Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 6 mai 2009 à 14h30
Entrée sur le territoire français au titre de l'asile — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme d’aucuns l’ont déjà dit, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet de parachever l’unification du contentieux de l’asile devant la CNDA, conformément aux préconisations du rapport Mazeaud sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration.

En conséquence, elle tend à modifier l’article L. 213-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en confiant à la Cour nationale du droit d’asile le soin de statuer sur les refus de demandes d’admission sur le territoire au titre de l’asile.

Sous des airs de simplification de la procédure, cette proposition de loi pose un certain nombre de problèmes qui tiennent, d’une part, à la compétence même de la Cour nationale du droit d’asile pour connaître d’un tel contentieux et, d’autre part, aux conséquences d’un tel transfert sur les droits des étrangers en zone d’attente.

Concernant le transfert de compétence opéré par cette proposition de loi, je serai brève.

Il est important de préciser que le contentieux de l’admission sur le territoire au titre de l’asile n’est pas un contentieux sur l’asile. Il intervient lors d’une phase très spéciale, au cours de laquelle l’étranger n’est pas encore entré en France. Celui-ci se trouve en zone internationale et peut être refoulé s’il ne possède pas tous les documents exigés à son entrée en France ou si sa requête est jugée infondée. C’est justement de cette demande d’entrée sur le territoire au titre d’une demande d’asile qu’il est question dans ce texte.

Ce n’est que sous réserve de son entrée en France que l’étranger pourra formuler une demande d’asile. L’admission au séjour conditionne donc le dépôt d’une demande d’asile.

Cette procédure d’admission au séjour, même si elle est intimement liée au droit d’asile dont la Cour nationale du droit d’asile est la garante, relève par nature de la police administrative des étrangers. C’est la raison pour laquelle elle était jusqu’à présent du ressort du juge administratif.

Elle a pour objet non pas de reconnaître si la demande d’asile de l’étranger est fondée, mais simplement d’autoriser ce dernier à entrer sur le territoire. Il s’agit donc de voir si la demande d’admission est fondée.

C’est là qu’apparaît le premier problème. En effet, en avalisant ce transfert de compétence du juge administratif vers la Cour nationale du droit d’asile, on assiste finalement à un glissement tendancieux vers l’examen au fond de la demande, au risque, me semble-t-il, d’une certaine confusion des procédures, pour ne pas dire d’une confusion certaine !

C’est tellement vrai qu’en réalité, lorsque la Cour nationale du droit d’asile devra apprécier dans quelle mesure une demande est manifestement infondée, elle devra nécessairement examiner au fond la demande d’asile. Il s’agit, à nos yeux, non plus seulement d’un ajustement, mais d’une véritable redéfinition des missions de cette juridiction.

On assistera alors à un paradoxe. Si la Cour annule un refus d’admission sur le territoire, elle sera à nouveau saisie au fond par l’étranger pour l’octroi du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. Les deux versants de sa compétence se rejoindront alors, qu’on le veuille ou non, pour converger vers l’octroi d’une protection.

En revanche, si la Cour refuse d’annuler un refus d’admission sur le territoire, en considérant que la demande est manifestement infondée, elle verrouille la possibilité ultérieure d’octroyer un statut à l’étranger.

Admettons que le maintien en zone d’attente de l’étranger soit annulé, que celui-ci soit libéré et qu’il ait accès au territoire français : il pourra alors demander l’asile, et la Cour sera amenée à examiner au fond sa requête. Elle aura à réexaminer au fond une demande qu’elle avait jugée une première fois infondée. Ne sera-t-elle pas liée par sa décision initiale ? Nous le craignons ! En tout cas, il existe clairement un risque de porter préjudice à un examen objectif de cette demande d’asile, qui aura déjà été jugée infondée une première fois par cette même Cour.

Le second problème que pose ce transfert de compétence concerne les droits des étrangers.

Depuis plusieurs années, je me bats pour la reconnaissance d’un droit à un recours suspensif pour tous les refus d’entrée, et pas seulement au titre de l’asile.

La loi du 20 novembre 2007, en créant le recours suspensif contre les décisions de refus d’entrée sur le territoire, avait de ce point de vue apporté une première pierre à l’édifice. Seulement, la présente proposition de loi signe l’arrêt des travaux en la matière, puisqu’elle enferme définitivement le recours suspensif existant dans le seul champ du droit d’asile, en raison de la spécialisation de la CNDA.

En adoptant cette proposition de loi, on renoncerait ipso facto à l’extension de ce recours suspensif à d’autres catégories d’étrangers, comme par exemple les mineurs isolés souhaitant rejoindre leur famille en France.

Une autre difficulté que je souhaite soulever est celle des étrangers qui se trouvent eux-mêmes en zone d’attente.

Cette proposition de loi a une inspiration économique indéniable : son objet est avant tout de rationaliser les coûts. Une telle rationalisation doit-elle pour autant faire l’impasse sur les droits élémentaires des étrangers ? La réponse est évidemment « non », mes chers collègues !

Pourtant, si l’on observe de plus près cette proposition de loi, certains détails nous font douter d’une telle préservation des droits des étrangers, notamment en ce qui concerne le droit à un procès équitable.

Il en est ainsi de l’assistance d’un interprète et d’un avocat, qui étaient explicitement visés par l’article L. 213-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que nous nous apprêtons à modifier. Comme par enchantement, ces garanties disparaissent de la proposition de loi qui nous est soumise…J’entends déjà M. le rapporteur nous dire que ces garanties sont prévues ailleurs dans le même code !

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