En premier lieu, la procédure est enserrée dans des délais très courts. En second lieu, et c’est le point le plus important, il est demandé au juge de statuer sur le caractère manifestement infondé ou non d’une demande d’entrée en France afin de bénéficier du droit d’asile, mais aucunement sur le bénéfice du statut de réfugié. La question soumise au juge est donc nettement moins complexe, et il est vrai que nous pouvons douter que le HCR souhaite en connaître. Ses représentants exprimant déjà, parfois, des réticences à siéger au sein de la CNDA ; cet amendement pourrait leur poser de nombreuses difficultés.
Si l’on suivait l’argumentation de notre collègue, il faudrait même aller plus loin et réfléchir à la possibilité de déplacer l’examen du bénéfice du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire au moment de l’entrée en France. Nous n’y sommes pas favorables, car l’étranger concerné peut très bien se trouver alors dans une situation personnelle particulièrement difficile qui ne le place pas dans les conditions les plus favorables pour présenter l’ensemble des arguments susceptibles de convaincre la CNDA. L’avis de la commission est donc défavorable.
L’amendement n° 30 a le même objet que l’amendement n° 7 rectifié bis : substituer au juge unique une formation collégiale. Pour les raisons déjà évoquées, la commission émet un avis défavorable.
Je voudrais cependant répondre plus particulièrement à un argument avancé par Mme Gonthier-Maurin à propos des risques d’encombrement de la CNDA. Je ne partage pas totalement son inquiétude à ce sujet. J’ai relevé dans mon rapport les raisons pour lesquelles, depuis 2003, les délais de la CNDA avaient tendance à augmenter. La principale tient à l’effort d’assainissement du stock des dossiers les plus anciens : naturellement, lorsque l’on se consacre prioritairement à l’examen de ces dossiers, les délais s’allongent. Cependant, des progrès considérables ont été réalisés puisque ce stock a été réduit environ de moitié entre 2003 et 2008, passant de plus de 35 000 dossiers à 19 000 dossiers. Nous pouvons donc être un peu plus optimistes sur ce point – même s’il est bien certain, monsieur le ministre, qu’il faudra donner à la CNDA les moyens d’accomplir au mieux sa mission.
L’amendement n° 32 a lui aussi un objet similaire à celui des amendements n° 7 rectifié bis et 30. La commission émet donc un avis également défavorable.
Les auteurs de l’amendement n° 31 veulent éviter que le contrôle exercé par la CNDA ne glisse vers un examen au fond de la demande d’asile. Bien entendu, nous partageons totalement cet objectif. Cependant, l’amendement précise que la Cour se limitera « à un contrôle de l’excès de pouvoir ». Or j’éprouve les plus grandes difficultés à discerner les limites d’un tel contrôle, celui-ci variant très sensiblement selon la volonté du juge. Les juristes distinguent en effet le contrôle minimum, qui porte sur une éventuelle erreur manifeste d’appréciation, le contrôle normal, qui s’attache à la qualification juridique des faits, et le contrôle maximum, qui confine au contrôle d’opportunité et que l’on baptise « contrôle de proportionnalité » pour ne pas se poser la question de savoir si le juge ne se livrerait pas à des appréciations d’opportunité qui, théoriquement, ne sont pas de sa compétence. La précision selon laquelle le contrôle de la CNDA se limite à un « contrôle de l’excès de pouvoir » n’est donc pas, à mes yeux, une véritable précision. En conséquence, la commission émet un avis résolument défavorable.
L’amendement n° 5 rectifié bis, qui tend à exclure le recours aux ordonnances, est totalement contraire aux vœux de la commission. Par un amendement désormais intégré au cœur du texte de la proposition de loi, elle a inséré un article 3 confirmant l’application de l’article L. 733-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, c’est-à-dire la possibilité de recourir aux ordonnances. L’article 3 de la proposition de loi précise en effet que l’article L. 733-2 du CESEDA s’appliquera également aux dispositions relevant de l’article L. 213-9 du même code : la commission exprime donc bien la volonté que la procédure des ordonnances puisse continuer à s’appliquer. Je signale au demeurant que, actuellement, la CNDA peut y recourir dans le cadre de son contentieux habituel et qu’il est précisé à l’article R. 733-5 du CESEDA que « le président […] peu[t], par ordonnance, donner acte des désistements » – est-il vraiment attentatoire aux libertés que de pouvoir, par ce biais, donner plus rapidement acte des désistements ? –, « constater qu’il n’y a pas lieu de statuer sur un recours » – nous pourrions poser la même question – « et rejeter les recours entachés d’une irrecevabilité manifeste non susceptible d’être couverte en cours d’instance ». La commission considère que cette possibilité doit être maintenue ; elle émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
À la différence de l’amendement n° 5 rectifié bis, l’amendement n° 6 rectifié bis admet le recours aux ordonnances mais en limite le champ aux seuls cas de désistement et de non-lieu à statuer. Certes, c’est probablement surtout dans de tels cas de figure que la procédure des ordonnances pourra être utilisée, mais il en est d’autres pour lesquels il ne serait pas prudent d’exclure a priori la possibilité d’écarter par voie d’ordonnance des recours entachés d’une irrecevabilité manifeste, par exemple lorsqu’un requérant n’invoque que des motifs économiques. L’« asile économique » est parfaitement respectable, mais il ne relève nullement du régime de l’asile politique. Il me paraît donc raisonnable de pouvoir écarter une telle demande d’asile par voie d’ordonnance. Cela permet de préserver un équilibre entre droits des demandeurs et bon fonctionnement de la Cour. En conséquence, la commission émet un avis défavorable.
L’amendement n° 8 rectifié bis tend à permettre à l’étranger d’être assisté par un conseil et de bénéficier du concours d’un interprète. Mme Boumediene-Thiery avait justement anticipé ma réponse : l’amendement est déjà satisfait par l’article L. 733-1, qui s’applique à ce nouveau contentieux et dispose que « les intéressés peuvent présenter leurs explications à la Cour nationale du droit d’asile et s’y faire assister d’un conseil et d’un interprète ». Je ne suis pas sûr que dire deux fois la même chose tende vraiment à stabiliser les droits : ce type de répétition ne traduit-il pas une inquiétude quant à l’application de la règle plus qu’un renforcement de celle-ci ?
Pourtant, objectera-t-on à mon objection, la possibilité de se faire assister d’un conseil et d’un interprète est réaffirmée dans certains cas. En particulier, Mme Boumediene-Thiery me demandait pourquoi, dans la proposition de loi, le nécessaire respect des conditions prévues à l’article L. 733-1 est rappelé à propos de la visioconférence, et à son propos seulement.
Ma chère collègue, il faut considérer que, lors d’une visioconférence, une communication est établie entre deux endroits distincts : d’une part, le lieu où se trouve la Cour elle-même ; d’autre part, le lieu où se trouve l’étranger demandeur. Préciser que le conseil et l’interprète doivent alors se trouver aux côtés de l’étranger n’introduit donc pas l’incohérence que vous aviez dénoncée, et aucun doute ne subsiste à propos de leur présence. Qui plus est, les débats témoignent de l’intention du législateur : vous aurez très largement contribué, madame, à ce que le doute se dissipe complètement !
La commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 8 rectifié bis.
Comme je l’ai déjà indiqué en commission, l’amendement n° 25 de Mme Boumediene-Thiery est très intéressant et original. Il fait écho à l’audition de M. François Bernard, ancien président de la commission des recours des réfugiés, devenue la CNDA.
M. Bernard s’interrogeait – on peut le comprendre ! – sur la possibilité de résoudre radicalement le problème de la demande d’asile à la frontière en déplaçant à ce stade l’examen au fond du bénéfice du statut de réfugié. Cette solution rendrait sans objet les interrogations sans fin sur ce qu’est une demande manifestement infondée. L’OFPRA, puis la CNDA, se prononceraient dans des délais très brefs.
L’idée est séduisante, mais elle pose quelques difficultés. En premier lieu, je l’ai déjà rappelé, un examen en urgence peut être dangereux : certains demandeurs sont traumatisés et peuvent avoir du mal à faire le récit de leur histoire dès leur arrivée en France. En second lieu, serait ainsi créée une inégalité de traitement entre les demandeurs se présentant à la frontière et ceux qui se trouvent déjà sur le territoire français, puisque la procédure serait différente.
Mme Boumediene-Thiery propose une solution intermédiaire plus subtile : l’examen à la frontière demeurerait un examen de l’admission sur le territoire français afin d’y demander l’asile ; toutefois, après avoir annulé une décision de refus d’entrée, la CNDA pourrait proposer à l’étranger d’examiner sa demande d’asile au fond. Ce serait une simple possibilité, et l’accord de l’intéressé serait exigé.
Cependant, les objections déjà soulevées contre la solution avancée par M. Bernard me paraissent demeurer valables. En outre, je vois mal pourquoi l’étranger admis à entrer sur le territoire français prendrait le risque de cette procédure en urgence, puisque, si le statut de réfugié lui était refusé, il se trouverait en situation d’être immédiatement éloigné. Enfin, ce serait prendre le risque d’une confusion entre les procédures pour demander l’asile à la frontière et pour obtenir le statut de réfugié. Or nous nous sommes entourés de toutes les précautions nécessaires pour éviter une telle confusion. La commission émet donc un avis défavorable.
L’amendement n° 9 rectifié bis vise à exiger le consentement de l’étranger pour tenir une audience foraine dans une salle auprès de la zone d’attente. Je remarque tout d’abord que, dans tous les cas où le CESEDA permet de statuer en audience foraine, le consentement de l’étranger n’est pas requis : je ne vois donc pas les raisons qui l’imposeraient en l’espèce. Surtout, si l’on estime que les audiences foraines respectent le droit à un procès équitable et la publicité des débats, le consentement n’a pas à être exigé. C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.
L’amendement n° 33 tend à exclure les audiences foraines et le recours à la visioconférence. Or les audiences foraines, si elles sont réalisées dans de bonnes conditions, épargnent aux étrangers les désagréments du transfèrement ; elles n’ont donc pas seulement des aspects négatifs. Quant à la visioconférence, compte tenu des délais très courts, elle est concrètement indispensable pour statuer lorsque la demande d’asile à la frontière est présentée, par exemple, outre-mer. Mayotte ou la Nouvelle-Calédonie sont très éloignées de la métropole ! Comment, sans visioconférence, rendre une décision dans les soixante-douze heures ?
Il ne faudrait pas que l’arbre cache la forêt ! Aux termes de la proposition de loi, le recours à la visioconférence n’est possible que lorsque l’éloignement de l’étranger la rend nécessaire. Or un peu plus de 97 % des demandes d’asile à la frontière sont déposées dans les zones d’attente de Roissy et, dans une moindre mesure, d’Orly, et ne sont pas concernées par la visioconférence ! La commission a donc émis un avis défavorable.
Comme l’amendement n° 9 rectifié bis, les amendements n° 23 et 34 tendent à exiger le consentement de l’étranger pour tenir les audiences foraines dans une salle auprès de la zone d’attente. Pour les mêmes raisons, la commission y est défavorable.
L’amendement n° 10 rectifié bis tend à supprimer la possibilité d’utiliser la visioconférence. Comme je viens de l’expliquer, c’est concrètement impossible dans un certain nombre – certes limité – de cas de figure. La commission a donc émis un avis défavorable.
L’amendement n° 24 vise à prévoir le consentement de l’étranger avant d’utiliser la visioconférence.
Le recours à la visioconférence s’est largement diffusé depuis 2003, notamment en matière de procédure pénale, sans que le consentement du prévenu ou du condamné soit requis. Même si la décision du Conseil constitutionnel que vous avez citée m’a quelque peu déstabilisé, madame Boumediene-Thiery, il me semble que, à partir du moment où l’on admet que la visioconférence préserve le droit à un procès équitable ainsi que la publicité des débats, il est inutile de demander le consentement de la personne, sauf à admettre qu’une personne puisse consentir à l’abaissement de ses droits.
Quant au Conseil constitutionnel, il reste la possibilité de le saisir et de lui demander son avis sur ce point. Je le répète, nous discutons d’une hypothèse concernant moins de 3 % des cas !
L’amendement n° 35 ayant un objet identique à celui de l’amendement n° 24, la commission y est également défavorable.
L’amendement n° 21, qui tend à imposer l’ouverture au public des deux salles d’audience, est déjà satisfait par la proposition de loi. En effet, le texte de la commission – à la suite, précisément, de l’adoption d’un amendement de Mme Boumediene-Thiery – prévoit déjà que la salle d’audience foraine est ouverte au public : cela va de soi aussi bien pour la visioconférence que pour la CNDA.
Sans être en désaccord avec Mme Boumediene-Thiery, je considère qu’il n’est pas nécessaire d’enfoncer des portes ouvertes : son amendement étant satisfait, je lui demande de bien vouloir le retirer, à défaut de quoi je serais conduit à émettre un avis défavorable.
L’amendement n° 11 rectifié bis tend à introduire une procédure d’appel des décisions de la CNDA devant le Conseil d’État. Voilà une quinzaine de jours, la commission avait refusé que l’appel soit formé auprès d’une cour administrative d’appel : cela aurait été curieux, s’agissant des décisions d’une juridiction nationale ! En ce sens, l’appel devant le Conseil d’État qui nous est proposé aujourd’hui est plus rigoureux.
Il existe néanmoins d’autres objections d’ordre purement juridique. En particulier, la CNDA étant une juridiction nationale, ses décisions ne peuvent faire l’objet devant le Conseil d’État que d’un recours en cassation.
Je prendrai l’exemple de la reconnaissance du statut de réfugié : après la décision de l’OFPRA peuvent intervenir la décision de la Cour nationale du droit d’asile, première décision juridictionnelle, puis le recours en cassation. Je rappelle que le Conseil d’État n’est aujourd’hui juge d’appel que dans quelques cas très limités concernant toujours des jugements des tribunaux administratifs, non les décisions de juridictions à compétence nationale.
De la même manière, les décisions des ordres professionnels statuant en matière nationale sont également susceptibles de recours en cassation devant le Conseil d’État.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
L’amendement n° 36 est très proche de l’amendement n° 11 rectifié bis. Pour les raisons que je viens d’indiquer, la commission en demande le retrait ou émettra un avis défavorable.
J’ajoute qu’un appel suspensif d’un mois devant le Conseil d’État supposerait un allongement considérable de la durée de rétention de l’étranger en zone d’attente. Je ne suis pas certain que nos collègues du groupe CRC-SPG y soient particulièrement favorables.
Enfin, l’amendement n° 20 tend à préciser qu’à l’occasion de la visioconférence il est dressé un procès-verbal dans chacune des deux salles d’audience.
Cette disposition n’apparaît ni nécessaire ni utile. À la différence de l’audience devant le juge des libertés et de la détention, le consentement de l’étranger n’est pas requis ici. Le procès-verbal, qui permet de s’assurer du consentement de l’étranger, n’a donc pas d’intérêt en l’espèce. En outre, en cas de pourvoi en cassation, le Conseil d’État se prononcera exclusivement sur la décision de la Cour nationale du droit d’asile.
La commission est donc défavorable à cet amendement, qui aurait pour effet d’alourdir la procédure au lieu de la simplifier.