Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue François-Noël Buffet a pour objet de corriger les dispositions de la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, qui se sont manifestement révélées difficilement applicables.
Je souhaite en premier lieu souligner tout à la fois cette initiative parlementaire et la qualité de l’expertise de M. le rapporteur de la commission des lois. La semaine dernière, lors du débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine, j’avais été amenée à formuler le vœu d’une simplification et d’une clarification du droit des étrangers. Même modestement, ce texte y participe.
Je ne reviendrai pas sur le dispositif législatif, qui a été largement exposé, préférant évoquer les difficultés auxquelles ont été confrontés tant les praticiens du droit des étrangers que les étrangers susceptibles de bénéficier du dispositif spécifique d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile.
Ces difficultés me paraissent être principalement de trois ordres.
Il convient tout d’abord de rappeler le difficile équilibre entre les légitimes exigences du principe de souveraineté de l’État et le respect tout aussi fondamental du principe de non-refoulement et d’immunité pénale. La notion de demande d’entrée en France « manifestement infondée » a fait l’objet de nombreuses controverses qu’il convient de lever.
Ensuite, les délais de recours, jusqu’ici fixés à quarante-huit heures, contre les décisions du ministre chargé de l’immigration de refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile sont trop courts, lorsqu’ils expirent en fin de semaine ou à l’occasion de « ponts » pour jours fériés, pour permettre à l’étranger de former une demande en annulation de la décision incriminée.
Enfin, l’exigence d’une requête « motivée » pour former une telle demande en annulation est, à l’évidence, incompatible avec la situation fragilisée de l’étranger, confronté, au-delà des traumatismes personnels, à la barrière de la langue.
Sur ces trois points particuliers, la commission a, me semble-t-il, opté pour un texte équilibré, prenant en compte tant les analyses de son rapporteur que des amendements opportuns.
S’appuyant sur la décision du Conseil constitutionnel du 25 février 1992, le nouvel article 6 de la proposition de loi limite le champ des investigations utiles pour déterminer si la demande d’entrée en France est fondée ou infondée. Elle conforte en cela fort opportunément la distinction entre deux procédures, la demande d’entrée sur le territoire français, d’une part, la demande du bénéfice du droit d’asile, d’autre part. La première a un caractère d’urgence, incompatible avec le principe d’enquête approfondie ; la seconde emporte, à l’inverse, vérification des déclarations de l’étranger et contrôles divers. Dans cette nouvelle forme, l’article L. 213-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile se veut respectueux de l’intégrité et de la dignité de la personne humaine.
S’agissant des délais de recours, l’expérience a montré les limites de la période de quarante-huit heures initialement fixée, contre laquelle se sont élevés aussi bien le Syndicat de la juridiction administrative, France Terre d’Asile ou l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, l’ANAFé, autant d’instances qui sont quotidiennement confrontées à cette problématique.
Il faut espérer que le fait de porter de quarante-huit heures à soixante-douze heures le délai permettra que les droits au recours des étrangers soient intégralement préservés, en particulier lors des périodes spécifiques de week-ends prolongés, que j’ai évoquées tout à l’heure.
Enfin, la commission a accepté de supprimer l’exigence d’une « requête motivée », qui devait accompagner la demande d’annulation. Cette nouvelle formule, outre la simplification qu’elle emporte, protège l’étranger contre le risque de voir sa demande rejetée pour défaut de motivation suffisante, appréciation qui peut être aléatoire. Une fois encore, je ne peux que souligner combien les étrangers entrant sur notre territoire pour demander le bénéfice du droit d’asile sont en situation de précarité et de particulière fragilité, ce qui rend improbable l’élaboration raisonnée d’une « requête motivée ».
Outre ces trois points, la proposition de loi fixe les conditions dans lesquelles peuvent être tenues les audiences foraines. En effet, dès lors que la juridiction chargée du contentieux des décisions de refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile a compétence nationale et qu’elle est implantée à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, il est indispensable de donner la possibilité aux étrangers de présenter sur d’autres points du territoire leurs recours dans les mêmes conditions de garantie de leurs droits.
Il m’aurait paru souhaitable que le texte même de la proposition de loi précisât les conditions matérielles du déroulement de l’audience, notamment s’agissant des visioconférences. Toutefois, je veux bien admettre qu’il s’agit là de dispositions réglementaires, et je ne saurais donc trop insister, monsieur le ministre, pour que le décret en Conseil d’État prévu à cet effet intervienne très rapidement après la promulgation de la loi.
Enfin – et c’est là le point essentiel de cette proposition de loi –, le contentieux des décisions de refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile est transféré du tribunal administratif de Paris à la Cour nationale du droit d’asile.
Dans le débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine, organisé le 29 avril dernier sur l’initiative du groupe du RDSE, mon collègue Jacques Mézard et moi-même avons eu l’occasion de nous interroger sur l’intérêt de la multiplication des juridictions, administratives et judiciaires, pour régler des procédures à caractère administratif.
Nous voulons renouveler notre opposition de principe à un tel système.
Néanmoins, nous devons être pragmatiques et admettre l’existence de la toute récente Cour nationale du droit d’asile, dont M. Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, disait qu’elle pourrait permettre « d’unifier le contentieux des demandeurs d’asile sur un juge spécialisé, plus qualifié en la matière que le juge administratif de droit commun ».
Il me paraît donc raisonnable d’envisager un tel transfert, garant d’une meilleure prise en compte des demandes d’entrée sur notre territoire au titre de l’asile, sous la condition expresse que les moyens nécessaires à ce transfert soient effectivement mis en place. Je n’ignore pas que, lors de sa séance du 24 mars dernier, le Sénat a adopté un amendement afin que soit permis le recrutement de magistrats administratifs ou judiciaires au sein de la Cour nationale du droit d’asile pour assumer les fonctions de président de section, et que la loi de finances initiale pour 2009 a également prévu les crédits nécessaires au recrutement de dix magistrats permanents.
Monsieur le ministre, s’agissant des trois premiers points que j’ai évoqués, je ne doute pas que vous mettrez tout en œuvre pour que les dispositions de cette proposition de loi, qui, selon la quasi-unanimité du groupe du RDSE va dans le bon sens, puissent s’appliquer très concrètement dès le lendemain de la promulgation de la loi. S’agissant de la Cour nationale du droit d’asile, les conditions d’exercice de ses nouvelles compétences imposent un délai que, j’en suis persuadée, vous mettrez certainement un point d’honneur à réduire autant que possible.
Je veux rester confiante dans notre volonté commune, Sénat et Gouvernement, de trouver les outils législatifs les plus conformes aux principes essentiels de notre République qui, en l’occurrence, se nomment souveraineté de l’État et respect de la dignité humaine.