… mes chers collègues, le 17 juin 2009, il y a donc à peine plus d’un an, le Sénat examinait, en première lecture, le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation.
La séance publique nous avait occupés deux jours entiers, après un important travail de commission, sous la présidence éclairée et bienveillante de Philippe Marini que je souhaite dès à présent remercier. Nos réunions et nos discussions avec l’ensemble des membres de la commission spéciale avaient, en effet, été très constructives.
En commission, nous avions procédé à plusieurs dizaines d’auditions et examiné 103 amendements, dont les deux tiers ont été adoptés. Tous les groupes composant notre assemblée ont contribué à l’élaboration du texte dont nous avons ensuite débattu en séance publique.
Dans ce deuxième temps, dix-sept amendements supplémentaires ont été adoptés sur les 121 déposés par l’ensemble des groupes.
L’encombrement du calendrier législatif a malheureusement empêché l’Assemblée nationale d’examiner plus rapidement le texte que nous lui avions transmis, malgré l’importance qu’elle a tout de suite attachée à son objet. Pas moins de quatre commissions s’y sont saisies du projet de loi : la commission des affaires économiques au fond, les commissions des affaires sociales, des finances et des lois pour avis, qui ont rendu leurs rapports en décembre. La séance publique s’est déroulée en plusieurs phases : elle a commencé à la fin du mois de mars et s’est achevée par le vote solennel sur le texte adopté par les députés le 27 avril.
Aujourd’hui, nous entamons une nouvelle étape, celle de la deuxième lecture du projet de loi.
Nous avions transmis 51 articles à l’Assemblée nationale ; elle en a adopté 5 conformes, modifié 46 et ajouté 12. Notre commission spéciale a donc eu 58 articles à examiner, alors que, je vous le rappelle, le projet initial en comportait 34 : il a donc pratiquement doublé de taille au cours de la navette parlementaire.
Dans ses grandes lignes, le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale n’est pas très différent de celui que nous avons voté en première lecture, et c’est pour nous une source de grande satisfaction. Cela montre la qualité du travail effectué par notre commission spéciale pour faire émerger des solutions adaptées et aboutir à un compromis, que je crois réellement équilibré. Celui-ci a d’ailleurs recueilli l’assentiment de nos collègues députés, qui ont reconnu « l’apport substantiel du Sénat au projet de loi », ainsi que l’a affirmé, au Palais-Bourbon, François Loos, le rapporteur de la commission des affaires économiques saisie au fond.
Vous le savez, notre assemblée s’est mobilisée depuis longtemps sur ces questions du crédit à la consommation et de la prévention du surendettement. Les cinq propositions de loi déposées peu avant le projet de loi en étaient un parfait témoignage. Tous leurs auteurs – notre président Philippe Marini, Claude Biwer et les membres de son groupe, Charles Revet et plusieurs de ses collègues, Nicole Bricq et les membres du groupe socialiste, Michel Mercier et les membres du groupe de l'Union centriste – ont d’ailleurs largement contribué à l’élaboration du texte issu des travaux du Sénat. Je voudrais donc une nouvelle fois saluer ici leur engagement, car il s’agit assurément d’un sujet essentiel, parfois même critique pour nombre de nos concitoyens. La crise que nous connaissons depuis dix-huit mois maintenant a bien entendu encore accentué les difficultés que, les uns et les autres, nous avions clairement perçues et souhaité corriger.
Je voudrais également vous rendre hommage, madame le ministre de l’économie. Nous savons quelle a été votre implication sur ce dossier, et nous vous en savons gré. Votre ténacité et la mobilisation de vos services, mais surtout vos arbitrages ont pour une très large part permis les avancées que nous voulons entériner aujourd’hui.
On s’en souvient, plusieurs objectifs avaient été assignés au projet de loi initial.
Il s’agissait en premier lieu de transposer la directive communautaire du 23 avril 2008 sur le crédit aux consommateurs. L’ambition, cependant, était en réalité bien plus vaste puisque le texte visait également, d’une part, à réduire le malendettement, notamment en diminuant la part du crédit renouvelable au profit du crédit amortissable, et, d’autre part, à améliorer les procédures de traitement du surendettement.
En première lecture, nous avions estimé que le projet de loi était un bon texte, mais qu’il nécessitait quelques compléments pour comporter effectivement toute la gamme des outils lui permettant de donner sa pleine mesure. C’est pourquoi nous avions introduit trois dispositions entièrement nouvelles, que nous jugions majeures, relatives respectivement à la réforme du taux de l’usure, au principe de la création d’un fichier positif et au renforcement du microcrédit.
Le premier ajout consistait donc dans la réforme des seuils de l’usure. Il nous avait en effet semblé indispensable de revoir la législation actuelle. Ma position initiale était que, dans une économie moderne, la régulation doit venir du marché, sous le contrôle d’organes chargés de veiller au respect des règles de la concurrence et, s’agissant des intérêts individuels, sous le contrôle du juge ; une telle situation se retrouve d’ailleurs dans la plupart des pays voisins. Cela signifiait par conséquent la suppression du régime de l’usure.
Nous avons toutefois estimé que le contexte et l’opinion n’étaient pas encore prêts et avons donc retenu une solution intermédiaire, c’est-à-dire la fixation des taux en raison non pas de la catégorie du produit, mais du montant du crédit. À cet effet, nous avons, d’une part, donné une base législative à cette transformation et, d’autre part, autorisé une gestion administrée des taux sur une période maximale de deux ans, afin que le changement de règles ne conduise pas à l’effondrement brutal du marché du crédit. Enfin, nous avons institué un comité ad hoc chargé de superviser la réforme et de vérifier les conditions de constitution des marges des établissements de crédit.
L’Assemblée nationale a adopté sans modification cette réforme du taux de l’usure, qui figure à l’article 1er A du projet de loi.
Le deuxième ajout consistait dans la création d’un fichier positif.
Nous avons eu de nombreux débats sur ce sujet. Nous avons entendu des avis très variés et effectué un déplacement en Belgique pour approfondir la question. À titre personnel, comme plusieurs d’entre vous d’ailleurs, vous vous en souvenez, je n’étais pas absolument convaincu de l’efficacité de cet outil dans la lutte contre le surendettement.
La commission spéciale avait néanmoins trouvé une solution de compromis en posant le principe de la création, à terme, d’un fichier positif, mais en donnant un peu de temps pour procéder à l’évaluation, notamment, des effets de la présente loi ; à la concertation, afin que puissent suffisamment se rapprocher les points de vue entre les parties, encore très divisées ; et à la réflexion sur ce que l’on veut vraiment faire de cet outil et sur son utilisation.
De son côté, l’Assemblée nationale a également approuvé le principe d’une réflexion sur la mise en place d’un fichier positif. Les débats y ont été vifs entre partisans et adversaires d’un tel mécanisme !
L’accord final s’est fait autour d’un amendement présenté par le Gouvernement, qui, lui non plus, n’était pas très favorable au départ mais a évolué dans ses positions.
Cette disposition, adoptée à une large majorité, prévoit un rapport sur la création – et non plus sur le seul principe ou sur l’opportunité de la création – d’un registre national des crédits aux particuliers. Ce rapport sera remis au Gouvernement et au Parlement dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi – le Sénat avait adopté, je vous le rappelle, un délai de trois ans.
Il est également prévu qu’un comité chargé de préfigurer cette création et dont la composition sera fixée par décret aura la responsabilité de l’élaboration du rapport. En séance, devant les députés, Mme Lagarde a donné des indications plus précises sur cette composition, en insistant sur son caractère « mixte », le comité devant représenter l’ensemble des parties prenantes, notamment les associations de consommateurs. Pour notre part, vous vous en souvenez, nous avions confié l’élaboration du rapport à la commission chargée d’évaluer la loi que nous avons créée à l’article 33 A du projet de loi.
Le travail de compromis sur cette question importante s’est donc poursuivi à l’Assemblée nationale, rapprochant les positions des uns et des autres, y compris celle du Gouvernement.
Le troisième ajout, enfin, concerne le microcrédit social. Plusieurs auditions nous avaient montré la nécessité de procéder à une nouvelle définition du microcrédit personnel en le centrant sur sa finalité sociale afin d’en faire un soutien au maintien ou au retour vers l’emploi ainsi qu’à tout projet d’insertion sociale. Il nous avait aussi paru important de permettre au Fonds de cohésion sociale de financer non seulement les garanties, mais aussi directement les dépenses d’accompagnement des bénéficiaires.
L’Assemblée nationale nous a suivis. Elle a même complété le dispositif afin de n’écarter aucune piste d’intérêt social pour la relance du microcrédit personnel.
Sur le reste du texte, les députés ont très largement maintenu les enrichissements apportés par le Sénat aux dispositions initiales, qui s’orientaient pour l’essentiel dans quatre directions.
Il s’agissait d’abord de renforcer l’information et la protection des consommateurs, notamment en précisant certaines modalités relatives à la publicité et en faisant en sorte que la fiche de dialogue puisse être accompagnée des justificatifs nécessaires.
Notre priorité était ensuite de clarifier les relations entre commerce et crédit. À cet effet, nous avons assuré une meilleure confidentialité des opérations sur le lieu de vente, garanti la formation des personnels concernés et permis un contrôle facilité du respect de ces prescriptions par l’autorité administrative. Nous avons également fait en sorte que le consommateur qui désire régler à crédit des achats dépassant une certaine somme puisse disposer systématiquement d’une offre alternative de crédit amortissable lorsqu’on lui soumet une offre de crédit renouvelable.
Nous voulions en outre soutenir le crédit personnel plutôt que le crédit renouvelable, en facilitant notamment l’application de la loi Chatel en matière de résiliation d’office d’un crédit renouvelable non utilisé.
Enfin, notre dernière priorité était d’améliorer le fonctionnement de la procédure liée au surendettement et au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, le FICP. Nous avons cherché à mieux harmoniser les pratiques, développé un suivi social plus étroit des personnes surendettées et complété les règles de fonctionnement du FICP dans un sens plus favorable aux emprunteurs.
De son côté, l’Assemblée nationale a elle aussi continué à enrichir le texte en formulant plusieurs propositions.
Elle a ainsi prévu un réexamen régulier de la solvabilité des emprunteurs ayant souscrit un crédit renouvelable, à travers une consultation annuelle du FICP et un examen complet de solvabilité tous les trois ans.
Elle a également renforcé la transparence de l’offre assurantielle, grâce à la présence d’une information sur son coût dans la publicité et dans l’offre de contrat, et, pour les crédits immobiliers, par l’obligation de motiver les décisions de refus de délégation d’assurance.
Elle a par ailleurs amélioré le fonctionnement de l’actuel FICP par l’instauration d’un mécanisme d’alerte préventive.
Enfin, elle a assuré une meilleure protection des débiteurs contre les mesures d’expulsion susceptibles d’être prononcées à leur égard dès lors que leur dossier a été jugé recevable.
Plusieurs amendements du Gouvernement ont également été adoptés par les députés, en particulier pour tirer les conséquences du rapport demandé à Mme Cohen-Branche, magistrat à la Cour de cassation, par la ministre de l’économie sur les relations entre les banques et les personnes surendettées. Ce rapport est en cours d’achèvement, mais le Gouvernement a d’ores et déjà souhaité mettre en œuvre certaines des conclusions auxquelles il parvient.
Une réforme de l’Institut national de la consommation a enfin été approuvée, sur la base des préconisations des Assises de la consommation tenues à la fin du mois d’octobre dernier.
L’ensemble du texte qui résulte des travaux ainsi décrits a semblé à notre commission spéciale très largement correspondre à ce qu’elle avait souhaité faire de ce projet de loi en première lecture.
Je le redis, le compromis que nous avions trouvé entre les positions et souhaits exprimés par les différentes parties concernées est équilibré. L’absence d’amendements en commission traduit d’ailleurs bien, à mon sens, cet équilibre.
C’est pourquoi la commission spéciale a décidé d’adopter sans modification le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale. Nous avons estimé que cela permettrait à la fois d’appliquer sans trop tarder un projet de loi que beaucoup attendent et de – presque – respecter les délais de transposition de la directive européenne. §Celle-ci a en effet prévu la date limite du 12 mai 2010 pour sa traduction en droit interne.
Au demeurant, la plupart des parties intéressées par ce projet de loi nous ont fait savoir que le texte élaboré par le Sénat d’abord, puis l’Assemblée nationale représentait à leurs yeux un équilibre raisonnable. Nombre d’entre elles en ont d’ores et déjà anticipé certaines dispositions, ce qui est naturellement très satisfaisant, par exemple dans les publicités ou les notices d’information remises aux consommateurs et aux emprunteurs.
Si l’entrée en vigueur rapide de ce projet de loi nous paraît donc aujourd’hui prioritaire, elle n’en empêchera pas moins que nous resterons vigilants sur son application et n’hésiterons pas à en corriger certaines dispositions si cela devait s’avérer nécessaire.
Nous avons eu l’ambition de faire œuvre utile sur un sujet essentiel pour la vie de nos concitoyens. Il est important que cette ambition soit pleinement réalisée.