Or la situation actuelle est source de confusion, ce qui est préjudiciable aux seuls emprunteurs. Permettre au consommateur de choisir entre crédit amortissable et crédit renouvelable au-delà d’un certain seuil n’est pas de nature à modifier la demande, en particulier si l’emprunteur ne sait pas qu’il emprunte, qui plus est à un taux excessif.
Ni l’Assemblée nationale ni la majorité sénatoriale ne tiennent compte du rapport de la Cour des comptes remis au début de l’année 2010, lequel recommande d’interdire ces cartes, qu’il qualifie de « confuses », si les mesures prévues par ce texte s’avéraient inefficaces.
Deuxièmement, à la fin de cette très courte navette parlementaire, bien que le délai qui s’est écoulé entre la première et la deuxième lecture a été long, – c’est un sujet de discorde entre la majorité et le Gouvernement – nous n’aurons pas franchi le cap décisif en ce concerne le taux de l’usure.
Il s’est tenu la semaine dernière à Lyon un colloque au cours duquel des magistrats spécialistes du surendettement se sont exprimés. L’un d’eux affirmait ceci : « le plus efficace aurait été de baisser par la loi le taux de l’usure, actuellement fixé par les banques en fonction des taux maximum pratiqués, pour inciter les prêteurs à se montrer plus vigilants afin d’éviter les impayés ».
Notre proposition, qui consiste à lier le taux de l’usure à celui auquel les banques se refinancent, est particulièrement adaptée à la période actuelle, où elles le font à très bas coût. Nous n’oublions pas qu’elles répugnent à prendre des risques, tout en bénéficiant du soutien de la puissance publique, qu’il s’agisse de l’État ou de la Banque centrale européenne.
Nous n’acceptons pas un tel paradoxe, d’autant que l’application de la loi par les banquiers nous laisse sceptique. Ainsi, le numéro hors-série de juillet-août 2010 de 60 millions de consommateurs relève que l’obligation d’informer l’emprunteur de la variation dans le temps du taux d’intérêt d’un crédit renouvelable, bien qu’inscrite à l’article L. 311-10 du code de la consommation, n’est pas respectée. Il a fallu un arrêt de la cour d’appel de Pau en date du 24 septembre 2009 pour le rappeler.
Troisièmement, nous sommes en désaccord sur un point à nos yeux essentiels. En effet, quoi que vous en disiez, madame la ministre, vous ne modifiez pas l’économie générale du crédit à la consommation en maintenant la prééminence du crédit renouvelable sur le crédit simple que constitue le prêt personnel.
Nous avions défendu en première lecture le crédit personnel remboursable immédiatement pour un montant modique de 3 000 euros maximum, qui correspond le mieux à la demande des foyers modestes et que nous avions nommé « crédit social ». Nous souhaitions défendre cette même position en deuxième lecture, mais, comme je l’ai dit dans mon rappel au règlement, l’amendement visant à créer ce crédit a été déclaré irrecevable, au titre d’une application intégrale et littérale du règlement du Sénat.
Depuis le débat dont cette proposition a fait l’objet, les banques ont beaucoup communiqué autour de ce qu’elles nomment le « microcrédit », en s’engageant sur des objectifs chiffrés jusqu’en 2011. Elles ont ainsi distribué 5 520 microcrédits personnels en 2009, d’après les sources de la Caisse des dépôts et consignations, qui gère le Fonds de cohésion sociale, dont je reparlerai tout à l’heure.
Il s’agit d’une offre marginale, liée à l’existence d’un accompagnement social du demandeur. Ce faisant, les banques ne font que reprendre une initiative des collectivités locales mise en place au travers des Crédits municipaux. Certainement utiles, ces microcrédits ne sont pourtant pas de nature à peser sur l’offre de crédit aux ménages. Je pense notamment aux foyers modestes, dont les membres, bien souvent, travaillent plus pour gagner moins, ainsi qu’aux jeunes qui ne trouvent pas de place dans la vie active, sans pour autant bénéficier d’un accompagnement social.
Quatrièmement, malgré l’intervalle de temps qui a séparé les deux lectures, nous n’avons toujours pas l’assurance qu’un fichier positif sera mis en place, monsieur le rapporteur. La prudence initiale de la majorité sénatoriale, qui avait laissé une certaine latitude à la majorité de l’Assemblée nationale, n’a rencontré chez celle-ci qu’un modeste gain de temps – celui-ci n’annule pas le délai d’examen du projet de loi, puisque nous avons tout de même perdu plus d’un an – pour seulement vérifier les conditions de faisabilité d’un tel fichier.
Le fait que le comité de préfiguration remette son rapport plus rapidement ne lève pas les doutes sur la mise en place de ce fichier. L’imprécision du texte, que nous ne pourrons pas réexaminer au fond, compte tenu du souhait de procéder à un vote conforme, exigera, même si la faisabilité du fichier est avérée, une nouvelle loi. Il faudra en effet respecter les recommandations de la CNIL, ce qui reportera sine die sa création.
Pourtant, le fichier positif est un moyen décisif pour éviter aux emprunteurs de « plonger » dans le surendettement ou, pire, d’y « replonger ». J’en veux pour preuve la position de l’Association française des usagers des banques, l’AFUB. Alors que celle-ci n’était pas vraiment emballée par cette mesure, elle souhaite désormais que, au-delà du rachat de cinq crédits renouvelables par un nouveau prêt, un tel fichier puisse être actionné. Elle a en effet constaté que les bénéficiaires des rachats de crédits se retrouvaient devant les commissions de surendettement deux ou trois ans plus tard. Encore faudrait-il, pour suivre une telle recommandation de l’Association française des usagers des banques, que ce fichier existe. Tel n’est pas le cas.
Je veux souligner que la commission spéciale n’a pas souhaité amender le texte tel qu’il est issu des travaux de l’Assemblée nationale. J’en conclus donc que la majorité et le Gouvernement veulent un vote conforme. Mais aucune raison sérieuse n’est avancée pour y avoir recours.
Monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, madame la ministre, quand il s’agit du sort de centaines de milliers de personnes, ni l’encombrement du calendrier parlementaire ni le respect des délais impartis pour la transposition de la directive ne sauraient justifier ce vote conforme. En effet, s’agissant du respect des délais de transposition des directives, je pourrais vous citer dix exemples où la France se situe résolument en dehors des clous, si vous me permettez cette expression.
Vous vous félicitez, madame la ministre, de ne pas avoir engagé la procédure accélérée sur ce texte. Mais la méthode du vote conforme revient au même.