaire que l’État maintienne son effort s’agissant de la Guyane. […] Il conviendrait donc, dans l’immédiat, d’aider les collectivités concernées en élargissant les possibilités d’intervention financière de l’État. »

Madame la secrétaire d’État, il vous faut prendre en considération tous ces éléments pour déterminer avec justesse la dotation particulière pour la Guyane, à laquelle vous faites allusion dans le courrier du 2 octobre dernier que j’évoquais précédemment.

Nous avons également besoin de réponses concrètes aux propositions concrètes qui sont faites dans le domaine de l’éducation et de la formation. La Guyane ne doit plus rester à la traîne et continuer à détenir la palme des « plus mauvais résultats de France », selon son propre recteur. Une action urgente s’impose, et les sénateurs ont déjà fait des propositions qui méritent d’être suivies, visant notamment à une meilleure définition des qualités requises des enseignants.

De même, le chef de l’État doit apporter des réponses concrètes aux propositions concrètes formulées dans le rapport de la mission commune pour relancer et fonder notre développement endogène.

Des réponses urgentes et concrètes sont également attendues sur les propositions relatives à la protection sociale, la santé et la sécurité, autant de sujets d’importance que, malheureusement, contraint par le temps qui m’est imparti, je ne ferai que citer.

En effet, je tiens également à intervenir sur le logement social, qui, comme vous le savez bien, madame la secrétaire d’État, traverse une crise très aiguë.

La mission sénatoriale a elle aussi été frappée par l’ampleur du déséquilibre structurel que subit la Guyane dans ce secteur, évoquant un « constat édifiant et alarmant ». Et pour cause ! À ce jour, 80 % de la population répond aux conditions de ressources pour bénéficier d’un logement social : le parc locatif social ne comptant que 11 000 unités, on enregistre 13 000 demandes non satisfaites !

Or, l’unique société d’HLM de la Guyane fait l’objet d’une mesure de liquidation administrative de la part de l’État. Devant l’ampleur des besoins, nous ne pouvons nous résoudre à la voir disparaître. Il faut au contraire la préserver, et même la relancer, pour améliorer l’offre sociale en la matière. À cette fin, nous devons, j’en ai bien conscience, veiller à mettre en œuvre un certain nombre de principes sur les plans financier et technique, ainsi que sur le plan de la gouvernance. J’ai à cet égard une proposition concrète à vous faire, mais, limité par le temps une fois de plus, je vous la présenterai ultérieurement.

Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, en guise de conclusion, permettez-moi de revenir sur un sujet ô combien important évoqué dans le rapport de la mission sénatoriale, celui de l’évolution statutaire.

Les électeurs de Guyane auront à se prononcer sur cette question le 17 janvier prochain, et il importe qu’ils disposent d’informations objectives pour dissiper les craintes, souvent infondées, selon lesquelles un changement de statut remettrait en cause l’appartenance à l’Union européenne ainsi que l’application des lois sociales, notamment le versement des aides qui en découlent.

Sur le premier point, la mission sénatoriale « ne peut que rappeler qu’un changement statutaire – et a fortiori un changement institutionnel dans le cadre de l’article 73 de la Constitution – n’a en lui-même aucune incidence sur le statut européen des collectivités concernées ».

Sur le second point – le maintien de l’application des lois sociales en cas de changement de statut –, elle renvoie aux cas de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, dont les ressortissants continuent de bénéficier des droits sociaux qu’accorde la République aux habitants des départements d’outre-mer dans la mesure où a été prévu, dans leurs statuts, sur le fondement de l’article 74 de la Constitution, le maintien du principe de l’assimilation législative en matière sociale.

Ce sont ces mêmes dispositions qui ont été adoptées par le Congrès de Guyane, le 2 septembre 2009, dans le cadre de la résolution n° 9 relative aux compétences de la nouvelle collectivité. Dans son rapport de présentation, le président du Congrès est très clair sur ce sujet : « Tout ce qui relève de la politique sociale demeure de la compétence de l’État ».

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