Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue François-Noël Buffet relative au transfert du contentieux des décisions de refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile apparaît, dans une première analyse, comme mettant en œuvre d’utiles mesures de simplification et de rationalisation.
Cependant, l’extrême sensibilité aux questions d’immigration et d’asile dans notre pays ainsi que l’équilibre particulièrement délicat issu de nos législations successives en ces matières nous invitent à une vigilance de chaque instant, d’autant plus que les opinions des différentes personnalités entendues par votre rapporteur sur cette réforme se sont révélées assez contrastées.
Au risque de la répétition, mais sans craindre la contradiction, je rappellerai tout d’abord, après mon collègue François-Noël Buffet, que la procédure de l’asile à la frontière, créée en 1982, a pour objet d’autoriser ou non à pénétrer sur le territoire français les étrangers qui se présentent aux frontières aéroportuaires, ferroviaires ou maritimes démunis des documents requis et demandent à y être admis au titre de l’asile. Elle est distincte de la procédure de reconnaissance du statut de réfugié et ne préjuge en aucun cas de l’issue de celle-ci.
C’est le ministre de l’immigration qui est seul compétent pour prendre la décision d’entrée en France – il a sur ce point succédé en 2008 au ministre de l’intérieur –, après avis de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui procède à l’audition de l’étranger, l’avis de l’OFPRA ayant lui-même succédé en 2004 à celui du ministre des affaires étrangères. Le CESEDA précise que « l’étranger […] peut être maintenu dans une zone d’attente […] pendant le temps strictement nécessaire […], s’il est demandeur d’asile, à un examen tendant à déterminer si sa demande n’est pas manifestement infondée ».
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 27 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, les recours contre les refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile étaient dépourvus d’effet suspensif, ce que la Cour européenne des droits de l’homme, dans une décision Gebremedhin du 26 avril 2007 a jugé contraire aux articles 3 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
À la suite de cette jurisprudence, la loi du 20 novembre 2007 a introduit dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile une disposition prévoyant un recours en annulation suspensif de quarante-huit heures contre le refus d’entrée sur le territoire, le magistrat saisi étant tenu de statuer dans un délai de soixante-douze heures.
Dans le cadre de cette même loi, la Commission des recours des réfugiés, juridiction administrative chargée du contrôle des décisions de l’OFPRA relatives au refus ou à l’octroi du statut de réfugié, avait été renommée, François-Noël Buffet l’a indiqué, « Cour nationale du droit d’asile », afin de mieux affirmer le caractère juridictionnel de cette institution et, surtout, de renforcer son autonomie budgétaire par rapport à l’OFPRA, dont elle dépendait jusqu’alors. Il était d’ailleurs pour le moins paradoxal qu’un organisme juridictionnel dépende, sur le plan financier, d’un établissement public soumis à son contrôle…
Des dispositions ont donc été adoptées afin, d’une part, de rattacher la CNDA au Conseil d’État et, d’autre part, de permettre à la Cour de disposer de dix magistrats permanents.
Notre collègue François-Noël Buffet, en qualité de rapporteur du texte devenu la loi du 20 novembre 2007, avait, dès cette époque, préconisé le transfert du contentieux d’entrée sur le territoire au titre de l’asile du tribunal administratif de Paris à la CNDA. Cette proposition avait été reprise par la commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique de l’immigration, présidée, je le rappelle, par Pierre Mazeaud, dont le rapport de juillet 2008 relevait que ce transfert de compétence « aurait l’intérêt d’unifier le contentieux des demandeurs d’asile sur un juge spécialisé, plus qualifié en la matière que le juge administratif de droit commun ».
C’est donc cette réforme que la présente proposition de loi vise à mettre en œuvre.
Votre rapporteur et la commission des lois se sont d’abord interrogés sur les avantages et les inconvénients de ce transfert afin d’en apprécier le bien-fondé, avant d’en examiner les différentes modalités et de proposer de renforcer sur certains points les garanties offertes aux demandeurs d’asile à la frontière.
Trois griefs essentiels ont été exprimés à l’égard de cette réforme.
Tout d’abord, la compétence de la Cour nationale du droit d’asile priverait l’étranger d’une possibilité d’appel dans la mesure où ses décisions ne peuvent faire l’objet que d’un recours en cassation devant le Conseil d’État. On peut répondre en faisant observer le caractère très théorique en ce domaine de l’actuelle possibilité de recours devant la cour administrative d’appel contre les jugements du tribunal administratif de Paris dans la mesure où cet appel ne comporte aucun effet suspensif.
Ensuite, le risque a été évoqué de voir la CNDA, lorsqu’elle sera ultérieurement saisie de la décision de l’OFPRA sur la qualité de réfugié, liée par sa décision initiale relative à l’entrée sur le territoire au titre de l’asile. Il s’agit cependant de deux contentieux bien distincts : l’un portant sur le caractère manifestement infondé de la demande d’entrée sur le territoire formulée à la frontière, l’autre, sur l’appréciation portée au fond sur cette demande d’asile par l’OFPRA.
Enfin, l’on pourrait légitimement s’inquiéter des conséquences de cette charge de travail supplémentaire pour la CNDA sachant que ses délais moyens de traitement des recours ont augmenté depuis 2003. Cependant, et sur la base vraisemblable de 1 000 recours annuels supplémentaires environ, la hausse du contentieux total de la Cour ne dépasserait pas 5 %. En outre, la Cour a réalisé ces dernières années un effort important d’assainissement du stock des dossiers les plus anciens. Surtout, un amendement a été adopté par notre assemblée, sur l’initiative de François-Noël Buffet, lors de l’examen de la loi de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, dont l’objet est de permettre le recrutement de magistrats administratifs ou judiciaires à titre permanent pour assumer les fonctions de président de section au sein de la Cour nationale du droit d’asile.
Pour toutes ces raisons, la commission partage le sentiment que l’expérience et la spécialisation des magistrats de la CNDA les rendraient plus aptes à juger en urgence du caractère manifestement infondé ou non des demandes d’asile à la frontière et considère qu’aucun argument dirimant ne s’y oppose.
La proposition de loi modifie également sur deux points les procédures en vigueur.
D’une part, elle maintient la possibilité de recourir à la visioconférence en supprimant la possibilité pour l’étranger de s’y opposer, mais en posant des conditions plus strictes. La visioconférence ne pourrait être en effet utilisée qu’« en cas de nécessité tenant à l’éloignement géographique de la zone d’attente. » La Cour nationale du droit d’asile siégeant à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, cette condition exclut la visioconférence s’agissant des étrangers maintenus dans les zones d’attente des aéroports de Roissy ou d’Orly, qui représentent 97 % des requérants. En outre, la salle d’audience dans laquelle se trouverait l’étranger serait la salle d’un tribunal ; il ne pourrait s’agir d’une salle spécialement aménagée dans la zone d’attente.
D’autre part, la proposition de loi ouvre la possibilité pour les magistrats de la CNDA de tenir des audiences foraines dans une salle d’audience spécialement aménagée dans la zone d’attente. Mme Martine Denis-Linton, présidente de la CNDA, a indiqué à votre rapporteur son souhait de pouvoir utiliser la salle située à Roissy.
Enfin, la commission a estimé opportun, à l’occasion de cette unification du contentieux relatif à l’asile, de renforcer les garanties offertes aux demandeurs d’asile à la frontière. Trois amendements importants ont ainsi été notamment adoptés.
Le premier porte de quarante-huit heures à soixante-douze heures le délai dans lequel l’étranger peut demander l’annulation de la décision de refus d’entrée.
De nombreux interlocuteurs de votre rapporteur ont déploré la brièveté du délai de quarante-huit heures et souligné les difficultés, en particulier les week-ends, pour déposer un recours recevable. Sans assistance, les étrangers débarquant pour la plupart à Roissy et ne comprenant pas toujours le français sont largement incapables de déposer un tel recours. Or, durant les week-ends, l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, l’ANAFé, n’a pas les moyens d’assurer une permanence. Je rappelle que c’est déjà sur l’initiative du Sénat et de sa commission des lois que ce délai avait été porté de vingt-quatre heures à quarante-huit heures.
Le deuxième amendement revient sur l’exigence d’une requête motivée, qui paraît lourde pour une procédure en urgence et dont la suppression permettrait peut-être de donner une plus grande place à l’oralité des débats et de diminuer les risques que bien des requêtes soient écartées par la voie d’ordonnances.
Dans un troisième amendement, votre commission propose de fixer au juge un cadre minimal pour apprécier la notion de « demande manifestement infondée ». Sans être exhaustif, ce cadre éviterait une dérive vers un examen plus approfondi, assimilable à celui du bénéfice du statut de réfugié. Or nous insistons bien sur le fait qu’il ne s’agit pas du même contentieux.
Signalons enfin que j’avais réfléchi au dépôt d’un autre amendement, auquel j’ai finalement renoncé, visant à transférer du ministre au directeur général de l’OFPRA la décision de refus d’entrée en France au titre de l’asile.
Dans la mesure où le ministre chargé de l’immigration – hier, le ministre de l’intérieur – suit aujourd’hui l’avis de l’OFPRA dans 100 % des cas, cette réforme aurait eu pour avantage à la fois d’économiser une partie des moyens humains alloués à cette tâche et de lever les éventuelles suspicions quant à une interférence du ministre chargé de l’immigration avec l’exercice du droit d’asile en France. Il aurait cependant été nécessaire de préserver la compétence du ministre dans le cas où la présence de l’étranger sur le territoire français constituerait une menace pour l’ordre public.
Toutefois, ce transfert posait également des difficultés de principe importantes quant au risque de remise en cause de l’indépendance de jugement de l’OFPRA en matière d’asile, la décision de refus d’entrée au titre de l’asile relevant d’abord du droit au séjour en France, et quant à l’étendue de la compétence du directeur général de l’OFPRA. Mais cette proposition mérite peut-être une réflexion supplémentaire, monsieur le ministre. C’est pourquoi je me suis permis de l’évoquer en conclusion.
Quoi qu’il en soit, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d’adopter la proposition de loi de François-Noël Buffet ainsi rédigée.