Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 20 octobre 2009 à 14h30
Débat sur la situation des départements d'outre-mer — Ii. - point de vue des groupes politiques

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dernier orateur inscrit, je souhaite mettre en évidence l’éclairage intéressant apporté par la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer s’agissant d’une question transversale, celle de l’égalité entre les outre-mer et le reste du territoire national.

À mon sens, on sera en droit de dire que cette mission aura joué un rôle fondamental pour l’avenir si – et seulement si ! –, au niveau de l’État comme des assemblées, on en vient à reconnaître les déséquilibres de fait persistant dans les politiques nationales à l’égard des outre-mer depuis la départementalisation, et à faire en sorte que cette reconnaissance se traduise rapidement par des mesures correctrices concrètes.

De tels déséquilibres sont manifestement un produit de l’histoire, qui, c’est le moins que l’on puisse dire, est souvent douloureuse. Ils sont en effet, semble-t-il, au fondement même du contrat liant la République à nos territoires.

Or, dans le cadre de ce contrat, on s’est appuyé tantôt sur la notion d’égalité, pour appliquer en les uniformisant des dispositions de portée générale là où la prise en compte des réalités locales aurait dû l’emporter, et tantôt sur la notion de spécificité, pour ignorer ou pour escamoter des droits auxquels les territoires ultramarins auraient pu prétendre au même titre que l’ensemble du territoire national.

C’est à ce niveau que la notion d’équité doit être imposée avec force et le principe d’égalité décliné avec raison, pour que les différences soient prises en compte et respectées.

Or, le manque d’équité se remarque à plusieurs niveaux.

Il se remarque, d’abord, dans les critères d’attribution des dotations et les systèmes de péréquation appliqués aux collectivités territoriales en outre-mer en matière d’allocations de ressources.

La dotation d’équipement est attribuée aux communes à partir d’un certain seuil d’habitants : 2 000 en métropole, mais 7 500 outre-mer ! De même, le calcul de la DGF s’appuie sur des recensements et des données chiffrées se situant bien en deçà de la réalité, alors que le dynamisme démographique en Guyane, marqué par une croissance annuelle moyenne de 3, 8 %, est un fait majeur et une contrainte sociale reconnus par tous. En outre, l’État ne verse aux collectivités aucune compensation pour supporter le coût de la sur-rémunération des fonctionnaires territoriaux.

Le manque d’équité se remarque également dans les modalités de mise en œuvre des politiques sociales, pour lesquelles les « temps de retard » ou les fameuses difficultés « techniques » sont systématiquement mis en avant pour tout justifier.

Ainsi, je m’interroge sur les modalités selon lesquelles le « plan jeunes » sera décliné dans nos départements, notamment le RSA jeunes, alors qu’il faudra attendre deux ans avant que le revenu de solidarité active lui-même n’entre en vigueur outre-mer. L’aberration des modalités d’application du « plan cancer » me laisse tout aussi perplexe : les opérations en cancérologie en Guyane devraient être interdites, alors que les plateaux techniques et les compétences existent et sont opérationnels ! Et que dire de l’application de la T2A, la tarification à l’activité, pour laquelle les coefficients correcteurs sont inférieurs à certaines régions de métropole !

Le manque d’équité se remarque encore dans les contraintes réglementaires auxquelles les territoires sont soumis, sous couvert soit des normes européennes, soit des règles s’appliquant aux relations internationales. Tout est fait au mépris du plus élémentaire bon sens, à l’image du système d’approvisionnement en carburant ou du dispositif prévu pour les relations commerciales en général.

Dans tous les domaines, les mécanismes du système actuel sont structurellement pervers. Le travail de la mission, pour peu qu’on l’analyse attentivement, a le mérite de les mettre en lumière.

Je l’ai évoqué, la notion d’égalité appliquée à l’outre-mer est à double tranchant.

D’un côté, elle ampute certains droits. Il en est ainsi du calcul de la dotation superficiaire : le dispositif créé pour la Guyane – fixation d’un coefficient de trois, contre cinq pour les régions de montagne comparables, et plafonnement au double de la dotation antérieure – permet judicieusement à l’État de réduire la portée et l’efficacité de la mesure sur des territoires qui en ont cruellement besoin.

De l’autre côté, la notion d’égalité appliquée à l’outre-mer alourdit certains devoirs. L’exemple du traitement des déchets et du sort fait tout récemment aux amendements proposés par les sénateurs guyanais dans le cadre du Grenelle de l’environnement, ici même au Sénat, est à cet égard éloquent.

Les instances nationales appliquent aveuglément un traitement égalitaire pénalisant, en distribuant, en plus, bons ou mauvais points : ce comportement teinté de paternalisme se double d’une méconnaissance totale, ou presque, de la réalité des charges de gestion. Ne sont pris en compte ni les écarts de développement grevant les budgets, ni le poids des dépenses obligatoires pesant sur les collectivités, ni la démographie, ni, encore, l’enclavement de certaines zones, ni, enfin, l’immigration clandestine.

Une telle analyse permet de comprendre pourquoi la question de l’évolution statutaire a occupé tant de place au sein des états généraux de l’outre-mer et pourquoi l’article 74 de la Constitution représente une telle tentation pour les élus guyanais et martiniquais.

Auditionné par les membres de la mission commune d’information, le professeur Thierry Michalon, de l’université des Antilles et de la Guyane, a expliqué que les départements français d’Amérique étaient partagés entre désir d’émancipation et volonté d’assimilation. Mais il a oublié d’établir la corrélation entre cette ambivalence des populations et l’attitude de l’État lui-même, partagé entre désir d’indifférence aux réalités concrètes des territoires ultramarins et volonté de maintien à tout prix de son contrôle sur ces derniers.

À cet égard, les premiers débats législatifs de la rentrée sont éclairants. Les réflexes séculaires de l’État, attaché à ses prérogatives, sont toujours aussi vivaces, comme l’a montré l’élaboration du schéma minier. Les logiques partisanes prennent le pas sur le réalisme et le pragmatisme.

Devant de telles situations, où les importants écarts de développement appelleraient des réponses nuancées, on peut se demander dès à présent où est passé le consensus qui s’était établi autour des constats et des propositions formulés par la mission commune d’information dans son rapport, lequel, comme l’a rappelé tout à l’heure le président de la mission, Serge Larcher, a été adopté, à une abstention près, à l’unanimité.

Je n’aimerais pas que ce rapport ne soit qu’une manifestation de bonne conscience du Sénat en réaction aux mouvements sociaux, l’un de ces « rapports de plus » qui remplit les placards des assemblées et des ministères.

Il y a un problème réel, profond, grave, transversal à de nombreux domaines : je veux parler de l’égalité des chances entre les territoires ultra-marins et ceux de l’Hexagone.

Jusqu’à ce jour, le fonctionnement des institutions de la République est tel que cette question est généralement évacuée lors de l’élaboration des lois et de divers dispositifs ou intégrée après coup à travers des mesures particulières prises souvent à la hâte, sans véritable adéquation avec la réalité, et donc sans efficacité.

Madame la secrétaire d’État, j’ai quatre questions à vous poser.

Première question, quelles propositions du rapport pensez-vous retenir pour donner de vraies chances aux collectivités locales d’outre-mer de répondre aux responsabilités et aux défis auxquels elles doivent faire face, et suivant quel calendrier ?

Deuxième question, quelle organisation l’État compte-t-il faire adopter à son administration pour une meilleure prise en compte des réalités des départements d’outre-mer dans l’élaboration et la mise en œuvre des projets nationaux, dans l’élaboration des lois de la République ? Aujourd’hui, les ministères techniques occultent l’outre-mer, et les parlementaires ultramarins sont peu écoutés. Nous souhaitons avoir des précisions sur la gestion au quotidien des territoires opérée localement par les services déconcentrés de l’État.

Troisième question, quelles démarches seront menées auprès de l’Europe pour une adaptation de la réglementation en matière de relations internationales en vue de permettre une intégration intelligente des départements d’outre-mer dans leur environnement régional, indispensable à leur développement économique ? Que ressort-il, par exemple, de la dernière et toute récente conférence des régions ultrapériphériques qui a eu lieu aux Canaries ?

Quatrième et ultime question, quelle politique d’éducation envisagez-vous pour permettre aux départements d’outre-mer de rattraper les standards métropolitains de la réussite scolaire ?

Des réponses concrètes à ces quatre questions sont indispensables pour engager une évolution positive de la situation des départements d’outre-mer, quelle que soit, par ailleurs, l’évolution statutaire de ceux-ci, sans oublier, bien évidemment, l’effort considérable à faire au niveau des politiques publiques pour la santé, la formation professionnelle ou encore le développement économique. Il faut s’en souvenir, la question des prix et de la cherté de la vie en outre-mer a été, en fait, le détonateur d’une crise dont les sources sont cependant bien plus profondes et bien plus générales.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion