Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion en deuxième lecture du projet de loi portant engagement national pour le logement s'inscrit, pour notre Haute Assemblée, dans un contexte bien différent de celui de la première lecture.
Lors de celle-ci, j'ai été heureuse d'avoir pu contribuer au débat en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, aux côtés de Dominique Braye, rapporteur de la commission des affaires économiques, et de Pierre Jarlier, rapporteur pour avis de la commission des lois. Nous avons eu tous les trois à coeur d'apporter au projet de loi un nombre appréciable d'améliorations que, dans sa sagesse, le Gouvernement a accepté de retenir.
Des avancées significatives ont été réalisées pour parvenir à la libération du foncier nécessaire, en particulier dans les zones où la situation est la plus tendue, et pour encourager les maires « bâtisseurs ». De nouvelles formes de montages financiers ont été imaginées pour développer l'appétence des investisseurs et l'on peut souhaiter que le succès du « Borloo populaire » soit à la hauteur des attentes.
Des améliorations notables ont été apportées sur le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées, le PDALPD, sur les impayés d'énergie, sur la vacance des logements, sur le renforcement du rôle de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, l'ANAH. Il s'agit a priori de nombreux points positifs figurant dans le texte tel qu'il avait été voté par le Sénat.
Participant récemment au colloque sur le logement organisé par ma formation, j'ai entendu répéter par nombre des acteurs du secteur comme un leitmotiv : nous manquons de logements, mais nous manquons surtout de logements à des prix convenables. J'ai également entendu parler de crise de « vacance solvable », de besoin de logements accessibles, de pause des loyers. Qu'ils aient représenté le monde du logement social, les propriétaires privés ou les grandes associations caritatives, nos interlocuteurs ont tous été d'accord pour dire que, dans la chaîne du logement, les efforts avaient été trop inéquitablement répartis, compromettant ainsi la fluidité du parcours résidentiel.
Et en cela, le recadrage de « l'amortissement Robien », que vous avez entrepris à l'article 7 bis, monsieur le ministre, est une excellente chose. Peut-être même aurait-il fallu s'interroger sur la substitution de l'un à l'autre, comme cela s'est pratiqué précédemment de « Périssol » en « Méhaignerie » ou en « Besson ».
La deuxième remarque que j'ai retenue de ce moment très instructif a été formulée par Paul-Louis Marty, délégué général de l'Union sociale pour l'habitat, parlant d'une opération réalisée en banlieue parisienne : « Trente ans pour que quelque chose change ! ». Le problème, bien sûr, c'est que trente ans, ce n'est pas le temps des hommes politiques, alors qu'à l'évidence tous ceux qui se sont un jour penchés sur l'évolution des politiques de la ville savent bien que nos actions n'ont de sens et d'efficacité que lorsqu'elles s'inscrivent dans de telles durées.
Enfin, une troisième réflexion est souvent revenue dans les propos des participants, et elle nous concerne en tant que parlementaires : « l'absence de cohérence et de lisibilité, l'empilement des dispositifs, la complication extrême de la législation et des procédures, les effets encore incertains de la décentralisation et le désengagement mal vécu de l'État. » Nous en sommes tous, au moins en partie, responsables.
Si l'effort de construction, dont M. Borloo se félicite, a bien repris, il faut constater que, hormis dans les zones de rénovation urbaine, il n'apparaît pas encore suffisamment lisible ailleurs.
Dans cette période de crise aiguë pour trouver un logement, comme en témoignent tous les rapports sur le « mal logement », le message envoyé par l'Assemblée nationale en introduisant l'accession sociale à la propriété dans le quota de l'article 55 de la loi SRU ajoute désormais à la confusion.
Je centrerai la suite de mon propos sur cette question.
Chacun me connaît dans cet hémicycle et sait que je m'efforce de ne pas céder à la tentation des discours idéologiques. En outre, à titre personnel, je suis totalement acquise au bien-fondé du renforcement des mécanismes d'accession à la propriété dans notre pays, que ce soit pour les classes moyennes qui en ont la capacité financière ou pour les familles ayant des salaires plus modestes.
A la lecture du texte adopté par l'Assemblée nationale pour l'article 5 bis B, j'ai donc essayé de comprendre quel raisonnement avait amené à combiner dans un même quota accession sociale à la propriété et logements locatifs sociaux.
J'ai lu avec attention les déclarations des uns et des autres lors de la présentation de ce qu'il est désormais convenu d'appeler « l'amendement Ollier ». J'en ai relevé la philosophie : « permettre également à ceux dont les revenus sont les plus modestes d'accéder à la propriété ». A priori pourquoi pas ?
Voyons maintenant les moyens. Monsieur le ministre, vous avez précisé qu'un décret fixerait les plafonds pour les voies de cette accession sociale à la propriété et vous avez pris l'engagement d'en fixer le montant à des niveaux de revenus équivalents ou inférieurs à ceux qui sont retenus pour l'accession au parc locatif, car sinon, avez-vous précisé, ce serait faire perdre une chance à nos compatriotes, notamment à ceux qui se situent sous le plafond de ressources, ce qui serait irresponsable et inacceptable.
Le Gouvernement voit donc dans la modification apportée par l'Assemblée nationale une chance supplémentaire donnée aux personnes les plus modestes pour se loger. Il ne faut pas se priver de cette possibilité, soit, mais encore convient-il que cette chance puisse être saisie. Et là, le souhaitable se heurte à la logique du possible.
Lors du colloque fort instructif sur le logement auquel je faisais référence tout à l'heure, j'ai entendu des remarques tout à fait pertinentes sur la question de l'accession sociale à la propriété et la sécurisation des parcours résidentiels.
Le professeur Michel Mouillart, spécialiste incontesté des questions de logement, a ainsi fait remarquer que la hausse des prix avait fermé le marché de l'accession à la propriété aux ménages à revenus modestes. Toutefois, il faut s'entendre sur le qualificatif « modestes ». « Les ménages à revenus modestes dans l'accession à la propriété » a-t-il précisé «, sont des ménages à revenus moyens dans l'ensemble des ménages. Au cours des cinq dernières années, il y en a eu 90 000 de moins chaque année qui ont pu accéder à la propriété. Et 90 000, c'est à peu près le nombre de logements locatifs sociaux qui a été financé en 2005. C'est-à-dire qu'en réalité la hausse des prix a neutralisé le dispositif d'intervention publique. »
C'est si vrai que vous avez considérablement relevé le plafond du prêt à taux zéro, le PTZ, dans la dernière loi de finances Cela montre bien que l'accession à la propriété est de plus en plus difficile pour les ménages modestes et qu'elle est réservée à des revenus importants.
Toute notre réflexion passe donc par la sécurisation des parcours résidentiels et la capacité des ménages à faire face aux accidents de la vie. Les commissions de surendettement constatent, année après année, la prépondérance du surendettement « passif » lié à un divorce, à un décès ou à une période de chômage.
Telle est la deuxième raison pour laquelle le raisonnement de nos collègues de l'Assemblée nationale me semble peut-être bien intentionné mais très risqué. Si, d'ores et déjà, des ménages à revenus moyens ont du mal à assumer l'acquisition de leur logement dans la durée, comment des ménages aux revenus beaucoup plus faibles, et de plus, souvent irréguliers - précarité et faiblesse des revenus marchent souvent de pair - pourront-ils faire face aux obligations d'un crédit, même aménagé ?
On peut désormais emprunter sur vingt-cinq ans ou même trente ans. On nous propose la dissociation de l'achat de la maison et de celle du terrain qui l'accueillera. On paiera l'une d'abord sur vingt ans, puis l'autre peut-être sur encore vingt ans.
Au bout de quarante ans, quel sera l'état de ce qui aura été si péniblement financé ? Car c'est oublier un peu vite aussi qu'un logement doit être entretenu sous peine de se dégrader. S'il se dégrade, il perdra de sa valeur alors que son occupant n'aura peut-être pas fini de le payer. Et si ce logement est en copropriété, comment cette dernière sera-t-elle gérée si certains de ses occupants, aux ressources trop incertaines, deviennent incapables de contribuer à leur quote-part de charges ?
Un groupe de travail de la commission des affaires sociales travaille actuellement sur la question des minima sociaux et de leurs droits connexes. Un des premiers sujets auquel il s'est intéressé concerne le processus des ruptures de ressources liées au changement de statut des bénéficiaires de minima et de très bas salaires et le moyen de les éviter.
Pour avoir longuement travaillé sur cette question, il me semble dangereux d'engager dans l'accession à la propriété des ménages dont les revenus n'atteignent pas déjà un niveau suffisant et, surtout, régulier. Sinon, le risque devient trop grand. Pourquoi vouloir le faire prendre à des familles qui pourraient se révéler fragiles financièrement ? C'est une question qu'il faut aborder avec beaucoup de précaution.
On voit bien, à travers ces réflexions, que les problématiques d'accession à la propriété englobent des réalités qui sont d'une autre nature que le fait d'accéder à un logement locatif social.
On peut être favorable, et même très favorable, au développement de l'accession à la propriété, sociale ou non, pour certains et ne pas le juger opportun pour d'autres. Voilà pourquoi nous vous proposerons de traiter ces deux questions séparément en sortant du décompte de l'article 55 l'accession sociale à la propriété, dès lors qu'il ne s'agit pas de la vente de logements sociaux à leurs occupants.
Si notre amendement n'est pas retenu, nous vous proposerons de porter le quota à 30 %, afin que l'effort en matière de logement locatif social puisse être maintenu.
Personnellement, je défendrai deux autres propositions. L'une sera pour imposer que, dans chaque programme d'au moins dix-neuf logements, 20 % soient réservés aux logements locatifs sociaux. Nous avions déjà proposé cet amendement en première lecture ; son adoption montrerait que notre Haute Assemblée souhaite donner un signal fort concernant l'effort à fournir en faveur du logement locatif social.
Et comme la deuxième lecture m'a donné un peu de temps pour y réfléchir, je vous proposerai également une version légèrement différente de cette même idée, en appliquant un quota de 30 % cette fois-ci sur la production globale annuelle des constructions d'une commune, ce qui lui laisserait plus de souplesse qu'avec la proposition précédente.
Enfin, comme en première lecture, et afin de donner un coup de pouce à la production de logements très sociaux, nous vous proposerons de porter à deux le coefficient appliqué à la prise en compte de chaque PLAI - prêt locatif aidé d'intégration - dans le décompte du quota de l'article 55.
Je souhaite, monsieur le ministre, que notre discussion permette de revenir à une rédaction plus satisfaisante de l'article L. 302-5, non pour la portée somme toute limitée de cet article ou pour stigmatiser certaines communes, mais plutôt parce que sa rédaction donne du sens à tout notre effort en faveur de la mixité sociale. Je suis certaine, monsieur le ministre, que vous partagez mon analyse sur cet objectif.