Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 6 mai 2009 à 14h30
Entrée sur le territoire français au titre de l'asile — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Cette disposition a heureusement été supprimée par le Sénat, même si, en juillet 2008, la commission présidée par Pierre Mazeaud sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration proposait d’« unifier le contentieux des demandeurs d’asile sur un juge spécialisé, plus qualifié en la matière que le juge administratif de droit commun ».

Néanmoins, nous nous attendions à ce que, sous une forme ou sous une autre, la question de la répartition des contentieux, plus spécifiquement des étrangers et des demandeurs d’asile, réapparaisse à un moment donné. C’est chose faite !

Le groupe CRC-SPG est opposé à toute création d’une juridiction spéciale pour les étrangers. Extraire ce contentieux du droit commun tendra inévitablement vers un affaiblissement des droits des étrangers. En effet, cela instaure une justice à deux vitesses, avec, à terme, des garanties procédurales au rabais. La preuve en est que le Gouvernement envisage la suppression du rapporteur public dans le contentieux des étrangers. Son objectif essentiel, en unifiant le contentieux des étrangers, est de rendre toujours plus « efficace » la mise en œuvre de la politique d’expulsion et d’éloignement des étrangers. La justice doit donc être plus expéditive, aux dépens, bien évidemment, des garanties juridictionnelles qui entourent encore aujourd’hui l’éloignement des étrangers.

Par ailleurs, cette proposition de loi tend à assimiler le droit applicable aux demandeurs d’asile et le droit applicable aux autres étrangers, confusion délibérément entretenue par le Gouvernement, puisque les questions de l’asile et de l’immigration ressortissent indistinctement au ministère de l’immigration, alors que, auparavant, l’asile relevait du ministère des affaires étrangères.

Le droit d’asile est un droit fondamental, reconnu depuis la Révolution française et aujourd’hui garanti par notre Constitution et par la convention de Genève du 28 juillet 1951. Il s’agit de la protection qu’un État peut offrir à un individu victime de persécutions ou d’une guerre civile ; il faut donc le distinguer des mouvements migratoires économiques ou familiaux.

Or l’amalgame entre demandeurs d’asile et étrangers économiques conduit à confondre, comme c’est le cas avec cette proposition de loi, le contentieux lié à la demande d’asile et celui qui est lié à l’entrée et au séjour des étrangers.

En reprenant la préconisation de la commission présidée par Pierre Mazeaud, cette proposition de loi constitue, à n’en pas douter, la première pierre d’un édifice bien plus vaste tendant à extraire l’ensemble du contentieux des étrangers de la compétence de la juridiction administrative. En effet, elle prévoit de transférer à la Cour nationale du droit d’asile le contentieux des décisions de refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile, au motif que le juge administratif serait moins qualifié que les magistrats de la CNDA pour statuer sur ce contentieux.

Actuellement, la CNDA est compétente pour statuer sur les décisions de l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, accordant ou n’accordant pas le statut de réfugié. Elle est donc compétente pour se prononcer sur une question liée uniquement à l’asile. Si la CNDA devient compétente pour statuer sur l’entrée sur le territoire français, pourquoi ne le deviendrait-elle pas alors pour ce qui concerne la sortie du territoire et, enfin, le séjour ? Deviendra-t-elle une juridiction spécialisée pour l’ensemble du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ? La question mérite d’autant plus d’être posée qu’une réponse positive entraînerait une rupture sans précédent avec le principe de séparation de l’asile et du droit des étrangers.

Cette proposition de loi présente donc, selon nous, un risque réel de dénaturation du contentieux lié au refus de l’entrée sur le territoire français au titre de l’asile. Ce refus est une mesure de police administrative, qui se contente d’apprécier le caractère manifestement fondé ou infondé de la demande. Elle ne peut ni ne doit préjuger l’attribution du statut de réfugié.

Le recours exercé est un recours en excès de pouvoir et non un recours de plein contentieux. La CNDA n’est pas plus qualifiée que le juge administratif de droit commun pour statuer sur une mesure de police et, donc, sur un recours pour excès de pouvoir. Au contraire, si l’on se fie à l’« intime conviction » du magistrat chargé de statuer, comme nous y invite l’Union syndicale des magistrats administratifs, il y a fort à parier que la tendance naturelle de la CNDA sera de statuer a priori sur la demande d’asile et de préjuger le statut de réfugié du demandeur.

Ces observations confirment qu’il existe bel et bien un risque que, à terme, l’examen au fond de la demande d’asile se fasse à la frontière, en même temps que l’examen du caractère fondé ou non de la demande d’asile, par la seule Cour nationale du droit d’asile.

Cette situation appelle une autre remarque : actuellement, les étrangers qui se soumettent à la loi et se présentent à la frontière pour demander l’asile sont soumis à des règles plus sévères que les étrangers en situation irrégulière se rendant en préfecture après un mois, un an, voire plus, passé sur le territoire.

Les conditions restrictives de la procédure telles qu’un délai de recours bref et un maintien en zone d’attente pouvant être prolongé jusqu’à vingt-six jours, ainsi que la limitation de certaines garanties fondamentales – je pense aux audiences foraines et aux visioconférences –, s’appliquent en effet aux étrangers demandant l’asile à leur arrivée à la frontière, ce qui revient en quelque sorte à privilégier les étrangers en situation irrégulière qui se manifestent à l’autorité publique.

Enfin, ce transfert du contentieux du juge administratif de droit commun à la CNDA risque de déstabiliser fortement cette dernière. M. le rapporteur ne pourra qu’être d’accord avec moi sur ce point, puisqu’il le souligne dans son rapport. Au tribunal administratif de Paris, le contentieux lié au refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile n’est à l’origine d’aucune difficulté de gestion particulière, car il n’est pas massif. L’argument consistant à mettre en avant le désengorgement du tribunal administratif de Paris n’est donc pas valable.

C’est au contraire la CNDA qui risque de se trouver encore plus engorgée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les délais de traitement des recours devant la CNDA sont déjà longs ; ils n’ont cessé d’augmenter depuis 2003, passant de huit mois environ à treize mois en 2008. Ajouter un nouveau champ de compétence à la CNDA aura sans aucun doute pour effet d’augmenter une pression contentieuse déjà forte, d’autant plus que le recours dont nous parlons aujourd’hui devra être examiné dans un délai très bref de soixante-douze heures. Cet examen sera donc prioritaire par rapport aux autres recours, ce qui se traduira inévitablement par un allongement des délais d’examen des recours contre les décisions de l’OFPRA.

Vous-même, monsieur le rapporteur, vous vous interrogez sur l’opportunité de transférer ce contentieux à la CNDA : « Alors que la CNDA est déjà sous tension et a un délai moyen de jugement de plus d’un an, comment pourrait-elle absorber sans dommage cette charge de travail supplémentaire ? », écrivez-vous en effet dans votre rapport.

Cette proposition de loi ne présente donc aucun avantage, qu’il s’agisse d’améliorer, pour les étrangers, l’effectivité du recours ou de décharger le tribunal administratif de Paris de ce contentieux. Les arguments présentés pour la justifier sont sans fondement au regard tant de la pratique actuelle que de la comparaison avec des systèmes juridictionnels étrangers. Si l’on excepte les cas du Royaume-Uni et de la Belgique, dans les grandes démocraties, le contentieux des étrangers n’est pas unifié et ne dépend pas de juridictions spécialisées. La situation du Royaume-Uni s’explique par le fait qu’il s’agit d’un pays de common law, celle de la Belgique par le fait qu’il n’existe pas, comme en France, de tribunaux administratifs et de cours administratives d’appel, le Conseil d’État de Bruxelles demeurant encore aujourd’hui le juge de droit commun du contentieux administratif en première instance. La comparaison entre la situation française et les pratiques étrangères n’est par conséquent pas possible.

Nous sommes donc opposés au transfert à la Cour nationale du droit d’asile du contentieux des décisions de refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile. L’examen de nos amendements nous permettra de développer plus précisément nos arguments à cet égard.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion